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Depuis son apparition fort remarquée au Bolshoi dans Don Carlo fin 2013, l'américain Robert Trevino est devenu l'un des chefs les plus en vue de sa génération. ResMusica a voulu en savoir plus sur le parcours de ce jeune artiste aussi charismatique que philosophe dès qu'il s'agit de musique.
« La musique peut d'une certaine façon nous servir et nous aider à certains moments de nos vies. »
ResMusica : Pendant trois ans vous avez été l'assistant de l'orchestre de Cincinnati, vous êtes aussi le chef principal du festival de Shippensburg. Pouvez- vous nous parler de votre relation avec ces orchestres ?
Robert Trevino : Je travaille avec Louis Langrée, il vient tout juste de commencer son mandat de Directeur musical. Il est extrêmement généreux avec moi du point de vue de son temps, de son soutien et dans le partage de ses expériences. Il n'y avait pas de directeur musical pendant mes deux premières années après l'ère Paavo Järvi. C'était une période absolument parfaite pour que je vienne à Cincinnati. Dans ce contexte, on m'a permis d'être davantage impliqué ! Au festival de Shippensburg en Pennsylvanie, j'ai commencé il y a deux ans en tant que chef principal.
RM : Comment élaborez- vous les programmes de votre festival de Shippensburg ?
RT : En grande partie selon les circonstances et ce que j'ai à l'esprit à ce moment- là. J'essaye le plus souvent de tisser des liens avec notre époque et ses questionnements. Je programme en essayant d'élargir les esprits, les cœurs et les âmes des gens.
RM : Aimez -vous dialoguer avec le public quand c'est possible ?
RT : Oui, j'aime beaucoup ! Je parle au public avant tous nos concerts à Shippensburg. La musique peut d'une certaine façon nous servir et nous aider à des moments de nos vies. Non pas qu'elle va résoudre un problème dans notre vie ou dans l'humanité mais si une personne est prête à ouvrir son esprit, elle peut être un élément de motivation pour le changement. Elle autorise à vivre idéalement d'une façon positive.
RM : Quel genre d'échange peut-il y avoir quand une personne du public prend le temps pour venir vous parler après un concert ?
RT : Un jour, j'ai fait une intervention au sujet du Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov. Une personne est venue me voir en coulisse. Elle pleurait et m'a dit que Rachmaninov et moi lui avions donné du courage pour continuer à vivre. Elle avait perdu sa famille, décédée dans un suicide collectif. Elle a senti que ce concerto, qui parle de dépression, de comment la surmonter et aussi du désir de continuer à vivre, lui avait donné du courage pour commencer à revivre après cette perte tragique. C'était une des choses les plus gratifiantes, qu'une personne soit assez réceptive pour réagir à mes paroles et à la musique de Rachmaninov.
RM : Quelles sont les œuvres que vous aimeriez un jour enregistrer ?
RT : Beaucoup d'œuvres m'intéressent. Je n'ai absolument pas d'intérêt pour enregistrer certains répertoires mais plutôt des œuvres classiques telles que les opéras de Strauss ou Wagner et les symphonies et concertos de Schumann, Brahms et Beethoven. Je suis également attiré par des œuvres contemporaines comme celles de Pierre Boulez ou de Guillaume Connesson. Je suis très sensible à la musique d'Esa-Pekka Salonen ! Mais je dois attendre car c'est un grand chef et je n'ai pas à enregistrer ses propres œuvres avant lui ! J'aimerais aussi fonder mon propre orchestre avant de faire trop d'enregistrements. Je souhaite d'abord passer plusieurs années avec lui afin de le façonner et de peut- être lui donner un son distinct.
RM : Est- ce que vous connaissiez le Sinfonia Varsovia quand vous l'avez dirigé à la Folle Journée cette année ?
RT : Non mais je me souviens que mon agent me disait que c'était un merveilleux orchestre et qu'ils avaient une très forte personnalité tout en étant flexibles. Elle était sure que nous allions bien nous entendre. Elle avait raison à tout point de vue. Lors de la première répétition, j'ai simplement fait mon travail à ma façon. Je n'essaye pas de me comporter différemment selon les orchestres. J'ai ensuite dirigé cet orchestre au festival de La Roque d'Anthéron et je suis très heureux d'avoir trouvé avec le Sinfonia Varsovia un partenaire enthousiaste et j'espère continuer à me produire avec eux à d'autres reprises.
RM : Vous avez également une collaboration avec l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, pouvez-vous en parler ?
RT : Oui, nous avons une excellente relation. Nous avons joué la Symphonie n°5 de Mahler et c'était une expérience fantastique. Nous avons également mené une tournée de concerts.
RM : A quel moment décidez- vous de votre vision de l'œuvre? Est-ce que cela peut changer pendant le concert ?
RT : Généralement, cela a toujours lieu longtemps avant le concert. Mais, un concert est un moment d'extrême conscience intellectuelle et émotionnelle. Lors de ce moment intense, vous pouvez regarder la partition et noter un détail que vous n'avez jamais remarqué avant. J'adore ce moment ! Si je trouve un aspect dans le texte et reconnais son importance et ses implications pour toute l'œuvre, je peux immédiatement changer toute ma conception en plein milieu du concert, en me basant sur ce détail. Dans cet instant de clarté pour l'orchestre et cet état-là, il est possible d'ajuster ou modifier beaucoup de choses sans échanger un mot. Je ne suis pas esclave de ce que j'ai répété mais je le suis dans la recherche d'une plus grande vérité musicale!
RM : Que faites- vous quand vous ne travaillez pas ?
RT : J'apprends de la musique ! Elle est absolument partout et il n'y a pas un moment où je n'y pense pas. J'ai de nombreuses étagères dans mon bureau avec inscrit ce que je dirige, ce que je vais diriger et ce que je souhaite diriger (ou que je souhaite connaitre comme des quatuors à cordes, des sonates pour piano, etc. …) Je vais étudier ce que je souhaite diriger pendant mes journées de repos. Je passe aussi du temps avec ma famille, trois jours pendant l'année, un jour en deux mois où je vais m'asseoir dans ma cour pour fumer un cigare, boire un scotch ou aller voir un film. Cela me suffit pour me reposer. Faire de la musique, c'est du travail mais c'est aussi un privilège d'avoir cette vie là. Pouvoir voyager, rencontrer des gens différents et être plongé dans la musique peut difficilement être considéré comme une vie dure. Je vis mon rêve et chaque jour est le meilleur prochain jour de mon existence.