Les sujets d'indignation ne manquent pas en cette rentrée musicale, l'une des plus déprimantes de ces années de crise sans fin. Tout le milieu musical regarde consterné l'affligeant spectacle du conflit à Radio-France entre l'Orchestre Philharmonique, le directeur musical désigné Mikko Franck et la direction de la musique. Largement repris à travers la presse musicale nationale et surtout internationale, ce désolant gâchis artistique et humain, ridiculise, après l'annonce du départ de Paavo Jarvi de l'Orchestre de Paris au terme de son mandat, la scène parisienne, plus que jamais engluée dans un marais nauséabond où casser ce qui marche (très bien) semble tenir lieu de « réforme », le tout dans une République où les décideurs mettent et démettent les postes avec la rapidité d'une monarchie autocrate féodale. Avec en musique de fond dissonante, l'Orchestre National de France, institutionnellement frère, qui n'a même pas témoigné publiquement de la plus élémentaire solidarité avec ses confrères pour un dossier qui dépasse pourtant les médiocres égoïsmes de petit boutiquiers.
A Rome, le choc est total avec le licenciement des artistes de l'orchestre et du chœur de l'opéra, abandonnés par leur directeur musical Riccardo Muti, las des grèves à répétition. Si Muti, avec ses caprices de diva et ses cachets mirobolants y survivra, ses dizaines de musiciens se trouvent désormais au chômage dans un pays miné par cette crise économique. Cet évènement risque hélas de donner des exemples à d'autres décideurs qui voient les orchestres et les opéras comme un fardeau pour des finances publiques dans un contexte de déculturation globale des élites. Il est ainsi frappant que dans sa première grande interview (accordée au Monde), la nouvelle ministre de la culture Fleur Pellerin déclare : « tout d'abord, il faut repenser l'accès aux arts et à la culture à l'aune des nouvelles générations, en partant de leurs codes, de leurs désirs d'expression ». La situation est d'autant plus préoccupante que les salles de concert se vident ! Il était interpellant d'apprendre qu'une star internationale du piano n'avait pas remplie l'un des grands auditoriums de France, pour l'un de ses concerts de rentrée, avec (rien moins) que le Concerto n°2 de Rachmaninov !
La situation est très grave ! Lâchée par les élites, confiée à des managers égotiques et capricieux, délaissée par un public appauvri et versatile, la musique classique souffre comme jamais en Europe ! Dans ce contexte, les musiciens doivent relever des défis colossaux. Etre un artiste classique en 2014 c'est quitter sa bulle et sa rêverie lunaire pour prendre son futur en main. De nombreux musiciens sont déjà sur cette voie, fondant et animant des festivals (parfois même au point de s'y programmer à chaque concert), créant des spectacles, initiant des projets transversaux et originaux. Mais force est de constater que la formation des musiciens, surtout dans les pays francophones, reste unilatéralement centrée sur la pratique musicale « soliste » et peine à sensibiliser les jeunes musiciens à une stratégie à 360°, ouverte sur le monde et décloisonnante. Les grandes écoles anglo-saxonnes sont depuis longtemps en avance : les séminaires du Curtis Institute à Philadelphie ou la Julliard School de New-York donnent depuis longtemps le « la ». Le monde francophone doit rattraper son retard pour permettre à la jeune génération d'être outillée pour relever avec brio les enjeux alors que jamais le niveau technique des musiciens n'a été aussi relevé : il suffit de constater le niveau vertigineux requis pour intégrer une formation professionnelle !
Si nous ne rejoignons pas la Ministre Fleur Pellerin dans la dimension démagogique de sa déclaration vis-à-vis de la jeunesse, nous la soutenons entièrement sur la nécessité que les élites se mettent à l'écoute de nos jeunes générations, qui aspirent à un monde où le savoir se transmet de manière horizontale, ouverte et transparente. Ce monde-là commence à se dessiner dans les pays anglo-saxons, qui sont tournés vers l'avenir et non vers la défense corporatiste d'un passé irrémédiablement perdu. C'est pour ça que les jeunes qui en ont la possibilité quittent la France pour aller outre-Manche et outre-Atlantique, et qu'ils ne reviendront pas si nos sociétés latines n'évoluent pas rapidement.
L'avenir de la musique classique est entre les mains de ces jeunes. Ils n'ont nul besoin que l'on copie leurs codes culturels et qu'on s'approprie leurs désirs, mais ils méritent qu'on leur donne les clés pour agir dans le monde de demain, renforcés et nourris de l'héritage irremplaçable de la musique classique !