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La Côte-Saint-André. Château Louis XI. Festival Berlioz. 31-VIII-2014. Hector Berlioz (1803-1869). La Damnation de Faust, légende dramatique en 4 parties sur livret d’Hector Berlioz et Almire Gandonnière d’après le Faust de Goethe dans la traduction de Gérard de Nerval. Avec: Anna Caterina Antonacci, Marguerite ; Michael Spyres, Faust ; Nicolas Courjal, Méphistophélès ; Jean-Marc Salzmann, Brander ; Choeurs et Solistes de Lyon-Bernard Tétu, Choeur Britten-Nicole Corti et Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz sous la direction de François-Xavier Roth.
Berlioz enfin ! Il était temps !! Rien que Berlioz pour clore la belle ouverture sur le Monde d'une 21ème édition du festival Berlioz conçue dans la plus grande intelligence au sein de la ville où naquit celui qui déclara en 1831: «Il y eut une Amérique musicale dont Beethoven a été le Colomb. Je serai Pizarre ou Cortez. »
Autour du cœur de la ville qu'est devenu le passionnant Musée Berlioz (n'y manque, comme à Wahnfried, qu'une salle consacrée aux plus belles mises en scène de ses opéras de par le monde), la musique a pris possession du jardin sous le balcon d'Hector, de la Halle médiévale, de l'Eglise Saint-André, du Château de Saint-Louis…
C'est dans la cour de ce dernier que s'installent les forces vives nécessaires à l'exécution de La Damnation de Faust, qui n'avait pas été donnée à la Côte depuis la version en plein air sous la Halle en présence de Paul Claudel.
Ce 31 août, c'est le public, aussi nombreux que les soirées précédentes sous le dôme bleuté de la Cour du Château, qui va être lui aussi gâté par une exécution absolument splendide, bouillonnante, débordante de vie. Un torrent de passion communicative à la hauteur de tous les enjeux de la géniale partition.
L'orchestre bien sûr : baptisé Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz, il regroupe de jeunes musiciens issus des meilleurs conservatoires d'Europe et des musiciens de l'orchestre Les Siècles, la phalange déjà bien connue de François-Xavier Roth. Le chef français fait travailler les œuvres de Berlioz à ces jeunes musiciens au cours d'un stage intensif d'une semaine sur instruments d'époque, avant de mélanger pour moitié la passion de ce beau monde en herbe à celle des musiciens des Siècles au cours d'un des concerts du Festival. Le JOEHB a ainsi offert son premier concert en 2010. Il faut vraiment saluer l'initiative conjuguée de Bruno Messina (une bonne idée de plus au crédit de l'actuel Directeur artistique du festival) et de François-Xavier Roth qui offre à de jeunes musiciens formation et insertion professionnelle. Le concert de ce soir est une vitrine exemplaire de la démarche : ce serait vraiment chercher la petite bête que d'émettre la moindre critique à l'écoute de pupitres galvanisés, de sonorités somptueuses qui rendent au génie berliozien un hommage digne des plus grandes exécutions passées. Souplesse des cordes, vélocité jubilatoire des bois, percussions idéalement spectaculaires, graves prenants, alto en état de grâce, harpes très bien mises en valeur (comme savait si bien le faire Colin Davis) : on ose penser et écrire que le JOEHB n'a rien à envier au LSO entendu la veille.
Le Choeur, constitué des Choeurs et Solistes de Lyon-Bernard Tétu et du Choeur Britten-Nicole Corti, offre une magistrale prestation. Tout est là : la puissance des Enfers, le lyrisme fourmillant des sylphes, le diabolique duel rythmique des étudiants et des soldats, la puissance vulgaire de la fugue des buveurs, les chausse-trappes (les ah ! des Follets parfaitement en place), le tout énoncé avec une lisibilité de prononciation exemplaire malgré le nombre.
A ce niveau d'excellence orchestral et choral, que va-t il en être des solistes, eux aussi très sollicités par l'exigeante partition ? Disons de suite que l'on est littéralement cueilli sur notre siège par le Faust absolument bluffant de Michael Spyres. Américain, le ténor ? On peine à le croire tant la prononciation, si souvent pierre d'achoppement de tant de titulaires du rôle, rend caduque la tendance à la déploration de bien des confrères face aux distribution non francophones de bon nombres d'ouvrages français. Très loin ce soir du « Vous pouvez m'arrêter, c'est moi qui l'ai touillée » hurlé par James McCracken à la fin d'une certaine Carmen dirigée par Bernstein (DGG), Spyres , au moyen d'une voix extrêmement puissante (on se dit même un instant que l'on aurait volontiers imaginé le placer au sein de l'orchestre plutôt que devant ce dernier) offre une leçon de diction, de concentration tranquille, de lyrisme berliozien rare. Aucune note de la partition (qu'il énonce par coeur) ne lui pose problème. Aucun effort apparent à chanter ce rôle qui demande tant. La soirée durant, jouant discrètement le personnage par un simple port de tête, une simple façon de s'asseoir, des regards, des sourires, il sera imprégné de tous les affects du rôles…il ira même jusqu'à laisser couler de vraies larmes! D'un romantisme serein , tout de bonté paisible, Spyres est le Faust de Berlioz.
Face à ce modèle d'investissement, le Méphistophélès de Nicolas Courjal fait grande impression lui aussi, tant par l'aplomb physique que vocal, même si les consonnes finales semblent moins audibles, plus noyées dans la pâte orchestrale que chez son alter-ego. La voix, idéalement noire, est très belle et le rôle semble taillé pour le jeune chanteur.
Le Brander de Jean-Marc Salzmann, à la hauteur de son environnement, parvient même, malgré l'extrême brièveté du rôle, à faire oublier le petit raté qui lui fait commencer sa Chanson du rat trop tôt sur l'introduction orchestrale. Reste la Marguerite d'Anna Caterina Antonacci. Magnifique Cassandre que l'on sait, très belle Carmen aussi, et n'ayant plus rien à prouver au plan de l'orthodoxie de son français, Antonacci incarne ce soir une Marguerite toute de mélancolie. Avant même d'ouvrir la bouche, la chanteuse semble déjà dans son personnage. Il faudra attendre le triomphe des saluts pour voir s'illuminer le visage de la cantatrice, pôle d'attraction de la soirée. Sa Marguerite sacrifiée d'avance restera dans les mémoires par l'élégie d'un juste lyrisme n'en rajoutant jamais. La Diva s'efface devant le personnage et s'inscrit exactement dans cette version qui n'en est pas une de plus.
On aura compris que tous ces prestations exemplaires ne seraient rien sans la direction ultra-berliozienne de François-Xavier Roth : constamment inspirée, nerveuse, fiévreuse sans être agitée, concentrée, sûre d ‘elle aussi, maîtrisant chaque effet (on sait que la Damnation en regorge!). Roth est un grand berliozien, dont la vision, prenons les paris, aurait enchanté Hector lui-même.
Crédit photographique: Delphine Warin
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La Côte-Saint-André. Château Louis XI. Festival Berlioz. 31-VIII-2014. Hector Berlioz (1803-1869). La Damnation de Faust, légende dramatique en 4 parties sur livret d’Hector Berlioz et Almire Gandonnière d’après le Faust de Goethe dans la traduction de Gérard de Nerval. Avec: Anna Caterina Antonacci, Marguerite ; Michael Spyres, Faust ; Nicolas Courjal, Méphistophélès ; Jean-Marc Salzmann, Brander ; Choeurs et Solistes de Lyon-Bernard Tétu, Choeur Britten-Nicole Corti et Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz sous la direction de François-Xavier Roth.
3 commentaires sur “La Damnation électrisante de François-Xavier Roth”