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En 2014, nous célébrons le centenaire de la naissance du chef d'orchestre hongrois Ferenc Fricsay. Décédé prématurément, en 1963, ce chef d'orchestre fut une étoile filante géniale de l'art de la direction au XXe siècle et un explorateur technologique.
Ferenc Fricsay est né à Budapest en 1914, dans l'empire d'Autriche-Hongrie, alors que le monde marchait au bord du gouffre. La musique est au cœur de la vie familiale car son père dirige la principale harmonie militaire à Budapest. Il prend, dès ses 6 ans, ses premières leçons de piano. La passion de la direction le saisit très tôt car il fait ses débuts de chef « non officiel » à l'âge de 11 ans, dirigeant ses camarades de collège, lors d'une sérénade mûrement préparée (6 semaines de répétitions) en l'honneur de son professeur de latin. Comme l'élite des jeunes musiciens hongrois, il intègre ensuite l'Académie Franz Liszt de Budapest. Ses professeurs sont tous issus de la génération dorée de la musique hongroise : Béla Bartók, Zoltán Kodály, Ernö Dohnányi et Léo Weiner. Ses camarades des différentes promotions se nomment Georg Solti, Eugene Ormandy, Joseph Szigeti ou Sandór Végh, c'est dire l'émulation qui régnait dans les travées de cette institution.
En 1933, il obtient son premier poste dans la ville de Szeged, seconde cité de Hongrie par son nombre d'habitants. Il devient le chef de l'Harmonie militaire car la place se retrouve vacante par un amusant jeu de chaises musicales : le titulaire du poste s'en va remplacer le père de Fricsay à Budapest, suite à la retraite de ce dernier. Dans le même temps, le jeune chef est élu à la direction musicale du Philharmonique de Szeged, un orchestre de 53 musiciens. Ces deux postes lui demandent un grand écart vestimentaire : la tenue de soirée pour les concerts du philharmonique, mais la tenue militaire de rigueur, sabre de parade compris, pour les prestations de l'Harmonie. Si Ferenc Fricsay monte en grade du côté militaire (il passe de sergent à capitaine), son cœur bat plus pour les symphonies qu'il dirige à la tête de ses philharmonistes que pour les pas-redoublés et les marches en tous genres. Il n'empêche cette redoutable école et cette flexibilité stylistique forment le musicien aux exigences du métier de chef et lui imposent une créativité totale : arrangeur, manageur, programmateur et même compositeur. Le public de Szeged est en admiration devant ce jeune homme qui n'hésite pas à fusionner son harmonie et son orchestre pour offrir au public la meilleure qualité musicale possible et affronter quelques chevaux de bataille. En 1939, il effectue ses débuts dans la fosse de l'Opéra de Budapest.
La Seconde Guerre mondiale vient bouleverser cette ascension. En 1942, il est traduit en justice par le gouvernement de Miklós Horthy. Il est accusé d'avoir du sang juif et d'embaucher des musiciens juifs. En 1944, la Hongrie est envahie par les troupes hitlériennes et la Gestapo recherche la famille Fricsay. Le chef et les siens doivent vivre clandestinement à Budapest.
En 1945, la vie musicale hongroise est à reconstruire. On vient de lui offrir la direction de l'orchestre Métropolitain (désormais Philharmonique de Budapest) et de l'Opéra de Budapest. En 1946, il est invité à diriger Carmen au Volksoper de Vienne. En 1947, il va passer une nouvelle étape : celle de la reconnaissance internationale. Le Festival de Salzbourg commande au très rigide compositeur autrichien Gottfried von Einem un nouvel opéra intitulé La Mort de Danton. La scénographie était dévolue au grand metteur en scène Caspar Neher et la direction musicale était confiée à Otto Klemperer et des chanteurs de l'envergure de Paul Schöffler ou Julius Patzak se partageaient les rôles titres. Cependant, le chef était annoncé malade et la direction du festival prit les devants en lui trouvant une doublure. À cette époque, les forces musicales de Budapest se produisaient régulièrement lors de la saison salzbourgeoise et le nom de Fricsay était apprécié et déjà assez réputé chez les mélomanes. Le jeune chef accepta aussitôt la proposition de suppléer son collègue. Le succès fut phénoménal et Fricsay fut aussitôt réinvité pour de nouvelles créations mondiales en 1948 avec Zaubertrank (le Vin herbé) de Frank Martin et en 1949 avec Antigone de Carl Orff.
En 1949, on le réclame à Berlin. En effet, la responsable musicale berlinoise Elsa Schiller avait été bluffée par le chef lors de ses apparitions salzbourgeoises. La division de la ville, qui est encore un champ de ruines, sur fond de Guerre froide, nécessite la reconstruction d'une vie musicale que les Alliés souhaitent la plus qualitative possible. Fricsay prend la tête de l'opéra et d'un nouvel orchestre radiophonique, fondé en 1946, sous le nom de RIAS-Symphonie-Orchester (RIAS signifiant Rundfunk im amerikanischen Sektor). En 1949, il grave le premier disque de l'orchestre : le Concerto pour violon de Tchaïkovski avec Yehudi Menuhin en soliste pour la Deutsche Grammophon Gesellschaft. La firme discographique lui signe un contrat d'exclusivité à une époque où les débuts du disque vinyle imposent la constitution d'un catalogue étoffé.
Au début des années 1950, Fricsay est un chef que l'on s'arrache. Il fait ses débuts aux festivals d'Edinburgh et de Glyndebourne, il s'envole en Argentine, et dirige à Paris, Milan, Boston, San Francisco. En 1954, il accepte la direction de l'Orchestre de Houston, mais il démissionne presque aussitôt. Le communiqué officiel fait état de dissensions artistique dans le management, mais la vraie raison semble fiscale : Fricsay aurait du déclarer aux USA la totalité de ses revenus mondiaux pour lesquels il était déjà imposé ailleurs. Cet épisode n'entrave en rien l'ascension du chef qui dirige au Festival de Lucerne et à la tête du jeune philharmonique d'Israël.
En 1956, il accepte la direction de l'opéra de Munich. Il marque le public par sa direction dans Wozzeck, Lucia di Lammermoor ou Otello. En 1958, il dirige les Noces de Figaro pour la réouverture du théâtre Cuvilliés, mais il renonce au poste de directeur musical, déjà diminué par la maladie. Il se concentre sur Berlin où il reste chef de l'orchestre radio-symphonique de Berlin-Ouest, renommé Radio-Symphonie-Orchester suite au retrait des financements américains. En 1959, il est à la tête des forces chorales et instrumentales de la radio de Berlin pour l'inauguration du nouveau grand studio radiophonique. Ce concert qui confronte Kodály et Mozart, est le premier diffusé en stéréophonie par la radio allemande.
Malgré les soucis de santé, l'année 1961 est à marquer d'une pierre blanche dans la carrière du chef. Il dirige une nouvelle production d'Idomeneo de Mozart au Festival de Salzbourg, il donne la création mondiale de la Symphonie de Zoltán Kodály au festival de Lucerne et il assure l'inauguration du nouveau bâtiment du Deutsche-Oper de Berlin avec un Don Giovanni de légende. En novembre, il dirige le premier workshop télévisé de l'orchestre berlinois qui alterne extrait des répétitions et performance d'une partition. Mais, épuisé par la maladie, il donne, le 7 décembre 1961, son dernier concert à la tête du London Philharmonic Orchestra dans la Symphonie n°7 de Beethoven. Ferenc Fricsay décède le 20 février 1963 à Bâle des suites d'un cancer de l'estomac. En 1962, l'ouvrage Über Mozart und Bartók, est publié à titre posthume ; Fricsay y parle de ses deux compositeurs préférés.
Le style et le répertoire
Fricsay était profondément admiré par les musiciens, ainsi Yehudi Menuhin déclara qu'il était « l'un des plus grands chefs du monde et personne [n'avait] certainement plus de talent que lui ». Formé à une totale flexibilité stylistique, Fricsay passait sans problème des symphonies aux concertos en passant par l'opéra et la musique chorale. Son art associait une grande précision du geste et une force dramatique puissante. Dès lors, peu de ses interprétations sonnent datées. Ses enregistrements des opéras de Mozart comme Don Giovanni ou l'Enlèvement au Sérail, malgré le poids des ans, restent des classiques des discographies. Son Tchaïkovski reste un modèle absolu d'engagement musical et d'absence de minauderies ou de mièvreries faciles. Trace d'un héritage paternel et de sa pratique de l'harmonie militaire, il excellait dans la légère quelle soit autrichienne (valses et polkas de la famille Strauss) ou italienne (ouvertures de Rossini) où son sens naturel des couleurs et sa solidité rythmique font merveille. Ses accompagnements de concertos, aussi attentifs que soignés et précis, restent également exemplaires et des solistes comme Yehudi Menuhin, Annie Fischer ou Géza Anda, se délectaient de jouer sous sa direction.
Fricsay œuvra énormément pour la reconnaissance de l'œuvre de Bartók dont il laisse des gravures historiques essentielles. Mais il se démena également pour d'autres compositeurs comme Alban Berg dont il donna, à Berlin, la première audition, en République fédérale allemande, du Concerto pour violon avec Rudolf Schulz en soliste (1952). Défenseur de la musique contemporaine, il initia à Berlin une série de concerts spécifiques centrés sur les créateurs de son temps.
Le centenaire
Le centenaire Fricsay est célébré en Hongrie en particulier à Szeged et Budapest qui organisent une série d'évènements dont un mini festival Fricsay à l'automne avec une exposition et la parution d'un livre. À Berlin, un concert du centenaire sera organisé à la Philharmonie avec l'orchestre radio-symphonique actuel. L'ouvrage Über Mozart und Bartok sera également traduit en japonais. Du côté de la Deutsche Grammophon, on est en passe de ressortir l'intégralité du legs du chef sous forme de gros coffrets reprenant les couvertures des disques de l'époque (le volume n°1 réunissant les gravures orchestrales est disponible sous la référence : 0289 479 2691 7). Si l'on veut faire des économies, on peut toujours revenir au formidable coffret Bartók, édité chez Audite.
Modifié le 22/10/2024 à 18h33
Ferenc Fricsay est mort en février 1963 et non en décembre 1961 comme cet article le raconte.
Merci pour votre vigilance.
Avec toutes nos excuses