Le Festival Musique dels-Monts à l’heure espagnole
Situé en Catalogne du Nord, entre mer et montagne, au flanc des Albères, le petit village de Villelongue-dels-Monts accueillait pour la troisième année consécutive le festival Musiques dels-Monts initié par un enfant du pays, Florent Pujuila, clarinette solo de l'Orchestre de chambre de Paris et professeur au CRR de Rueil-Malmaison, désireux de donner la musique en partage à tous les habitants de son village natal. Au rythme de 8 à 9 concerts par jour, sur la « Grande scène » du village comme sur le parvis de l'église, dans les rues et les bois ou au Prieuré Santa-Maria del Vilar, splendide bâtisse romane du XIème siècle, ont résonné durant quatre jours toutes les musiques, de la formation de chambre aux fanfares de plein air, en passant par l'improvisation, le Flamenco et la création contemporaine. Au Festival s'adjoint une académie, quelques 110 étudiants pour 25 professeurs, véritable vivier de musiciens qui ont participé à la manifestation, lui donnant son rythme et ses couleurs: celles des cultures ibériques plus particulièrement, thème retenu pour cette édition 2014 qui invitait les plus grands noms de la scène internationale.
C'est Jordi Savall qui lançait les festivités ; devant quelques 700 auditeurs, il était seul sur scène et sous les étoiles, avec sa viole de gambe dont une légère amplification nous permettait d'apprécier au mieux les sonorités intimistes. Préludant avec K.F.Abel (Arpeggiata) et J.S.Bach (Allemande), il passait ensuite au répertoire français plus élégiaque avec Monsieur de Sainte Colombe auquel étaient associés Marin Marais et Monsieur De Machy, dans des pièces célèbres autant qu'incontournables pour le répertoire soliste de la viole de gambe comme Les Voix Humaines. Il revenait ensuite au répertoire plus pittoresque, voire humoristique, de la viole anglaise du XVIème siècle avec Tobbias Hume, un mercenaire et néanmoins compositeur et gambiste très original. Jordi Savall donnait toute la saveur percussive et l'originalité des quelques pièces extraites du Tobias Hume Musicall Humors où la viole de gambe est jouée col legno battuto (avec le bois de l'archet sur la corde). Modifiant l'accord de son instrument lui permettant de jouer la main gauche en pizzicato, le maître catalan poursuivait avec des pièces d'anonymes anglais extraits de la « lyra-viol », dans un jeu se rapprochant davantage du luth. Le musicien s'adressait très chaleureusement au public pour présenter et expliquer l'évolution et la technique de son instrument au cours des siècles. Il finissait avec des extraits très festifs du Manuscrit de Manchester du début du XVIIème siècle, exigeant un accordage encore différent de la viole pour faire entendre un « bourdon » qui imite ici la cornemuse.
Le lendemain, au Prieuré du Vilar dominant le village, Nicolas Mirbel et Pablo Schatzman, violons, Garth Knox, alto et Renaud Déjardin, violoncelle, artistes internationaux bien connus qui participaient à l'académie, se retrouvaient en soirée pour jouer le Quatuor à cordes de Maurice Ravel et Oración del torero de Joaquin Turina, deux oeuvres superbement interprétées par des musiciens très investis. La troisième pièce, remportant tous les suffrages, était de Garth Knox lui-même, altiste renommé mais pas seulement… Compositeur et improvisateur, il se tourne vers la création contemporaine autant que vers les traditions populaires. Sa composition, The Weaver's Grave (La tombe du tisserand) écrite en 2010 pour quintette à cordes (Olivier Marin, alto, en sus), s'appuie sur une histoire irlandaise un rien cocasse qu'il racontait avec beaucoup d'humour. Sa musique communiquait fraicheur et spontanéité rythmique sous l'archet véloce des instrumentistes et à la faveur d'une écriture où se rejoignent très librement écriture savante et melos irlandais.
Dans le coeur du village cette fois, aux alentours de minuit, c'est Benat Achary qui investissait la Grande Scène, accompagné de son fils Julien Achary, batteur, percussionniste et chanteur de grand talent, et du pianiste, remarquable lui-aussi, Michel Queuille: une formation en trio particulièrement bienvenue au sein de laquelle le chanteur basque faisait converger une somme d'influences, la chanson populaire, le jazz, les rythmes afro-cubains… qu'il s'appropriait à sa manière singulière autant que poétique. Cet improvisateur hors norme, jouant des divers registres de sa voix – avec ses sonorités subliminales en voix de tête si particulières – nous envoûtait ce soir. Son improvisation à voix nue avec son fils Julien, révélant quant à lui une couleur de voix si spécifique dans le chant de moisson qu'il donnait en basque, était un des moments privilégiés de cette prestation.
Mais la soirée n'était pas terminée, se poursuivant dans les bois alentour où, au gré d'une traversée nocturne à laquelle était convié le public, apparaissaient, par surprise, ici un hautbois (Sébastien Giot), là un basson (Henry Roman), ailleurs une guitare (Pierre Millan) ou encore le piano-jouet de Wilhem Latchoumia ; tous les musiciens étaient munis d'une torche frontale pour donner leur sérénade un rien tardive – mais le festival était à l'heure espagnole! – et non moins réussie.
Crédit photographique : Florent Pujuila / DR ; Garth Knox © Pierre-Emmanuel Rastoin