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Munich. Prinzregententheater. 25-VII-2014. Claudio Monteverdi : L’Orfeo, favola in musica en cinq actes et un prologue sur un livret d’Alessandro Striggio. Mise en scène : David Bösch ; décors : Patrick Bannwart ; costumes : Falko Herold. Avec : Christian Gerhaher (Orfeo) ; Anna Virovlansky (Euridice) ; Anna Bonitatibus (Messaggiera, Proserpina) ; Andrea Mastroni (Caronte) ; Angela Brower (Musica, Speranza) ; Andrew Harris (Plutone) ; Mauro Peter (Apollo) ; Mathias Vidal, Jeroen de Vaal, Gabriel Jublin, Thomas Faulkner (Pastori, Spiriti) ; Lucy Knight (Ninfa) ; Zürcher Sing-Akademie ; Monteverdi-Continuo-Ensemble, Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction : Ivor Bolton.
Au diable les nuances : cet Orfeo est une des grandes soirées d'opéra dont on se souvient encore des décennies plus tard. C'était écrit sur le papier avant même la première, mais on sait que les promesses de papier sont souvent des mensonges.
Ici, pourtant, même les plus hautes attentes n'ont pas été déçues par un trio d'artistes au sommet de leurs moyens. La star de la soirée, bien sûr, c'est Christian Gerhaher, qu'on n'attendait pas forcément dans ce répertoire baroque et italien, lui, le suprême Liedersänger du XXIe siècle. De ce qu'on connaît de lui, il a su emporter dans cette nouvelle expérience ce qu'il fallait, le sens des mots, la conduite du discours, la pudeur et l'élan intérieur, avec une capacité proprement sidérante à faire entendre le moindre pianissimo comme s'il parlait à l'oreille de chaque spectateur ; mais il y a ajouté ce qu'on ne soupçonnait pas, une italianità qui est bien plus qu'une simple affaire de prononciation, même si on n'entend pas souvent une telle précision dans la coloration des voyelles qui le distingue de l'italien international qui peuple les scènes d'opéra. Premier triomphe.
Dans la fosse, c'est Ivor Bolton qui officie, comme si souvent à Munich pour les opéras baroques et Mozart, et ce depuis de nombreuses années. L'orchestre dans la fosse n'est pas composé de spécialistes jouant sur instruments anciens, mais de membres de l'orchestre régulier de l'opéra augmenté d'instrumentistes invités pour le continuo. Cette solution exemplaire sonne avec un naturel et des couleurs qui n'ont rien à envier à ce que les orchestres spécialisés ont pu faire de mieux. Bolton, qu'on aimerait d'ailleurs entendre plus souvent en France, a en outre un sens du théâtre, de la pulsation, et un sens du chant aussi où le travail du son n'est jamais pur accompagnement ni simple amour du son pour lui-même : cet orchestre-là porte les mots et les voix comme rarement. Deuxième triomphe.
Et il y a la mise en scène de David Bösch. Bösch travaille comme d'habitude avec le décorateur Patrick Bannwart, et comme d'habitude celui-ci a dessiné une scène où le noir est la couleur dominante. Comme d'habitude, et comme d'habitude avec une pertinence qui montre la profondeur d'analyse des artistes chargés de faire vivre l'œuvre de Monteverdi. On pourra ne pas aimer l'image d'Orphée en chanteur seventies, tendance flower power ; mais Bösch ne joue jamais l'actualisation pour elle-même. Ce qui compte ici, c'est d'asseoir cette atmosphère presque exaltée du début de l'opéra, cette réjouissance qui pourrait paraître naïve. Dans cette utopie juvénile, on remarque vite qu'Orphée alias Gerhaher détone un peu, moins vif, moins souriant que ses jeunes amis : c'est qu'Orphée, nostro semideo, n'est pas tout à fait comme eux, en effet, et Bösch n'a pas besoin de grands moyens pour le faire voir. Lorsqu'Orphée, ensuite, arrive aux Enfers, la scène est dominée par des formes fantomatiques, tête renversée, les âmes des morts qui émeuvent parce qu'on sent encore le lien ténu qui les lie à l'humanité vivante ; et ce n'est qu'Eurydice une fois retournée aux Enfers qu'un subtil changement d'éclairage vient étreindre le cœur des spectateurs : cette fois, c'est bien la mort sans masque qu'on aperçoit. La beauté de Bösch et Bannwart n'est pas esthétisante ni confortable, mais elle est d'une force inouïe. Troisième triomphe.
On pourrait en rester là, ou continuer à louer la force du spectacle. Ce serait injuste pour les autres interprètes, cependant, qui ne déméritent certainement pas : tous les pasteurs, à vrai dire, sont loin d'être aussi convaincants que Mathias Vidal ; mais Angela Brower, pour qui Bösch a construit un rôle de fil conducteur d'une puissante séduction, mérite bien mieux qu'une mention en passant : elle sait faire fructifier la direction d'acteurs exceptionnelle de Bösch et chante avec une grâce et une légèreté égales à sa prestance scénique. Anna Bonitatibus, elle, chante les deux rôles les plus dramatiques, et l'intensité de sa prestation est justement fêtée par le public. L'Eurydice d'Anna Virovlansky a le visage de la jeunesse, elle en a aussi la voix. Le travail d'équipe est certainement le maître-mot de cette soirée où l'enthousiasme des interprètes est contagieux ; mais les artistes réunis ne nous en voudront pas si c'est la sainte trilogie Gerhaher/Bolton/Bösch qui nous marque le plus vivement. Il faut vivement espérer que les trois représentations prévues en juillet 2015 ne seront pas la seule reprise d'une production qui mériterait au moins les honneurs du DVD.
Crédits photographiques : Christian Gerhaher ; Angela Brower © Wilfried Hösl
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Munich. Prinzregententheater. 25-VII-2014. Claudio Monteverdi : L’Orfeo, favola in musica en cinq actes et un prologue sur un livret d’Alessandro Striggio. Mise en scène : David Bösch ; décors : Patrick Bannwart ; costumes : Falko Herold. Avec : Christian Gerhaher (Orfeo) ; Anna Virovlansky (Euridice) ; Anna Bonitatibus (Messaggiera, Proserpina) ; Andrea Mastroni (Caronte) ; Angela Brower (Musica, Speranza) ; Andrew Harris (Plutone) ; Mauro Peter (Apollo) ; Mathias Vidal, Jeroen de Vaal, Gabriel Jublin, Thomas Faulkner (Pastori, Spiriti) ; Lucy Knight (Ninfa) ; Zürcher Sing-Akademie ; Monteverdi-Continuo-Ensemble, Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction : Ivor Bolton.