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Cité de la Musique 14-VI-2014. Festival Manifeste. György Ligeti (1923-2006): Lux Aeterna pour choeur à seize voix; Hans Zender (né en 1936): Por qué?/Warum?, pour choeur mixte a capella; Raphaël Cendo (né en 1975): Registre des lumières pour choeur, ensemble instrumental et électronique. SWR Vokalenensemble Stuttgart; Ensemble musikFabrik; Grégory Beller, réalisation informatique musicale; équipe technique IRCAM; direction Marcus Creed.
Initié par L'IRCAM et son directeur Franck Madlener, Manifeste est à la fois un Festival, une Académie et des « Portes ouvertes » sur la création, son questionnement, ses outils et l'avancée technologique qu'ils induisent. Cette troisième édition où les noms de Pierre Guyotat et Michel Foucault voisinent ceux de George Benjamin et Philippe Leroux est placée sous le signe de la transgression, un geste qui repousse la frontière du musical pour s'immiscer dans d'autres domaines des arts et de la connaissance: ainsi la poésie, le théâtre, la danse, l'image, la philosophie… seront autant d'expressions sollicitées pour témoigner que « le monde ne reste pas en dehors de l'atelier du compositeur » selon les termes mêmes de Frank Madlener.
Le festival proposait d'ailleurs en ouverture un « grand soir » au cours duquel s'interpénétraient les sons, les mots, les images et l'art performatif. Dans les locaux de l'IRCAM d'abord, on assistait à la lecture/performance de Stanilas Nordey s'appropriant la langue très sonore de Pierre Guyotat dans un extrait de l'ouvrage somme de l'écrivain, Joyeux animaux de la misère achevée en 2014. L'électronique d'Olivier Pasquet offrait un espace /paysage sonore au texte superbement incarné par la voix du comédien. En seconde partie de soirée, dans la Grande Salle du Centre Pompidou, c'est la pièce Seven songs for sunrise d'Helmut Hoering qui sonorisait le film de F.W. Murnau, L'aurore, chef d'oeuvre du cinéma muet auquel la musique du compositeur allemand apportait un contrepoint sensible et très épuré, une manière de « débusquer l'invisible » selon l'expression du musicien. En toute fin de soirée, la performance de l'artiste allemand Robert Henke dans l'Espace de projection mobilisait l'oeil autant que l'oreille, à la faveur d'une technologie très prospective que développe cet icône des arts numériques sous le label Monolake.
En co-production avec la Cité de la Musique, ManiFeste accueillait quelques jours plus tard, dans la Salle des Concerts de la Cité, le SWR Vokalensemble de Stuttgart et la phalange de Cologne musikFabrik pour la création française de Registre des lumières, une nouvelle oeuvre de Raphaël Cendo donnée en création française et commandée au compositeur par Françoise et Jean-Philippe Billarant. C'est le deuxième volet d'un diptyque débuté en 2009 par Introduction aux ténèbres qui associait à l'ensemble instrumental une voix de basse, une contrebasse et l'électronique. Registre des lumières réunit cette fois un choeur mixte, un ensemble et l'électronique pour nous plonger dans le mystère de nos origines. C'est « un voyage dans le temps commençant au début de l'univers jusqu'à aujourd'hui » nous dit le compositeur qui établit un véritable livret en trois chapitres sur lequel il bâtit sa composition. Les paroles empruntent à l'introduction du premier livre des Métamorphoses d'Ovide, au texte de la Genèse et à celui d'Héraclite; le compositeur conserve le latin et brosse une longue fresque de 45 minutes où il réalise avec une maîtrise accomplie l'intégration fusionnelle et expressive des forces en présence.
L'espace est toujours très réverbéré et les voix, dont le grain interfère avec la source instrumentale, sont souvent murmurées ou interviennent par nappes très fluides et profondes. Cendo forge une matière bruissante d'échos étranges et de rumeurs envahissantes qui progressent par vagues jusqu'à des seuils d'intensité. Outre la puissance résonnante de la clarinette basse et de la flûte contrebasse, le pupitre pléthorique des percussions, l'action singulière des archets et celle du pianiste dans les cordes de l'instrument sont particulièrement sollicités pour insuffler l'énergie du son et jouer très efficacement sur ses distorsions. Cendo balise sa grande forme par deux interludes instrumentaux particulièrement impressionnants qui charrient des sonorités flamboyantes relayées par l'électronique et la spatialisation.
« Mémoire de ces lumières émettrices d'un lointain passé », selon les termes du compositeur, Registre des lumières est aussi l'alliance d'un souffle quasi métaphysique et d'une matière sonore incandescente révélés par la qualité d'un choeur et d'un ensemble superbement conduits par Marcus Creed.
Si la pièce de Hans Zender Por qué? / Warum? pour choeur mixte a capella qui précédait la création de Cendo ne retenait guère notre attention, Lux Aeterna de György Ligeti, interprété à la perfection par le SWR Vokalensemble Stuttgart sous le geste éminemment sensible de son chef, créait d'emblée l'émotion par la couleur inouïe des voix tout à la fois fragiles et déshumanisées.
Crédit photographique : Raphaël Cendo © Jean Radel
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