Plus de détails
Le baryton-basse italien Luca Pisaroni est l'une des voix incontournables du moment. Réputé pour ses interprétations des grands rôles de Mozart, il aime relever les défis tout en équilibrant son emploi du temps entre les récitals et la scène. À l'occasion d'un concert avec le légendaire Thomas Hampson, il se confie à ResMusica.
« La vérité est que vous ne savez pas si un rôle vous convient jusqu'à ce que vous le fassiez sur scène »
ResMusica : Vous chantez de plus en plus en récital. Cette évolution est-elle naturelle dans votre carrière ?
Luca Pisaroni : Chanter en récital est devenu une partie très « spéciale » de ma carrière. J'ai toujours voulu être un chanteur « complet » en ce sens que mon emploi du temps idéal est un bon équilibre entre les représentations d'opéra, les concerts et les récitals. J'adore l'opéra, mais je ne pouvais pas imaginer ma carrière en me limitant exclusivement au lyrique. Je crois que chanter des lieder et des mélodies fait de vous un meilleur musicien. Je chéris le cadre intime du récital et la possibilité de « raconter une histoire » avec un très large éventail de possibilités musicales et dramatiques. La relation de travail avec mon pianiste Wolfram Rieger est aussi l'une des expériences musicales les plus satisfaisantes de ma carrière.
RM : Vous chantez en duo avec Thomas Hampson. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ? Comment choisissez-vous le répertoire des concerts ?
LP : J'étais un grand admirateur de Thomas bien longtemps avant de travailler avec lui pour la première fois à Salzbourg en 2002. Partager la scène avec Thomas est électrisant. Il est un partenaire merveilleux avec une énergie débordante et avec lui tous les artistes doivent élever leur niveau de jeu. Je crois que le public peut ressentir notre connexion artistique et la façon dont nous jouons par rapport à l'autre. Nous n'avons même pas à répéter beaucoup les scènes. Tout se base sur la spontanéité. Nous avons choisi le répertoire afin d'avoir un bon équilibre entre les pièces les plus spectaculaires – comme Don Carlo de Verdi et Il Puritani de Bellini – et les plus légères – comme Don Giovanni de Mozart et Don Pasquale de Donizetti. Je pense que nos concerts ont un bon arc dramatique et il y a quelque chose pour tous les gouts du public.
RM : Comment choisissez-vous vos rôles dans le cadre du développement de votre carrière ?
LP : Je choisis toujours des rôles qui sont un défi pour moi soit à titre vocal, à titre spectaculaire ou les deux. J'apprécie en particulier les rôles qui ont un développement tout au long de l'opéra. Je m'efforce toujours de créer quelque chose d'unique avec le rôle que je travaille. J'essaie de choisir des rôles qui conviennent à ma voix car je crois à la protection de « mon instrument » en choisissant le répertoire adéquat. Mais je suis aussi fermement convaincu que de temps en temps vous devez pousser vos limites et faire quelque chose qui vous fait un peu peur. J'ai fait plusieurs choses à priori effrayantes … comme un Maometto II de Rossini à Santa Fe aux USA. Je travaillais sur le rôle depuis longtemps et parfois j'ai eu des doutes (d'autant plus que Santa Fe est à 2000m et l'altitude et le fait de chanter est beaucoup plus difficile), mais il s'est avéré que ce fut l'un de mes meilleurs rôles. La vérité est que vous ne savez pas si un rôle vous convient jusqu'à ce que vous le fassiez sur scène.
RM : Vous avez chanté de nombreux rôles de la trilogie Mozart-Da Ponte. Est-ce que vous pensez aborder Don Giovanni ?
LP : Absolument ! Après de nombreuses années à chanter « Figaro », « Guglielmo » et « Leporello » je pense qu'il est temps de se déplacer vers le « Comte » et « Don Giovanni ». J'ai chanté le « comte » à plusieurs reprises et c'est un rôle que j'aime car il est incroyablement gratifiant. Les actes II et III sont tout simplement de merveilleux défis dramatiques. Je suis très impatient de mon premier « Don Giovanni ». C'est le voyage fascinant d'un être humain énergique et impitoyable qui veut se confronter avec le surnaturel. Je pense que l'un des meilleurs moments jamais écrits dans l'histoire de l'opéra est le finale de l'acte II et je suis très impatient de cette confrontation avec le « Commendatore ».
RM : Vous avez chanté avec de très grands chefs, quelles sont les collaborations qui vous ont marquées ?
LP : Le chef d'orchestre qui m'a certainement le plus influencé, c'est Nikolaus Harnoncourt. Il était mon chef d'orchestre pour mes débuts en « Masetto» au Festival de Salzbourg en 2002 et je peux dire que notre première collaboration a changé la façon dont je vois la musique pour toujours. Harnoncourt est force pure pour moi. Sa passion, la connaissance, l'engagement et le respect pour la musique transforment tout ce qu'il touche. Il vous donne envie d'être le meilleur possible en tant que chanteur et musicien. Je pense qu'il est un peu « fou » mais c'est une « bonne folie » qui nous élève et nous rend meilleurs en tant qu'êtres humains.
RM : Vous venez de chanter la Symphonie sacrée de Flavio Testi. Pouvez-nous parler de cette partition ?
LP : La Symphonie sacrée a été ma première rencontre avec la musique contemporaine. Je suis très heureux d'avoir fait mes débuts avec cette pièce sous la conduite de maestro Daniele Gatti, qui était un ami de Flavio Testi et qui connaît très bien sa musique. J'ai trouvé la pièce très puissante avec des structures tonales très intéressantes. J'ai été particulièrement impressionné par la grande utilisation des cuivres.
RM : Vous êtes amoureux des chiens. Vos deux animaux favoris Lenny et Tristan figurent en bonne place sur votre site internet. Est-ce qu'ils vous accompagnent lors de vos voyages ?
LP : Lenny et Tristan voyagent toujours avec moi. J'aime les avoir à mes côtes. Ils me font me sentir à la maison partout où je vais et ils me gardent les pieds sur terre. La chose que j'aime le plus est mon après-midi de promenade avec eux avant un spectacle. Ces promenades m'aident à me concentrer et me préparer pour le spectacle. J'aime aussi notre marche de fin de soirée marche après une représentation – c'est un bon moyen pour se détendre et se relaxer après toute cette montée d'adrénaline.
RM : Vous avez déclaré avoir décidé très tôt de devenir chanteur d'opéra ? Qu'est ce qui vous a décidé à suivre ce chemin ?
LP : J'ai décidé de devenir un chanteur d'opéra quand j'avais 11 ans. Je dois ma passion pour l'opéra à deux personnes – mon grand-père et Luciano Pavarotti. Mon grand-père Franco m'a introduit à l'opéra quand j'avais 9 ans. Je me souviens encore écouter Boris Christoff chanter « Ella giammai m'amò » de Don Carlo de Verdi. J'ai été totalement pétrifié et fasciné. C'est à cause de Pavarotti et sa voix magnifique que j'ai décidé très tôt que mon destin était de devenir chanteur d'opéra. Je suis très chanceux parce que j'ai réussi à réaliser mon rêve et de faire de ma passion, mon métier.
RM : Vous avez suivi des cours avec Carlo Bergonzi. Qu'avez-vous retenu de son enseignement ?
LP : J'avais 14-15 ans quand je suis allé écouter les classes de maître de Carlo Bergonzi dans ma ville natale de Busseto. Même si je n'ai jamais directement travaillé avec lui – car ma voix changeait à l'époque- je sens que j'ai pris d'innombrables choses des classes de maître avec lui. En fait, je passais des journées à l'écouter enseigner. J'ai appris beaucoup d'éléments sur le phrasé, le style et la diction. Je crois que Bergonzi a été l'un des plus élégants ténors verdiens de sa génération. Sa façon de « porgere la voce » et son sens du style font de lui un excellent modèle non seulement pour le répertoire de Verdi, mais aussi pour l'ensemble du répertoire italien.