Plus de détails
Vitry-sur-Seine. Théâtre Jean-Vilar. 18-V-2014. Chantier Woyzeck, opéra de chambre d’Aurélien Dumont pour 10 musiciens, 8 chanteurs et 4 enfants, sur un livret de Dorian Astor, d’après les manuscrits du Woyzeck de Georg Büchner ; commande de la Péniche Opéra ; mise en scène Mireille Larroche, scénographie, éclairages Thibaut Fack, chorégraphie Francesca Bonato, vidéo Gabriele Alessandrini. Estelle Béréau, Marie, Hélène Fauchère, Margret; Caroline Chassany, Louise; Rodrigo Ferreira, Woyzeck ; Guilhem Terrail, le « Tambour major » ; Christophe Crapez, le « Docteur » ; Vincent Bouchot, le « Capitaine » ; Virgile Ancely, Andres, le « Bonimenteur » ; les enfants de la Maîtrise des Hauts de Seine, Des enfants. Ensemble 2e2m ; direction : Pierre Roullier
Chantier Woyzeck, le titre de l'opéra d'Aurélien Dumont, donné en création mondiale au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, prend ici un triple sens: celui du contexte de l'action située dans un quartier en chantier, une cité qu'on est en train de démolir, où les douze personnages, sorte de communauté sans normalité ni humanité, squattent un terrain vague baptisé « le plateau » parce qu'il surplombe la ville.
Chantier Woyzeck, c'est aussi la référence à l'état du manuscrit que Georg Büchner a laissé à sa mort, en 1837, alors qu'il avait 23 ans. L'ordre des différentes scènes du drame inspiré d'un fait divers, dont Berg va s'emparer dès 1913, n'a pas été fixé par l'auteur, qui laisse d'ailleurs deux esquisses de la pièce offrant des différences sensibles. A la suite de Karl Emil Franzos, qui a établi une édition critique de l'œuvre intégrale de Büchner, Paul Landau publie en 1910 une nouvelle version, titrée Wozzeck, créée à Munich trois plus tard et d'après laquelle Alban Berg écrira son propre livret.
Dorian Astor, quant à lui, remonte à la source et s'empare des fragments de la pièce de Büchner pour élaborer le livret d'un opéra « pour notre temps », en français et en 8 tableaux, 15 scènes et un épilogue. On y retrouve les mêmes personnages que chez Berg – Louise en sus – mais leur personnalité y est moins dessinée: ni Le « Docteur », ni Le « Capitaine » n'endossent véritablement leurs rôles de supérieurs. Ils s'expriment également dans le même registre que les autres personnages, Dorian Astor optant pour un langage direct et percutant.
Chantier Woyzeck, c'est enfin un travail de terrain, deux semaines de répétition au cœur de la cité Balzac, une résidence au Collège Paul Valéry à Thiais et des ateliers avec les élèves des écoles et du Conservatoire de Vitry-sur-Seine. Des actions qui se sont déroulées au rythme de la création, avec interprètes, compositeur et librettiste, tous investis dans l'œuvre en train de se faire.
L'histoire est celle d'un soldat pauvre, méprisé par ses supérieurs – un « capitaine » et un « docteur » à la sagesse bestiale – et dévoré par la jalousie, qui assassine sa compagne. Rejeté par son entourage et victime d'hallucinations, il bascule dans la folie.
De la mise en scène un rien brouillonne de Mireille Laroche, on retient surtout la dimension de la vidéo – celle de Gabriele Alessandrini – associant la projection d'images de démolition assez impressionnantes et la captation live des visages des personnages dont l'impact visuel est toujours très percutant. La scénographie très économe, avec un lavabo comme chez Warlikowsky, ménage un « plateau » surélevé où guitaristes, steel-drummer et chanteur rock peuvent se produire.
S'emparant d'un sujet fort et porteur, Aurélien Dumont se lance dans une aventure sonore certes risquée – l'exemple de Berg en effraierait plus d'un ! – mais courageusement assumée. Il opte pour un effectif instrumental léger – dix instruments investissant « le plateau », dont deux guitares électriques, et un dispositif électronique. L'écriture très élaborée et regorgeant de trouvailles sonores joue souvent sur l'ambiguïté de la source électronique et du son instrumental parfois saturé – cordes, guitares électriques, steel-drum. Remarquable est la manière qu'a le compositeur de réagir à chaque situation dramatique pour trouver la couleur, le grain, l'alliage sonore qui nous mettent en phase avec la dramaturgie. Soustrait au regard du public mais non moins efficace, Pierre Roullier, à la tête de l'Ensemble 2e2m, détaille toutes les finesses de la partition.
L'écriture vocale est envisagée avec la même flexibilité, du parler au chanter, de l'inflexion lyrique à la déclamation chorale, en passant par le rap et le jeu rythmique des voix façon « Kechak » balinais. La chanson rock accompagnée par les guitares électriques, que Woyzeck chante en anglais juste après le meurtre de Marie (« l'était une fois un pauv'gamin ») relance très efficacement l'action. La prestation tant physique que vocale du contre-ténor Rodrigo Ferreira/Woyzeck, exploitant tous les registres expressifs de sa voix, est impressionnante; à ses côtés Marie/Estelle Béréau ne démérite pas, émouvante dans la scène 11 où elle lit la bible. L'Écriture sainte est évoquée de manière très allusive dans le livret mais le chœur se met à chanter un choral… Guilhem Terrail/ Le « Tambour-major », Christophe Crapez /Le « Docteur » et Vincent Bouchot/ Le « Capitaine », dans sa chaise roulante, injectent toute la brutalité et la violence de leur être névrosé. Hélène Fauchère / Margret, Caroline Chassany /Louise et Virgile Ancely /Andres (alias « le Bonimenteur » qui, au début de l'opéra, nous fait entrer dans sa « ménagerie » comme le dompteur de la Lulu de Berg) partagent cet espace commun et assument l'écriture chorale d'une belle efficacité au sein de la dramaturgie. Sur le flux diaphane de l'électronique, leur voix collective, dans l'épilogue, décrivant cliniquement la folie de Woyzeck avec une neutralité de ton glaçante, ponctuait l'opéra de manière terrifiante.
Crédit photographique : © Alex Bonnemaison
Plus de détails
Vitry-sur-Seine. Théâtre Jean-Vilar. 18-V-2014. Chantier Woyzeck, opéra de chambre d’Aurélien Dumont pour 10 musiciens, 8 chanteurs et 4 enfants, sur un livret de Dorian Astor, d’après les manuscrits du Woyzeck de Georg Büchner ; commande de la Péniche Opéra ; mise en scène Mireille Larroche, scénographie, éclairages Thibaut Fack, chorégraphie Francesca Bonato, vidéo Gabriele Alessandrini. Estelle Béréau, Marie, Hélène Fauchère, Margret; Caroline Chassany, Louise; Rodrigo Ferreira, Woyzeck ; Guilhem Terrail, le « Tambour major » ; Christophe Crapez, le « Docteur » ; Vincent Bouchot, le « Capitaine » ; Virgile Ancely, Andres, le « Bonimenteur » ; les enfants de la Maîtrise des Hauts de Seine, Des enfants. Ensemble 2e2m ; direction : Pierre Roullier
1 commentaire sur “Aurélien Dumont revisite Büchner dans Chantier Woyzeck”