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Comment la Scandinavie a sauvé Rachmaninov

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Jean-Luc Caron, musicologue spécialisé dans l’étude et la diffusion de la musique nord-européenne, entraîne depuis quelques années les lecteurs de Resmusica dans une ballade étonnante en pays scandinaves. Pour accéder au dossier complet : Brèves scandinaves

 

A l'heure où les manœuvres militaires de la Russie à la frontière ukrainienne inquiètent jusqu'à ses voisins scandinaves, ResMusica lève le voile sur les conditions méconnues qui ont permis à et à sa famille d'échapper aux révolutionnaires de 1917.

L'instabilité politique et sociale galopante de la Russie de 1917 s'aggravait dangereusement de jour en jour alors que le monde subissait encore les ravages de la Guerre mondiale depuis de nombreux mois. A la suite de l'abdication de Nicolas II et de la Révolution qui renversait les anciens équilibres et déchirait le pays, (1873-1943) évalua la situation dramatique de son pays et envisagea de le quitter au plus vite. A cette époque il travaillait sur la réécriture de son Premier Concerto pour piano tout en élaborant le Quatrième et dernier de la série.

La guerre, la fermeture des frontières, la constante menace que représentaient les révolutionnaires pour Rachmaninov et les exactions menées contre les possédants, ne lui laissaient guère d'espoir d'échapper au pire. Liés à l'aristocratie, les Rachmaninov avaient sans doute raison de craindre pour leur proche avenir. Rachmaninov avait lui-même déjà réalisé la majeure partie de sa carrière et sa célébrité ne pouvait que le desservir et faire craindre le pire pour son avenir physique et artistique. Les menaces ne pouvaient longtemps encore épargner sa famille et ses proches. Le climat social devenait rapidement intenable. L'injustice séculaire, la faim, la haine s'alliaient pour un règlement de compte aveugle dont le bilan devait se solder par des millions de morts de toute obédience.

La situation semblait totalement désespérée lorsque, miracle, il reçut une invitation officielle pour une tournée en Scandinavie.

Quittant seul Moscou, Rachmaninov gagna Saint-Pétersbourg où il retrouva sa famille, sa femme et ses deux filles. N'emmenant que le strict minimum et quelques précieuses partitions tous quittèrent légalement mais définitivement le pays le 23 décembre 1917. Le lendemain, ils entraient en train en Finlande et arrivèrent épuisés et démunis  à Stockholm le soir de Noël.

Sans argent, ruiné, désorienté, il se produisit dans de nombreuses villes de Suède et rencontra un éclatant succès. Les circonstances l'obligèrent à élargir sensiblement son répertoire et à travailler durement de nouvelles partitions. En janvier 1918,  il s'installa à Copenhague et remonta le niveau de ses  finances en jouant beaucoup en concerts. Il se présenta pour la première fois le 15 février face à l'Orchestre symphonique de Copenhague dirigé par l'excellent chef danois Georg Høeberg, un proche de Carl Nielsen,  ravissant ses auditeurs avec son célébrissime Concerto n° 2 en do mineur puis quelques jours plus tard  avec succès offrant un récital de ses compositions pour piano. Les concerts s'enchainèrent dans son pays d'accueil mais aussi à Stockholm sous la direction de Georg Schnéevoigt, autre grand défenseur de la musique de Sibelius, ainsi qu'à Oslo.

Son exil publiquement connu, la pérennité de la révolution à présent certaine, il reçut plusieurs offres intéressantes en provenance des Etats-Unis. Rachmaninov et les siens quittèrent Oslo le 1er novembre 1918 à bord du bateau norvégien « Bergensfjord » et ce malgré la dangereuse guerre navale qui faisait aveuglément rage dans l'Atlantique Nord.  Ils arrivèrent sans encombre à New York dix jours plus tard au moment de l'armistice.  Sauvés.

Entre chance aléatoire et chance calculée, Serge Rachmaninov eut l'opportunité de s'échapper du tumultueux climat  de la Révolution russe de 1917. Installé en Occident et la liberté assurée, il eut à redevenir pianiste virtuose pour vivre dans  le monde capitaliste. S'il dut mettre ses ambitions de compositeur en retrait, cet escapade scandinave salvatrice permit à son œuvre créatrice de voir sa renommée s'amplifier durablement sur tous les continents.

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