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Metz, les retrouvailles avec Vanessa de Barber

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Metz. Opéra-Théâtre de Metz-Métropole. 25-III-2014. Samuel Barber (1910-1981) : Vanessa, opéra en trois actes, sur un livret de Gian Carlo Menotti. Mise en scène : Bérénice Collet. Scénographie et costumes : Christophe Ouvrard. Chorégraphie : Anne Minetti. Lumières : Alexandre Ursini. Avec : Soula Parassidis, Vanessa ; Mireille Lebel, Erika ; Hélène Delavault, La Baronne ; Jonathan Boyd, Anatol ; Matthieu Lécroart, Le docteur ; Jean-Sébastien Frantz, Nicholas, Le majordome ; Anne Barthel, La gouvernante ; Yvan Serouge, Le servant. Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (chef des chœurs : Nathalie Marmeuse). Orchestre National de Lorraine, direction : David T. Heusel.

Déjà en octobre 2000, l'Opéra-Théâtre de Metz-Métropole avait été le siège de la création française du premier opéra de , ouvrage dont la destinée scénique semble être calquée sur celle de son héroïne.

Courtisée dans sa jeunesse, cette dernière renaît après une longue période de mise en sommeil… Composé sur un livret du compositeur , ami et compagnon de Barber dans la vie, l'opéra relate la rivalité amoureuse entre Vanessa et sa nièce Erika, toutes deux éprises du fils de l'ancien fiancé de Vanessa, Anatol. L'intrigue, de par son statisme assumé, évoquerait presque les pièces d'Ibsen ou Strindberg ; située dans un pays nordique au tout début du XXe siècle, elle s'inspire en réalité des Sept contes gothiques de l'écrivaine danoise Karen Blixen, dont elle retrace avec intelligence et doigté l'inquiétante étrangeté. Dans ce mystérieux univers ensommeillé, dans lequel les frustrations hystériques de trois femmes se reproduisent de génération en génération – ou bien s'agit-il de la même et unique femme, à trois âges de sa vie ? –, l'éveil de la Belle au bois dormant n'aura été qu'une fugace parenthèse, et l'on ne devine que trop ce que sera l'issue finale de l'union improbable entre Vanessa et le jeune Anatol. De Faulkner à Dickens en passant par le théâtre nordique, sans compter les multiples allusions et citations empruntées au monde de l'opéra, les échos intertextuels enrichissent un livret injustement accusé à une époque d'avoir été la cause de la désaffection dont a souffert un ouvrage que tout, objectivement, encouragerait aujourd'hui à redécouvrir. Intrigue habilement ficelée, souffle dramatique à toute épreuve, orchestration savante et subtile, écriture vocale d'un goût et d'un raffinement exquis, tels sont les ingrédients d'un ouvrage riche et puissant, dont on constate avec effarement qu'il n'a jamais été monté dans notre capitale. On rêve de ce que donnerait, dans un théâtre comme la Bastille, une mise en scène avec Renée Fleming, Joyce DiDonato et Jonas Kaufmann… La soi-disant absence de modernité dont l'opéra avait été taxé en son temps ne fait assurément plus sens aujourd'hui, où les accusations de trouver son inspiration dans les modèles pucciniens ou straussiens n'a pas le même poids qu'à la fin des années 1950.

La mise en scène proposée à l'Opéra-Théâtre de Metz-Métropole est la reprise d'un spectacle monté en mai 2012 au Théâtre Roger Barat d'Herblay (Val d'Oise). Les deux premiers tableaux, excessivement statiques, sont essentiellement dominés par le somptueux décor de Christophe Ouvrard dont la scénographie labyrinthique suggère à merveille cet univers onirique et mystérieux, à mi-chemin entre les horreurs gothiques d'un roman de Bram Stoker, la cruauté fantasque d'un conte de Grimm et l'évanescence d'une pièce de Tchekhov. La neige envahissante, les lustres de cristal dont la glace contraste avec le feu et les souffrances des trois femmes qui habitent ce monde délétère, la maison de poupées placée au centre du plateau au lever du rideau, tout cela offre le cadre idéal pour la dissection entomologique que vont traverser les principaux personnages du drame. L'occupation de l'espace, avec un ballet de serviteurs muets parfaitement orchestré, prépare le spectateur au huit-clos dramatique qui va suivre.

Le drame n'éclate véritablement qu'à partir de la toute fin du premier acte, lorsqu'il apparaît clairement que c'est l'histoire d'Erika qui est mise au premier plan. Maria Callas, qui avait décliné de créer le rôle de Vanessa, ne s'y était pas trompée… Ici, les masques d'animaux revêtus par les invités de la cérémonie des fiançailles, l'incongru rocher Ferrero qui signale la futilité et l'absurdité d'une union aussi improbable que celle de Vanessa et d'Anatol, fournissent autant d'éléments qui soulignent la fêlure et la fragilité d'un monde voué à l'échec. L'avant-dernier tableau, dominé par la présence au premier plan d'une Erika faisant jaillir de sa robe immaculée de larges rubans rouges, est de loin le plus réussi des trois ; la perte de l'enfant d'Erika, suggérée par l'opération chirurgicale qui se tient sur scène à l'abri d'un paravent, rend encore plus pathétique l'aveuglement de Vanessa, perdue à tout jamais dans des rêves et des illusions dont elle ne s'échappera plus jamais.

Comme la mise en scène semblait s'y prêter, le plateau est dominé par l'incroyable présence de , Erika à la voix longue, souple et joliment timbrée bien plus à son affaire que dans le précédent Indian Queen, donné dans ce même théâtre. Le soprano un rien crispé de lui donne la réplique, sans toutefois l'égaler en force de conviction. Le charme mozartien du ténor parvient à rendre crédible les vacillements amoureux d'Anatol, que cette mise en scène présente davantage comme un héros romantique indécis que comme le profiteur calculateur que l'on pourrait imaginer. Le truculent docteur de est parfaitement convaincant lui aussi, et , impressionnante Baronne sur le plan scénique, fait ce qu'elle peut avec les débris d'une voix aujourd'hui rebelle et avec une diction anglaise particulièrement embrumée. Une mention particulière pour les chœurs de l'Opéra-Théâtre de Metz-Métropole, bien mis en valeur scéniquement et musicalement. Pour un ouvrage reposant sur une partition orchestrale aussi riche que l'opéra de Barber, un orchestre comme le National de Lorraine est loin d'être un luxe. Grâce à la direction sobre et avisée de , l'orchestre aura lui aussi contribué à la réussite d'une soirée véritablement riche en émotions.

Crédit photographique : et © Arnaud Hussenot – Metz-Métropole

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Metz. Opéra-Théâtre de Metz-Métropole. 25-III-2014. Samuel Barber (1910-1981) : Vanessa, opéra en trois actes, sur un livret de Gian Carlo Menotti. Mise en scène : Bérénice Collet. Scénographie et costumes : Christophe Ouvrard. Chorégraphie : Anne Minetti. Lumières : Alexandre Ursini. Avec : Soula Parassidis, Vanessa ; Mireille Lebel, Erika ; Hélène Delavault, La Baronne ; Jonathan Boyd, Anatol ; Matthieu Lécroart, Le docteur ; Jean-Sébastien Frantz, Nicholas, Le majordome ; Anne Barthel, La gouvernante ; Yvan Serouge, Le servant. Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (chef des chœurs : Nathalie Marmeuse). Orchestre National de Lorraine, direction : David T. Heusel.

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