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Berlin. Deutsche Oper. 26-II-2014. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Le Nozze di Figaro, opéra en quatre actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène : Götz Friedrich. Décors: Herbert Wernicke. Costumes : Herbert Wernicke, Ogün Wernicke. Avec : John Chest, Il Conte Almaviva ; Maria Pia Piscitelli, La Contessa Almaviva ; Heidi Stober, Susanna ; Marko Mimica, Figaro ; Jana Kurucová, Cherubino ; Ronnita Miller, Marcellina ; Burkhard Ulrich, Don Basilio ; Paul Kaufmann, Don Curzio ; Stephen Bronk, Don Bartolo ; Seth Carico, Antonio ; Alexandra Hutton, Barberina ; Saskia Meusel, Brigitte Bergmann, Due Contadine. Chœur du Deutsche Oper de Berlin (chef de choeur : Thomas Richter), Orchestre du Deutsche Oper Berlin, direction : Matthias Foremn
1978 …Ces Noces de Figaro aujourd'hui à l'affiche du Deutsche Oper affichent de leur côté 36 ans d'âge !
On s'y rend pourtant avec une curiosité proustienne: à la mise en scène le nom de Götz Friedrich (qui a marqué les mémoires bayreuthiennes avec le provocant Tannhäuser de 1972, l'esthétisant Parsifal du Centenaire de 1982, un Ring industriel à Londres, mais qui fut aussi un Intendant inventif de ce même Deutsche Oper de 1981 jusqu'à sa mort en 2000) ; au décor le très regretté Herbert Wernicke, bien trop tôt disparu en 2002, à 56 ans, qui, en 1978, ne volait pas encore de ses propres ailes mais préparait, à Darmstadt, sa première mise en scène (Belsazzar), laquelle date précisément de… 1978 ! Une page essentielle de la mise en scène d'opéra se tourne donc cette année-là…
Davantage que Götz Friedrich, Herbert Wernicke aura finalement poussé plus loin encore la marque de l'histoire de la mise en scène lyrique. Très vite demandé hors d'Allemagne, tous les spectacles de Wernicke captivent en premier lieu par la grande originalité des décors dont il est également l'auteur. Sa marque de fabrique d'un décor-concept ultra-signifiant (plateau pierre de rosette pour Giulio Cesare, miroirs pour le Rosenkavalier…) connaissent quelques limites (ses Troyens excessivement claustrophobiques). Son spectacle le plus étonnant est probablement son plus méconnu : sa Theodora à l'Opéra de Bâle bénéficiait d'un impressionnant décor de boîte blanche transpercée scène après scène par des miroirs, des croix… et même des tuyaux d'orgue ! Sensationnelle machinerie qui détruisait la totalité d'un décor qu'il fallait reconstruire après chaque représentation !
Et, de fait, dans ces Noces berlinoises, c'est également le décor qui retient l'attention davantage que la mise en scène étonnamment traditionnelle de Friedrich, ne proposant, de la folle journée, qu'un aspect giocoso sans aucun arrière-plan vraiment dramatique. Bien sûr Les Noces de Figaro ne sont pas Cosi fan tutte. Bien sûr Mozart qualifie son opéra de « comédie en musique ». Néanmoins, passé un lever de rideau qui promet beaucoup, il apparaît vite évident que la mise en scène de Götz Friedrich pâtira constamment de la comparaison écrasante avec des Noces plus récentes et aussi plus fouillées, comme celles de Claus Guth à Salzbourg et plus près encore de celles, absolument sensationnelles de Damiano Michieletto à la Fenice, qui s'ingéniait de façon virtuose à décortiquer le sous-texte de chaque air (ainsi dans « Se vuol ballare » , le Comte était molesté par Figaro durant toute l'intervention de ce dernier avant de reprendre sa place initiale, comme si le tout ne s'était passé que dans la tête du valet.) Michieletto osait même au final faire sauter par la fenêtre la Comtesse après qu'elle eut pardonné !
Le public berlinois n'en demande visiblement pas tant, ravi qu'on puisse encore lui présenter, en 2013, des Noces de Figaro façon Au théâtre ce soir qui ne le feront réfléchir sur rien, ni sur la morgue de la classe dominante (hélas d'une actualité brûlante aujourd'hui), ni sur la remise en cause des privilèges, audace première de cette œuvre avec laquelle Beaumarchais choqua tant juste avant 1789 (anagramme chiffré de 1978?) De la part du metteur en scène venu de l'Est que l'on sait, cela étonne vraiment.
Friedrich ose les effets les plus hénaurmes : la salle hilare durant la « bataille de seins » entre la frêle Suzanne et l'opulente Marcelline en étant le parfait exemple. Cela se pourrait concevoir si des propositions scéniques plus originales venaient capter l'intelligence du spectateur mais, non, à part une intéressante chorégraphie d'arrêts sur image dans le duo de Suzanne avec le Comte, ainsi que le monologue de ce dernier face à la galerie de portraits de ses ancêtres qui s'effondrera en un beau tombé de voilage, rien à signaler. Surtout pas un Acte IV insignifiant, totalement au premier degré, où, comme dans beaucoup de mises en scène, on ne comprend rien à qui fait quoi, qui va ou sort d'où !
Même Wernicke rate cet Acte, il est vrai toujours difficile. Son décor devenu inexplicablement de patronage perd lui aussi de l'attractivité qu'il avait su exercer jusque là : au premier Acte, une immense pièce défraîchie donnant en son milieu sur une belle enfilade de portes immenses. Au II, la somptueuse chambre de la Comtesse, dans un vert très classe. Au III, la grande salle de mariage d'un rouge éclatant. Le tout est extrêmement bien éclairé et enchâssé dans un cadre de scène orné de myriades de fleurs du meilleur goût.
Pourtant le lever aérien de l'immense voilage qui sert de rideau de scène vers les cintres s'enchaînant avec l'image à contre-jour d'un Figaro lesté d'un immense sommier, les costumes d'un goût parfait (eux aussi signés Wernicke) enchantent…Et puis peu à peu la tradition s'installe et n'étaient les moyens plus conséquents en jeu, ce spectacle nous renverrait à l'Opéra de Besançon dans les mêmes années 70.
Années 70 encore, mais heureusement au bon sens du terme cette fois, avec la sonorité générale d'un orchestre et de chanteurs renvoyant quant à eux aux célèbres prises de son et à l'écurie de la Deutsche Grammophon de l'époque. Matthias Foremny dirige sans accrocs, d'une façon classique mais extrêmement vivante, un orchestre impeccable. D'une belle équipe de chanteurs très rodée, on contestera tout de même le Figaro au chant très sur de lui mais un brin épais de Marko Mimica, et surtout la Marcelline incontrôlée (incontrôlable ?) de Ronnita Miller que cette dernière confond manifestement avec la Mistress Quickly de Verdi. Stupéfaction aux saluts de constater que c'est elle qui récolte le plus d'applaudissements ! Gros succès également mais totalement justifié pour le merveilleux Chérubin de Jana Kurucová. Excellente Suzanne alla Edith Mathis de Heidi Stober. Très belle Comtesse de Maria Pia Piscitelli. Almaviva juvénile et racé de John Chest. Remarquable Basile de Burkhard Ulrich très sollicité par la mise en scène. Solide Bartolo de Stephen Bronk.
Belle soirée musicale tout de même dans ce beau château hanté par le jeune fantôme de Herbert Wernicke.
Crédit photographique : The Marriage of Figaro © 2014, Bettina Stöß
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Berlin. Deutsche Oper. 26-II-2014. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Le Nozze di Figaro, opéra en quatre actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène : Götz Friedrich. Décors: Herbert Wernicke. Costumes : Herbert Wernicke, Ogün Wernicke. Avec : John Chest, Il Conte Almaviva ; Maria Pia Piscitelli, La Contessa Almaviva ; Heidi Stober, Susanna ; Marko Mimica, Figaro ; Jana Kurucová, Cherubino ; Ronnita Miller, Marcellina ; Burkhard Ulrich, Don Basilio ; Paul Kaufmann, Don Curzio ; Stephen Bronk, Don Bartolo ; Seth Carico, Antonio ; Alexandra Hutton, Barberina ; Saskia Meusel, Brigitte Bergmann, Due Contadine. Chœur du Deutsche Oper de Berlin (chef de choeur : Thomas Richter), Orchestre du Deutsche Oper Berlin, direction : Matthias Foremn