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Munich. Nationaltheater. 26-II-2014. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clemenza di Tito KV. 621, dramma serio en deux actes sur un livret de Caterino Mazzolà d’après Pietro Metastasio. Mise en scène : Jan Bosse ; décors : Stéphane Laimé ; costumes : Viktoria Behr. Avec : Toby Spence (Tito) ; Krístīne Opolaís (Vitellia) ; Tara Erraught (Sesto) ; Hanna-Elisabeth Müller (Servilia); Angela Brower (Annio); Tareq Nazmi (Publio). Chœur de l’Opéra National de Bavière (chef de chœur : Sören Eckhoff). Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction musicale : Kirill Petrenko.
Il y a des opéras qui semblent se mettre en scène tout seuls : leurs possibilités scéniques font que même le moins inspiré des artisans de la scène peut trouver matière à réflexion et à action. Ce n'est pas un secret, La Clémence de Titus ne fait pas partie de ces œuvres fortunées ; le problème n'est pas que les metteurs en scène doivent essayer d'échapper à l'Antiquité des péplums, à toges et jupettes, c'est bien qu'ils n'y arrivent jamais vraiment.
On pouvait pourtant fonder quelques espoirs sur Jan Bosse, qui a certes déjà produit quelques opéras ici et là, mais a surtout une expérience respectable de metteur en scène radical, en particulier à Berlin. Sa mise en scène, reconnaissons-le, saura s'inscrire durablement au répertoire de la maison, tant elle est claire et passe-partout, et ce n'est pas un moindre mérite. Pour le reste, on doit bien avouer s'être fermement ennuyé devant ce spectacle qui manque autant d'idée directrice que de travail des détails. Le premier acte s'ouvre sur un décor qui prolonge et imite celui des loges d'avant-scène du vénérable Nationaltheater : combien de centaines de productions d'opéra, ces trente dernières années, ont eu cette même idée de représenter tout ou partie du théâtre où se déroule le spectacle ? Au second acte, même structure, mais sans ornements : restent un amphithéâtre de praticables à nu et une vue saisissante des installations techniques des hauteurs du théâtre – qu'on a pareillement déjà vu mille fois. Les costumes jouent la carte du décalage, sous la forme de costumes à l'antique aux formes exagérées, comme s'ils n'étaient que des accessoires de bal masqué modernisé : c'est le minimum syndical, ce n'est pas désagréable, c'est branché – ce n'est pas assez.
Le seul embryon d'idée qu'on a pu déceler a beau, elle, être dans l'air du temps de l'actualité française, elle n'en est pas moins juste et bien menée : c'est de genre qu'il est question dans le spectacle, à la faveur de l'étrangeté suscitée par la présence de femmes, côte à côte, dans des rôles masculins et féminins. Bosse attife Sesto en travesti d'opéra dans sa pire version : la chanteuse est engoncée dans un costume qui ne parvient pas à masquer ses formes, et une coquette moustache très fine vient compléter le tableau – mais Bosse lui attribue aussi des talons aiguille, le pire des accessoires féminins. À l'inverse, Annio est présenté de façon beaucoup plus ambiguë, sirène qui ne cache pas ses formes féminines. L'idée est juste, elle est menée avec cohérence, mais elle n'est que partielle et ne saurait tenir le spectateur en haleine pendant deux actes d'une heure dix (le Ciel soit loué pour les larges coupures pratiquées dans les récitatifs).
Reste, dans ces conditions, la musique. On ne reprochera certes pas à l'Opéra de Munich de mépriser le pouvoir d'attraction des grands noms du monde lyrique – on y vient pour Jonas Kaufmann, Anja Harteros, voire Anna Netrebko. Cette fois, pourtant, c'est la troupe qui est à l'honneur, puisque hors Tito et Vitellia tous les chanteurs de la soirée sont liés de façon durable à la maison. La troupe munichoise n'est certes plus ce qu'étaient les troupes d'autrefois, capables d'assumer n'importe quel rôle de n'importe quel opéra, de Wotan au Serviteur de La Traviata ; mais elle ne se contente pas pour autant de ne jouer que les utilités, et ces dernières années ont même marqué une forme de retour des membres de la troupe vers des rôles plus importants. Ici c'est surtout le second couple d'amoureux qui brille : Hanna Elisabeth Müller comme Angela Brower partagent un sens appréciable de la phrase mozartienne et un engagement dramatique aussi intense que possible dans ce contexte. On n'en dira pas autant pour le couple central : Tara Erraught fait preuve de plus d'énergie que de finesse, avec un timbre qui pâtit des efforts que lui impose la partition, et l'inaccessible Vitellia, pourtant le rôle le plus gratifiant de la partition, est chantée sans style ni brio par Krístīne Opolaís : celle-ci, habituée de rôles bien plus lourds (elle a été découverte à Munich en Rusalka, sans nous convaincre d'ailleurs), passe tout en force, sans parvenir à sortir son personnage de la caricature. Reste le Titus de Toby Spence : on avait dû constater que ce chanteur qui sort d'une grave maladie n'avait pas retrouvé son meilleur niveau lors d'une Flûte enchantée en novembre. Les nouvelles sont cette fois meilleures, car si les difficultés techniques de son dernier air le laissent à terre, le reste du rôle est chanté avec élégance, avec un timbre parfaitement mozartien, et surtout avec une capacité à faire vivre les récitatifs qu'il est bien le seul à avoir ce soir.
Musicalement, pourtant, l'atout majeur de la production est à chercher dans la fosse, très surélevée par rapport à l'habitude, sans que cela n'apporte ni amélioration, ni nuisance par rapport à l'acoustique toujours excellente de la salle. Kirill Petrenko, pour sa première saison comme directeur musical, avait marqué les esprits par une Femme sans ombre d'anthologie, puis par une Troisième Symphonie de Mahler (que nous n'avons pu voir, mais dont une publication discographique est prévue). On est ici bien loin de ces titres de gloire post-romantiques, mais Petrenko montre ici qu'il est un chef mozartien plus que respectable. Sa perspective, comme toujours, n'essaie pas de se distinguer par des choix inhabituels, mais elle convainc par sa constance et son intensité. Petrenko, certes, n'est pas un baroqueux, mais il n'est pas non plus de ceux qui se cachent derrière une impossible « tradition classique » : le ton est volontiers vigoureux, sans pour autant que les tempi en deviennent plus rapides (c'est même plutôt le contraire). Et l'orchestre, avec ses fabuleux solistes chez les vents, le suit avec enthousiasme.
Crédits photographiques : © W. Hösl
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Munich. Nationaltheater. 26-II-2014. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clemenza di Tito KV. 621, dramma serio en deux actes sur un livret de Caterino Mazzolà d’après Pietro Metastasio. Mise en scène : Jan Bosse ; décors : Stéphane Laimé ; costumes : Viktoria Behr. Avec : Toby Spence (Tito) ; Krístīne Opolaís (Vitellia) ; Tara Erraught (Sesto) ; Hanna-Elisabeth Müller (Servilia); Angela Brower (Annio); Tareq Nazmi (Publio). Chœur de l’Opéra National de Bavière (chef de chœur : Sören Eckhoff). Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction musicale : Kirill Petrenko.