- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Trente ans d’art lyrique au Théâtre des Arènes de Béziers par la jeune soprano Anne Rodier

C'est sur la scène du Théâtre des Franciscains de Béziers, que dirige depuis 2011 l'éminent pianiste et chef d'orchestre Jean-Bernard Pommier, que la jeune soprano faisait revivre en quelques heures l'épopée lyrique de sa ville natale.

Foyer d'une grande tradition d'opéras, que des milliers de spectateurs allaient écouter dans le Théâtre des Arènes (ils étaient 8000 pour la création de Dejanire de Saint-Saens, en 1898 !), Béziers a accueilli bon nombre d'ouvrages lyriques au tournant du XXème siècle. a eu envie de rassembler documents, visuels et témoignages pour monter cette rétrospective passionnante de trente années de chant dans les Arènes de Béziers avec l'aide de , écrivain et passionné d'opéras. C'est lui qui projetait les photos et dispensait avec beaucoup d'élégance les commentaires et textes littéraires s'attachant aux 14 ouvrages qu'avait sélectionnés notre chanteuse. A ses côtés, la pianiste , chef de chant très recherchée dans le monde lyrique, accompagnait les airs et jouait en réduction quelques belles pages d'orchestre (préludes et autre Sicilienne) pour relayer la chanteuse au sein d'un programme ambitieux et terriblement exigeant. Tous ces opéras, tirant leur sujet de la mythologie grecque, appartiennent à la grande tradition française de la Tragédie lyrique, accueillant les chœurs, la danse et un dispositif orchestral souvent pléthorique.

débute avec le grand air héroïque de Iole extrait de Déjanire, le dernier opéra de Saint-Saëns remanié en 1911. Cette musique somptueuse d'une grande envergure dramatique met en valeur l'ampleur du registre de la soprano, ses couleurs dans un médium très chaleureux et la flexibilité de sa ligne de chant. Dans une première partie où se succèdent des pages étonnantes autant qu'inconnues, Anne Rodier fait valoir ses qualités musicales, sa diction très claire et une vaillance admirable, dans l'air de Gaïa notamment, extrait du Prométhée de (1901)  ; remarquable également, extrait des Hérétiques de Charles Levadé (1905), cet air de Bellissende à la mélodie ample et expressive que la soprano gorge de sensualité et de belles nuances colorées.

Pour faire revivre les grands mythes de l'Antiquité, la voix, lyrique elle-aussi, de , qui intervient en alternance, est souvent portée par le piano d' selon l'art subtil du mélodrame. La voix d'Anne Rodier peut également s'y glisser à l'occasion, comme dans l'Air de Cynthia, aux contours très ciselés et d'un orientalisme séducteur ; il est extrait de Héliogabale de qui était entendu après l'entracte.

Cette seconde partie réservait également  bien des surprises et des découvertes. Mais elle s'ouvrait avec l'Air de Julia extrait de La Vestale de Gaspare Spontini, l'ouvrage certainement le plus connu du grand public. Installé à Paris en 1803, le compositeur italien remporte un franc succès avec un opéra censé faire la synthèse des deux traditions lyriques française et italienne. Très à l'aise avec la ligne de bel canto, Anne Rodier en restitue tout à la fois la souplesse et les nuances expressives. Mais Le Premier Glaive d'Henry Rabaud nous replonge dans les affres dramatiques du grand air français dont la soprano assume avec vaillance l'ampleur mélodique même si la voix accuse ses limites dans le registre aigu. L'Air de Lycia de La Fille du Soleil d'André Gailhard n'est pas moins exigeant mais sa dimension narrative lui confère un charme tout à fait particulier. Tiré d'Antigone d'après Sophocle, une musique de scène de , l'Hymne à Eros est un air plein d'émotion dans l'interprétation très sentie de la jeune soprano. Après une courte page pianistique, Le sommeil de Penthésilée, dans la version très habitée d', la Cantilène d'Amed de Zorriga – le pendant oriental de Penthésilée  – de Francis Bousquet, prodigue quant à elle une ligne vocale exubérante et un rien risquée pour notre chanteuse.

Ce voyage de trente années dans les arènes biterroises s'achevait comme il a commencé avec Déjanire, la pièce maîtresse de cette période glorieuse qui fit de Béziers la « Bayreuth française ». L'air du Coryphée, auquel Erika Guiomar prêtait sa voix, est chanté avec une énergie phénoménale par Anne Rodier au terme d'une véritable performance accomplie par la jeune chanteuse. Représenté en 1910 au théâtre des Arènes, Carmen, qui ne figurait pas au programme, était donné  en bis, Anne Rodier interprétant « Près des remparts de Séville » avec beaucoup de charme et de personnalité.

Crédit photographique : Anne Rodier © Béatrice Hatala

(Visited 1 117 times, 1 visits today)