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Dijon, Grand Théâtre, 4-II-2014. « La Pellegrina, une fête florentine », production de l’Opéra de Dijon évoquant un spectacle créé à Florence en mai 1589 : intermèdes de La Pellegrina sur des musiques de Giovanno De’ Bardi, Emilio De’ Cavalieri, Jacopo Peri, etc. Livret : Rémi Cassaigne. Direction artistique : Judith Pacquier. Direction musicale : Étienne Meyer. Mise en scène, scénographie, costumes : Andréas Linos. Co-créatrice des costumes : Julie Lardrot. Lumières : Jérémie Papin. Avec Capucine Keller, Vittoria (Prima donna) ; Maria Rewerski, Lucia (Seconda donna) ; Lise Viricel, Margherita ; Bernard Delaigue, Bardi ; Vincent Bouchot, Rossi ; Philippe Grisvard, Cavalieri. Ensemble Les Traversées Baroques ; direction : Étienne Meyer
Florence, 1589 : nous voilà plongés dans l'atmosphère fébrile de la préparation du mariage de Ferdinand de Médicis avec Isabelle de Lorraine, nièce préférée de la reine Catherine de Médicis. Désireux de redorer le blason de la famille, un peu terni par les frasques de son frère, le Duc de Toscane désire une fête somptueuse qui marque cet événement : elle va durer plusieurs jours, et on pourra y entendre trois pièces de théâtre, entrecoupées d'intermèdes musicaux aux sujets allégoriques. Pour élaborer ce spectacle, Ferdinand fait appel aux lettrés de l'époque, tels le comte Bardi, animateur d'une des célèbres camerate fiorentine, ou bien l'académicien Rossi, à des musiciens connus comme Peri ou Caccini, à un architecte au nom prometteur, Buontalenti, enfin aux interprètes les plus renommés de la région.
C'est cette préparation fiévreuse que Rémi Cassaigne a imaginée comme trame d'un scénario qui va enchâsser les intermèdes musicaux joués et chantés par Les Traversées Baroques. L'enjeu est de taille : comment recréer l'atmosphère d'une époque sans tomber dans le travers d'une reconstitution sans relief ? Rémi Cassaigne choisit de mettre au premier plan, d'une part un dialogue entre Bardi et Rossi qui porte en gros sur la modernité en art, et d'autre part la mise en place technique de la fête somptueuse, en donnant des détails réels sur la vie d'un chantier à l'époque, sur le recrutement des chanteurs, sur les contretemps inhérents à l'élaboration d'un spectacle de cette envergure.
Oui, le scénariste a parfaitement capté l'aspect pédant de ces discussions philosophiques sur l'Harmonie, qu'elle soit « des sphères » ou musicale. Il a su y mêler des clins d'œil musicaux, et aussi dijonnais : en citant à l'orchestre le prélude de L'Or du Rhin, il évoque à la fois La Tétralogie, montée à l'Auditorium en octobre, et les rapports de nombre qui existent dans la suite des harmoniques… On en reparlera peut-être cette année à Dijon avec La Génération harmonique de Rameau ! Non en revanche, pour une certaine difficulté à mettre en route ce discours parlé, avec des longueurs dans la première partie.
Les coulisses et le chantier de la fête florentine sont remarquablement suggérés par un décor qui se construit en quelque sorte sous nos yeux. Dans la première partie, un mur à peine dégrossi sur lequel il y a des cotes d'architecte suffit amplement à faire comprendre que la tâche est gigantesque ; mais dans la deuxième, les rues d'une cité du XVIe siècle s'organisent suivant les lois de la perspective, et c'est ainsi qu'une ville idéale de la Renaissance apparait petit à petit. Or il ne faut pas oublier que c'est ce spectacle complet qui justifie ces travaux ; à la fin descendent des cintres un encadrement de scène, puis petit à petit des nuées qui masquent la ville et, au milieu de ces nuées descend aussi l'Harmonie sur son trône ! Du haut de ce ciel des chanteurs, des dieux sans doute, lui répondent pour le chœur final.
Les vingt-quatre interprètes sont absolument tous excellents ; quand ils chantent en chœur, on perçoit une rondeur et une stabilité, une puissance harmonieuse absolument remarquables. Leurs voix s'accordent avec bonheur avec l'orchestre des Traversées Baroques, avec les luths et théorbes, avec les trombones et les cornets, avec les orgues, les cordes et la harpe. Il se dégage de cette interprétation une impression de majesté, mais aussi de souplesse, due sans doute aux ruptures rythmiques courantes à l'époque. Les soli vocaux sont tout aussi impressionnants, et les fioritures et les vocalises ornementales rappellent que la virtuosité n'est pas l'apanage de notre siècle.
Les costumes d'époque et les masques de la dernière scène sont raffinés, mais pas clinquants : le blanc cassé est la couleur dominante de cette production ; l'optimisme de cette époque que l'on appelle « la Renaissance » mérite cette couleur claire qui symbolise ici la jeunesse. Les éclairages insistent eux aussi sur la vitalité des interprètes, qui sont à la fois comédiens et chanteurs et qui donnent visiblement le meilleur d'eux-mêmes.
1589, une œuvre d'art totale en somme : l'opéra est en marche.
crédit photographique : © Gilles Abegg
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Dijon, Grand Théâtre, 4-II-2014. « La Pellegrina, une fête florentine », production de l’Opéra de Dijon évoquant un spectacle créé à Florence en mai 1589 : intermèdes de La Pellegrina sur des musiques de Giovanno De’ Bardi, Emilio De’ Cavalieri, Jacopo Peri, etc. Livret : Rémi Cassaigne. Direction artistique : Judith Pacquier. Direction musicale : Étienne Meyer. Mise en scène, scénographie, costumes : Andréas Linos. Co-créatrice des costumes : Julie Lardrot. Lumières : Jérémie Papin. Avec Capucine Keller, Vittoria (Prima donna) ; Maria Rewerski, Lucia (Seconda donna) ; Lise Viricel, Margherita ; Bernard Delaigue, Bardi ; Vincent Bouchot, Rossi ; Philippe Grisvard, Cavalieri. Ensemble Les Traversées Baroques ; direction : Étienne Meyer