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Le chef d'orchestre belge Patrick Davin est une figure bien connue de la vie musicale belge et française à la fois lyrique et symphonique. Depuis la rentrée 2013, il préside aux destinées musicales de l'Orchestre symphonique de Mulhouse. Il présente, pour ResMusica, cet orchestre et ses projets.
« Le Concerto pour violon de Philippe Boesmans a été entendu par près de 3000 personnes et applaudi comme du Tchaïkovski, j'en suis absolument ravi »
ResMusica : Comment avez-vous rencontré l'Orchestre symphonique de Mulhouse ? Comment s'est passée votre désignation ?
Patrick Davin : J'avais dirigé l'orchestre de Mulhouse lors du mandat de mon prédécesseur Daniel Klajner. J'ai ensuite proposé un projet lors d'un appel à candidature international et j'ai été désigné. J'ai eu la chance d'avoir été nommé bien en amont de ma prise de fonction en septembre 2013. Dès lors, j'ai pu rediriger l'orchestre, entre autre dans l'opéra les Pêcheurs de perles de Bizet (lire notre chronique de mai 2013). Cela m'a permis d'observer et d'analyser le fonctionnement de la phalange et cerner ce qui marchait très bien et ce qui pouvait être amélioré.
RM : Quels sont les atouts de l'orchestre de Mulhouse ?
PAD : Quand on regarde l'histoire de l'orchestre, on constante déjà une saine stabilité de ses directeurs musicaux. J'ai aussi été enthousiasmé par le dynamisme des musiciens. Enfin, nous avons la chance d'avoir la Filature. Cette salle, inaugurée en 1993, est un des joyaux de l'Alsace. Nous pouvons y jouer de l'opéra et du symphonique, mais nous pouvons aussi y répéter. Beaucoup d'orchestres, rêveraient de telles conditions de travail.
RM : Quand on découvre votre programmation, on constate que certains concerts sont décentralisés dans différents lieux de la ville. Pourquoi avez-vous planifié une partie de votre saison « hors les murs » ?
PAD : La Filature est bien évidement le cœur de notre activité. Cependant, cette salle reste, pour une partie des habitants de la ville de Mulhouse, un « coffret fort » de la culture un peu intimidant. Ils n'osent pas en franchir la porte. Dès lors, c'est l'orchestre qui va à la rencontre de ce public : nous avons des concerts à travers la ville : à la Kunsthalle, au Musée historique, à l'Université et même au Zoo de Mulhouse pour un Carnaval des animaux de Saint-Saëns au milieu des vrais animaux.
RM : Comment avez-vous élaboré la thématique de cette saison ?
PAD : Ma première saison est belge, avec des musiques et des musiciens du Plat pays comme disait Jacques Brel. Lors de cette saison, nous avons deux festivals : l'un consacré à Beethoven (en connexion avec Pierre Boulez) et l'autre en lien avec la musique française avec une confrontation Debussy-Fauré. Je suis aussi attentif à travailler avec des solistes qui nous apportent une valeur ajoutée, avec des solistes qui ne parcourent pas le monde avec cinq concertos célèbres, mais qui ont une philosophie de la musique et qui enrichissent l'orchestre par leurs multiples expériences, à l'image de la violoniste Tatiana Samouil avec laquelle nous avons donné le Concerto pour violon de mon compatriote Philippe Boesmans.
RM : Quels sont vos projets au niveau du répertoire ?
PAD : L'orchestre compte 56 musiciens, c'est un orchestre de taille moyenne. Mon prédécesseur Daniel Klajner a mis l'accent sur la musique romantique allemande. Ce n'est en rien un reproche, c'est juste une constatation. De mon côté, je souhaite mettre en avant la flexibilité stylistique en développant le répertoire vers la musique baroque et ancienne et vers la musique contemporaine. Par rapport à mon parcours personnel, ces deux aspects sont essentiels. L'avantage de 56 musiciens c'est qu'à chaque programme, tout le monde peut travailler à chaque projet. En effet, avec un orchestre de 100 musiciens, soit la norme de beaucoup de phalanges, dès que vous vous lancez dans un projet expérimental vers un répertoire spécialisé (l'effectif requis est d'une souvent une cinquantaine d'instrumentistes maximum), vous en laissez la moitié à la maison….c'est assez démotivant pour eux.
De plus, jouer des œuvres plus rares que les musiciens découvrent, à l'image du Chasseur maudit de César Franck, le Concerto pour violon de Philippe Boesmans ou la Lettre soufie D de Jean-Luc Fafchamps, stimule leur curiosité et donc leur envie de jouer.
RM : Comment positionnez-vous l'orchestre dans sa ville et sa région ?
PAD : Nous sommes un orchestre de taille moyenne dans une ville française de taille moyenne située à la pointe Est de l'Hexagone. Nous avons des moyens limités : notre budget communication est le dixième de celui de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg. Un orchestre, comme le nôtre, est une charge importante pour les finances d'une municipalité, qui en plus quand elle n'est pas épargnée par la crise économique actuelle. Mais nous avons envie de bien faire, pour la ville et sa région, en travaillant sans relâche. Le Concerto pour violon de Boesmans a été entendu par près de 3000 personnes et applaudi comme du Tchaïkovski, j'en suis absolument ravi et heureux. Cette saison, nous avons une centaine de levers de rideau, ce n'est pas rien…
RM : Comment positionnez-vous l'orchestre en France ?
PAD : La concurrence en France est rude. Nous avons cette saison, un concert à l'Opéra-comique à Paris et la saison prochaine nous donnerons un opéra en version de concert au théâtre des Champs–Elysées. Ces rendez-vous prestigieux sont très importants pour l'image et la visibilité de l'orchestre.
Dans un autre registre, vous savez à quel point, il est difficile pour un jeune chef d'orchestre français de se lancer dans la carrière. Tous les chefs français de talent font carrière à l'étranger, dans ce contexte la désignation de mon ami Pascal Rophé à Nantes est une petite révolution en soi : un grand talent actuel nommé dans son pays… A notre niveau, nous souhaitons offrir des engagements aux jeunes chefs français d'avenir : cette saison, ils seront huit à collaborer, pour l'un ou l'autre projet, avec l'orchestre. Je constate que déjà certains d'entre eux ont une carrière qui commence à se développer à l'image d'Alexandre Bloch, lauréat de l'édition 2012 de la compétition Donatella Frick de Londres.
Un orchestre, comme celui de Mulhouse, bien intégré dans sa ville, sa région et avec des projets clairs, ne sera certainement jamais remis en cause par ses tutelles.
RM : Vous êtes donc un musicien heureux ?
PAD : Oui, absolument. J'ai déjà eu des mandats de chef permanent ou invité auprès d'autres institutions en Belgique ou en France, mais, cette nouvelle fonction à Mulhouse est une satisfaction particulière. J'ai l'impression qu'en tant qu'artiste, elle arrive à un moment où je peux être à mon meilleur. Curieusement, j'ai plus d'idées et d'envies maintenant que j'en aurai eues si j'avais été désigné à ce poste beaucoup plus tôt dans ma vie. Enfin, à Mulhouse, je peux diriger de l'opéra et du symphonique, deux domaines que j'aime mener en liens.