Zhenyu Zeng, directeur du China Europe Youth Orchestra
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Partout dans le monde on peut trouver des centaines d'orchestres de jeunes, et certains sont devenus très célèbres tels que l'Orchestre Symphonique Simon Bolivar en Bolivie. D'autres orchestres de jeunes visent à rapprocher différentes cultures, et dans cette catégorie, le West-Eastern Divan Orchestra mérite une place de choix.
« Nous avons besoin de musiciens d'orchestres, nous n'avons pas besoin de tant de solistes. »
Alors que la Chine est une économie en plein essor et est maintenant bien connue pour ses solistes renommés comme Lang Lang, Yuja Wang, Liu Wei ou Li Yundi, elle n'a pas encore atteint la même reconnaissance internationale pour ses orchestres. Un jeune homme, Zhenyu Zeng, vise à la fois à élever la qualité des orchest
res chinois et à rapprocher culturellement la Chine et l'Europe. Pour comprendre pourquoi et comment il peut atteindre un tel objectif, ResMusica l'a rencontré à Paris où il a lancé le projet du China Europe Youth Orchestra.
ResMusica : Comment avez-vous été initié à la musique classique?
Zhenyu Zeng : A 16 ans j'étais un chanteur professionnel dans une compagnie d'opéra chinois, quand le directeur de la compagnie m'a conseillé que je ne devais pas perdre mon temps. La raison en était que l'opéra chinois n'avait pas le soutien du gouvernement, il y avait seulement deux productions réalisées par an, mais rien de nouveau, donc je n'aurais pas la chance de monter sur scène. J'ai donc passé l'examen national d'entrée à l'université, qui est très concurrentiel car 6 millions de jeunes gens passent cet examen ! J'ai passé quatre ans au Conservatoire de Musique de Chine, où j'ai appris le chant, les arts et l'administration culturelle. J'ai aussi appris la musique orchestrale et appris à aimer la musique contemporaine, qui est très créative.
RM: Et comment est venue l'idée de l'Orchestre des jeunes Chine Europe (China Europe Youth Orchestra – CEYO) ?
ZZ : Quand j'étais étudiant à l'Académie de théâtre de Shanghai, j'ai eu la chance de traduire du théâtre traditionnel chinois pour les institutionnels européens. Un mois plus tard, j'ai pu obtenir le soutien du Goethe Institut et de l'Université libre de Berlin pour venir en Europe et y apprendre la gestion culturelle. J'ai pu faire des stages à Florence et à Paris et ce voyage en Europe a changé ma vie et ma façon de penser.
RM: De quelle manière ?
ZZ : Mes professeurs en Chine n'avaient pas tout à fait raison quand ils parlaient de la culture en Europe. Les gens en Chine sont tellement fiers de leur culture, ils disaient que l'Europe ce n'était pas si bien. Ce que j'ai trouvé, c'est que les gens ici sont très gentils, le monde est beau et nous avons besoin d'une nouvelle compréhension mutuelle. Je sens que je peux faire quelque chose pour que les gens se perçoivent mieux les uns les autres.
RM: D'où l'idée de cet orchestre ?
ZZ : En Allemagne, j'ai pu voir des orchestres de jeunes et j'ai pensé que nous pourrions faire la même chose pour la Chine et l'Europe. J'en ai parlé à Paris et a obtenu le soutien de Gilles Demonet qui est directeur des programmes de gestion de musique à La Sorbonne, et de Jean-Luc Tingaud qui dirige OstinatO. Mais CEYO était trop grand pour Ostinato, nous avons donc dû trouver d'autres soutiens à Paris, qui sont venus du Centre culturel de Chine et de la Maison du Limousin. Les politiciens de la région Limousin et de la Galice, en Espagne, sont intéressés par la Chine.
RM : Comment recrutez-vous les musiciens ?
ZZ : Nous organisons des auditions nationales, et les musiciens qui veulent rester faire une deuxième année doivent aussi repasser les auditions. Certains l'ont fait et ont échoué parce que la qualité s'était améliorée d'une année sur l'autre. Les élèves de 7 conservatoires ont participé en 2012, et de 9 en 2013.
RM : Quand le CEYO a-t-il commencé ?
ZZ : Nous avons commencé à nous produire en concerts en 2012, mais seulement en Chine car nous n'avions pas assez de budget pour nous produire en France. Nous avons eu 15 musiciens français et 37 chinois dans l'orchestre en 2012, comparativement à 55 français et 38 chinois cette année. Nous avons donné des concerts dans des lieux prestigieux, comme le Concert Hall de Tianjin qui est l'une des plus anciennes salles de concert (elle a été inaugurée en 1922), le Peking University Hall qui est comme Harvard, et le Shanghai Oriental Art Center, où l'Orchestre philharmonique de Berlin y donne ses concerts. Je connais personnellement les responsables qui gèrent ce Centre, et ils ont accepté de nous aider financièrement. Dans le Musée de la Capitale de Beijing, nous y avons donné le premier concert symphonique jamais donné dans un musée en Chine! Il y avait deux fois plus de personnes que nous pouvions en accueillir, alors les gens ont cassé les portes pour entrer, et le directeur a dû faire appel à l'armée !
RM : Il y a quelques semaines vous avez donné vos premiers concerts en France à Paris et à Massy, comment cela s'est-il passé ?
ZZ : Cet orchestre est une formation intermittente, et beaucoup de choses sont faites à la dernière minute, de sorte que tout n'est pas parfait. L'éducation musicale en Chine est encore faible. Notre chef Philippe Aïche était triste et déçu quand il a entendu les musiciens, et Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire, était inquiet et stressé. Après la première répétition, les musiciens chinois ont réalisé la situation et nous avons admis que nous n'étions pas assez bons. Nous devions faire quelque-chose, et notre choix était soit d'exclure certains musiciens soit annuler des concerts. Nos musiciens ne voulaient pas ça, alors ils ont répété jusqu'à minuit et demi, et à 8 h du matin ils répétaient déjà. Quand je vois les progrès qu'ils ont faits, je suis très fier d'eux. Et le chef était heureux.
RM : Comment est financé ce projet ?
ZZ : En Chine, l'économie n'est pas aussi bonne que les gens le pensent. Les gens riches ne donnent pas d'argent, le comportement au travail est différent. Les seules personnes qui ont été payées cette année ont été le chef d'orchestre et le violoncelliste qui a joué dans nos concerts à Massy et Paris. 80% des fonds ont été apportés par la Chine cette année, mais ça ne peut pas continuer comme ça. Je tiens à rester en France, mais les institutions sont prudentes, la plupart des gens attendent le succès avant d'apporter leur soutien, c'est pour cela que j'apprécie particulièrement le soutien qui a été apporté par le Conseil Général de l'Essonne.
RM : Quels sont les principaux avantages de cette initiative ?
ZZ : En Chine, l'accent est mis sur les solistes et sur les prix de concours. C'est une façon de monter plus haut dans les universités, et pour les professeurs d'obtenir une promotion, mais ce n'est pas juste. Nous avons besoin de musiciens pour orchestres, nous n'avons pas besoin de tant de solistes. Il y a beaucoup de coopération entre les musiciens, mais c'est pour d'aller à des festivals, suivre des classes de maître, ce qui n'est pas vraiment de la coopération. Je veux seulement avoir des musiciens qui coopèrent. Personne ne veut jouer dans des orchestres, et ce n'est pas bon. Les jeunes musiciens qui veulent rejoindre le CEYO doivent être d'accord avec moi sur ce point, et alors ils peuvent venir. Si vous assistiez à nos répétitions, vous verriez que ces jeunes musiciens de Chine et d'Europe sont vraiment rassemblés par ce projet. Non seulement ils repoussent leurs propres limites pour ensemble attendre à un objectif musical commun, mais ils construisent des liens d'amitiés et se rapprochent culturellement.
RM : Et en termes de relations entre les jeunes musiciens français et chinois ?
ZZ : Au début, les Français ne parlaient pas. Les Chinois étaient agacés parce que les Français n'étaient pas ponctuels, et les Français n'étaient pas contents du fait du faible niveau des musiciens chinois. Plus tard, ils ont appris comment embrasser une fille pour lui dire bonjour, et ils sortent ensemble après les répétitions. La vraie signification d'un orchestre de jeunes n'est pas la musique elle-même, c'est de réunir les jeunes ensemble.