Philippe Fanjas, directeur de l’Association française des orchestres
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Ancien administrateur de l’Orchestre national de Lyon et de l’Orchestre national d’Ile-de-France, Philippe Fanjas est depuis 1999 directeur de l’Association française des orchestres (AFO), qui organise l’action « Orchestres en fête »., qui aura lieu du 15 au 24 novembre prochain.
« Nous plaidons depuis toujours pour la création de lieux dédiés aux activités de l’orchestre. »
ResMusica : Quel est le but d’« Orchestres en fête » ?
Philippe Fanjas : « Orchestre en fête » existe depuis 2008. Son but est de convaincre le public et par effet de rebond les financeurs que les orchestres font non seulement des concerts mais ont aussi des activités de médiation de toutes natures vers tous les publics. Les concerts scolaires, les concerts familiaux, les interventions en hôpital, en prison, vers des publics défavorisés. Toutes ces actions méritent d’être affichées pour qu’on comprenne qu’un orchestre aujourd’hui n’est plus celui des années 50.
RM : Combien d’orchestres sont concernés ?
PF : Quasiment toutes les formations membres de l’AFO y participent. Celles qui n’y participent pas sont en général en tournées ou prises par une production lyrique. Cette année trente-deux orchestres participeront, sur un total de quarante-deux membres, dans une programmation strictement symphonique.
RM : Continuons avec les chiffres. Combien de personnes ont participé au dernier « Orchestre en fête » et sur ce public combien ont découvert pour la première fois un orchestre ?
PF : On est sur une fréquentation moyenne de 100 000 auditeurs depuis le début. Quand on met en avant une intervention dans un lieu particulier, un hôpital par exemple, quelques dizaines de personnes seront touchées, on n’est pas du tout dans la même logique d’analyse de la fréquentation. A ce jour on ne dispose pas de données de qualification du public. Depuis trois semaines nous avons lancé une enquête socio-professionnelle sur les publics de l’orchestre pour toute la saison 2013 / 2014, dont nous divulguerons les résultats en partie fin 2014 et la totalité en 2015. C’est une énorme enquête, une première. Nous le faisons de manière scientifique et argumentée.
RM : Cela fait cinquante ans que les collectivités territoriales financent les orchestres symphoniques. A-t-on encore besoin de justifier auprès des celles-ci l’existence de formations symphoniques ?
PF : C’est le cœur d’ « Orchestre en fête ». Notre discours s’adresse de manière égale vers les collectivités et le gouvernement. Notre volonté est de casser l’image répandue de l’orchestre sur un plateau bien éclairé habillé en noir et blanc dans un auditorium auquel on accède après avoir passé des marches et une colonnade. L’orchestre ne joue pas dans un temple pour un public hyper-cultivé. L’orchestre joue un rôle citoyen sur un territoire, vers tous les publics, au plus haut niveau de qualité artistique. Quand on a un jugement rapide et négatif sur les « cultures savantes » on doit toujours se rappeler que la musique, mais aussi le théâtre, la danse ou les sciences – entre autres – doivent être les plus « savantes » possible mais doivent aussi s’ouvrir le plus possible. Cette recherche permanente des orchestres pour renouveler le public et le fidéliser est le cœur de notre travail.
RM : Dans les Pays-Bas et en Allemagne, ou la vie symphonique est depuis longtemps plus active qu’en France, des orchestres ont été fermés ou ont dû fusionner. Quelques polémiques en France ont agité les orchestres d’Avignon, Besançon ou Bayonne. La mission d’ « Orchestre en fête » n’est-elle pas le moyen d’alarmer les pouvoirs publics pour ne pas suivre l’exemple de nos voisins ?
PF : Justement, nous sommes là pour dire de ne pas défaire ce qui existe déjà. C’est assez français de s’imaginer qu’on va inventer quelque chose de nouveau qui n’est pas rattaché au passé. L’implantation locale des orchestres remonte au XIXe siècle, a été consolidée par les orchestres de radio de la Radiodiffusion française, puis par l’organisation de Landowski. Ce maillage mêlant opéras, orchestres et conservatoires a de nombreuses qualités et a le mérite d’exister. Tout le travail d’ « Orchestres en fête » est de convaincre de ne pas défaire ce maillage. Bien sûr nous sommes en crise, un orchestre coûte cher en masse salariale. Mais l’action d’un orchestre en quantité de concerts et en implication territoriale est à l’image des sommes déboursées. Et il n’y a pas de modèle alternatif. En moyenne le mécénat intervient à hauteur de 2%, et c’est un maximum. Ce n’est pas ça qui permettra de payer la masse salariale mais d’accompagner des projets spécifiques. En tous cas le mécénat n’est pas une formule de substitution au financement public. Les situations au-delà de nos frontières sont différentes. Les orchestres en Allemagne dépendent beaucoup des Ländler. Aux Pays-Bas la solution est radicale puisque le nombre d’orchestre a chuté pour ne garder que les plus importants. C’est une erreur, le Concertgebouw – et son public – n’existe que parce qu’il y a une vie musicale autour et dans l’ensemble du pays. Si en France on en venait à diminuer le nombre d’orchestres le résultat ne se ferait pas attendre sur la vie musicale non seulement en province mais à Paris. On ne peut pas isoler les phares de l’activité musicale de ceux qui la nourrisse à la base.
RM : Qu’est-ce qu’une structure comme l’AFO apporte aux orchestres ?
PF : Nous avons trois missions. Instruire de la manière la plus rationnelle possible sur la réalité d’un orchestre, à tous les niveaux : financier, santé, éducation, etc. Cela débouche sur des offres de formation pour tous les membres d’un orchestre (musiciens, administratifs, techniques). Par exemple les concerts éducatifs : un musicien d’orchestre aura du mal à s’adresser à un public scolaire, car il n’a pas été formé au conservatoire pour cela. Et évidemment communiquer sur ces actions, par le biais surtout d’ « Orchestre en fête », par des colloques ou des publications. L’AFO est le lieu de mutualisation des questions posées par les orchestres. C’est mieux qu’une fusion, terme très à la mode en ce moment et qui n’aboutit jamais à une réelle économie.
RM : L’orchestre dans son temple, l’image reste quand même. On reste sur une forme assez ancienne du concert symphonique. Ne doit-on pas renouveler les politiques de programmation artistique ?
PF : On a un regard sur les programmations qui est daté et qui ne correspond plus aux réalités contemporaines. On perd peu à peu toutefois le schéma traditionnel « ouverture-concerto-symphonie », en mettant en regard musique de chambre et musique symphonique, ou en proposant des concerts plus courts, sans entracte. La « starification » des solistes s’estompe de fait. Le nombre de « stars » a tendance à diminuer et elles tournent sur les formations les plus importantes. Cela commence à bouger, moins à Paris qu’en province. Le public a profondément changé et rajeuni, sauf peut-être à Paris. En moyenne le taux de remplissage dépasse les 90%, ce qui n’était pas le cas il y a quinze ans. C’est à nous de montrer ce dynamisme.
RM : Mais un des soucis majeurs n’est-il pas l’absence, à quelques exceptions près, d’auditoriums ?
PF : Évidemment et c’est un grand handicap. Il y a peu de lieux avec une acoustique adaptée. Et il faut que dans ce lieu les équipes en place aient conscience de l’importance d’un orchestre et l’accompagnent dans sa communication et sa diffusion en amont. La question ne se pose pas à Bordeaux, Lyon ou d’autres villes possédant une salle dédiée, mais les orchestres régionaux, qui ont vocation à rayonner sur une aire géographique et donc sur plusieurs lieux de concert, sont face à ce problème. C’est un énorme problème.
RM : A propos de salles, votre action vers les collectivités ne doit pas être celle d’un lieu pour un orchestre ?
PF : C’est notre travail au quotidien. Chaque ministre nous a reçu à ce propos. Nous plaidons depuis toujours pour la création de lieux dédiés aux activités de l’orchestre. Pour les répétitions et les concerts bien sûr, pour l’apport qualitatif évidemment, et pour que ce lieu soit aussi celui de toutes les activités d’approche, d’éveil et de découverte. Quant à la Philharmonie de Paris, cette future salle dont on parle tant, si elle peut porter l’image musicale d’un pays et être le reflet de ses forces musicales, le pari sera réussi. En revanche si c’est un temple dont les portes sont trop difficiles à ouvrir ce sera un échec.