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Stéphanie d’Oustrac, confessions d’une mezzo

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Repérée par William Christie, la mezzo a développé sa carrière sous le soleil du baroque, donnant l'impression qu'elle tenait là son répertoire de prédilection. Mais celle qui se rêvait en soprano colorature n'a peur ni des vocalises rossiniennes ni de la suprême virtuosité berliozienne, scéniquement aussi engagée dans les rôles de reines que d'amantes délaissées.

_DSC5839-Stephanie-dOustrac-c-CCR-Ambronay-Bertrand-Pichene« Tout sauf un metteur en scène vide ou/et destructeur. »

ResMusica : La saison passée, vous avez tourné un peu partout en France avec le spectacle Poulenc-Cocteau, c'est un rôle important pour vous ?

Stéphanie d'Oustrac : La Voix Humaine est une œuvre qui me tient très à cœur, que je chante depuis environ cinq ans. C'est pour moi un vrai questionnement, car on se trouve là en plein cœur du théâtre, et j'avais eu envie d'être comédienne avant de devenir chanteuse. Chaque soir, en me retrouvant seule sur scène, j'essaie d'être la plus proche d'une forme de vérité. C'est du jeu, bien sûr, car la situation est extrêmement dramatique, mais plus je le fais, plus je m'aperçois que je me rapproche de ce que Francis Poulenc a écrit, j'ai l'impression de mieux en mieux respecter la partition. Il faut être honnête à chaque instant, ne pas se dissimuler derrière certains « trucs » du métier. Cette œuvre me demande énormément d'engagement et j'en sors à chaque fois bouleversée.

RM : Certaines cantatrices disent d'ailleurs que c'est une œuvre destructrice pour l'interprète.

SD : Je ne peux pas dire une telle chose, car justement, cette œuvre nous demande tant, que quand on arrive à exprimer la sincérité pure, à ne pas trafiquer, à se cacher derrière des gestes ou des attitudes juste pour se protéger, on est vraiment heureux.

RM : Vous aviez déjà fait part de votre envie de projets plus personnels, et notamment de récitals de mélodies avec scénarisation dans des salles à dimension humaine. Ce récital en fait-il partie ?

SD : C'est même celui-ci qui m'a fait dire que j'aimerais continuer dans cette voie. Il n'y a rien de tel que d'être dans un cadre intime avec un public, de lui faire ressentir l'impact de la voix et des mots. En tant qu'interprète, on se doit d'être le plus juste possible, et j'en reviens toujours au même questionnement. Ce genre de spectacle nécessite beaucoup de temps et de nombreuses répétitions,  alors ça prendra du temps, mais mon but serait que le spectateur appartienne lui aussi au spectacle.

RM : Nous avions rendu compte de votre engagement exceptionnel dans ce spectacle début 2011 et fin 2012. De même, la biographie de votre site Internet se termine sur les mots « Pour résumer sa personnalité, on peut vraiment affirmer que Stéphanie d'Oustrac est une artiste engagée dans ses rôles à 200% qui aime donner au public tout ce qu'elle reçoit de son passionnant métier ». Est-ce à dire que vous ne pourriez pas monter sur scène uniquement pour faire du beau chant ?

SD : Tout est lié. J'ai commencé par le théâtre, mais la voix me fascinait déjà. Certaines comédiennes ont des voix magnifiques, dans lesquelles on entend de la musique. Je ne peux pas dissocier le chant et l'engagement. Plus je gagne en maturité et en maîtrise de mon instrument, plus j'ai envie de me mettre au service de la couleur, et que toute mon expression soit en adéquation, sans penser aux problèmes techniques. Je ne veux pas me mettre en difficulté, me laisser submerger par un rôle pour lequel je serais tentée de trop donner. Dans ce cas, je préfère ne pas le faire. Mais parfois on se laisse emporter malgré soi par ce qu'on imagine d'un personnage – je pense par exemple à celui de Cybèle – alors même qu'il n'y a ni difficultés vocales, ni problème de tessiture et à se trouver dans des situations extrêmes.

Quand à la biographie sur mon site Internet, elle a été rédigée par ma sœur. Je n'aurais jamais osé dire tant de bien de moi ! (rires) Mais elle me connaît bien, et 200%, c'est vraiment moi !

RM : L'engagement, c'est aussi l'expression du corps, et donc la danse. Je pense par exemple aux Paladins mis en scène au Châtelet en 2004 par José Montalvo et Dominique Hervieu.

SD : Il n'y avait pas tant de danse que ça ! On en avait l'impression parce que nous les chanteurs étions entourés de danseurs, mais nous n'en faisions pas tant que ça ! Cela dit, le physique est de plus en plus important dans notre métier, on nous demande d'être en adéquation avec le personnage. Quand il s'agit d'interpréter un rôle en travesti, par exemple, il faut être crédible, et donc plus ou moins svelte pour être plus facilement « habillable ». Mais dans mon cas, surtout, je n'ai pas envie d'avoir d'obstacles. Il faut que mon corps soit malléable, qu'il puisse s'adapter au personnage que j'interprète. Rien n'est gratuit, même un simple geste de la main, tout ce que peut voir le spectateur, doit avoir un sens, le corps, le regard, la voix… Il y a une infinité de matériaux pour exprimer les choses, et c'est formidable ! En fait, le corps est là pour rendre service !

RM : Vous avez désormais acquis le statut de star, y-a-il eu un tournant, un moment d'accélération ?

SD : Je pense que ma carrière a vraiment démarré avec la Médée dans Thésée de Lully, sous la direction de William Christie, à l'Académie d'Ambronay en 1998. Ensuite, c'est une question de chance, de rencontres, d'opportunités… ma carrière mûrit doucement.

RM : Justement, on vous a catalogué comme une chanteuse baroque, alors que ce n'était pas vraiment votre formation, ni votre spécialité. Et une quinzaine d'années après, vous chantez Carmen. Quelle trajectoire !

SD : Vous savez, l'écriture de Bizet n'est pas fondamentalement différente de celle de Lully ! C'est un rôle dans lequel on peut alléger. Si vous regardez la partition, il y a autant de pianissimi que de forte. Ce n'est pas un rôle si lourd qu'on peut le penser, contrairement à celui de Don José. En ce qui concerne la couverture orchestrale, tout dépend du chef, et de la maison.

RM : A ce jour, vous chantez toujours du baroque, même si c'est moins souvent, mais aussi du Offenbach, des rôles travestis, du Rossini, ce qui prouve que vous savez vocaliser…

SD : J'ai toujours su vocaliser. C'est quelque chose de naturel pour moi. J'ai passé mon prix avec l'air de Rosine, et on m'avait dit que j'étais faite pour chanter Rossini. Comme j'ai croisé le chemin du baroque avant, il m'a fallu un peu plus de temps pour le concrétiser.

RM : Ces répertoires différents nécessitent-ils tous la même technique ?

SD : Il n'y a rien de fondamentalement différent, mais il faut un peu adapter en effet sa technique à chaque répertoire. Par exemple des vocalises chez Haendel ne se font pas tout à fait de la même façon que chez Rossini. Ce n'est pas tout à fait la même mécanique. Cela dit, ma voix n'est pas lourde, plutôt malléable, et je me coule facilement d'un forme à l'autre, entre vibrato ou pas de vibrato, tel ou tel ornement… on doit être très précis, et j'utilise ma voix comme un instrument pour être au plus proche du style.

RM : Et donc, le soin apporté à la technique est toujours le même ?

SD : Ah ça, c'est ma priorité !

RM : Vous chantez donc tous les styles… Et la création contemporaine ?

SD : Ah ! Mais justement, je viens de chanter La Dispute, de Benoît Mernier, à la Monnaie de Bruxelles ! Je ne suis pas une spécialiste, et cela a demandé beaucoup de travail, mais c'est très bon pour l'oreille. J'ai retrouvé les sensations que j'avais au conservatoire, où on nous faisait travailler toute sorte de musiques. J'avais donc à ce moment là rencontré des compositeurs de mon âge, et j'avais trouvé ça très intéressant. J'ai tendance à être en empathie avec la musique, à prendre appui sur ce qui se passe autour, mais dans la musique contemporaine, ça peut me porter préjudice !

RM : Que pourriez-vous ne pas chanter ? Ou au contraire, que rêveriez-vous de chanter ?

SD : Oh beaucoup de choses ! Je me suis rêvée soprano colorature. Enfant, je montais très facilement dans les aigus, d'ailleurs j'y réussis toujours. Quand j'ai chanté récemment Rosine, certains m'ont reproché de tirer certaines variations vers l'aigu. Mais si je peux le faire et que ce n'est pas criard, pourquoi s'en priver ? Les codes font que les mezzos ne doivent pas s'aventurer dans le haut de la portée, on bouscule les règles. Il n'y avait pourtant aucune tension dans ma voix ! D'ailleurs, j'aime sortir des habitudes, et interpréter mes rôles comme je l'entends, même si cela sort des sentiers battus.
Je ne peux pas me plaindre du répertoire qui m'est offert, car il est vaste. Quand on a une voix comme le mienne, on peut la travailler aussi bien vers le grave que vers l'aigu. Après, tout est une question d'écriture. Ah ! Je sais ! Tosca ! Je ne pourrais pas chanter Tosca ! Cela dit, pourquoi pas, peut-être, un jour…

RM : Votre carrière en France est très active, là où des d'autres cantatrices françaises peinent à s'imposer, comment l'expliquer vous ?

SD : J'ai eu de la chance ! Je suis consciente que beaucoup de chanteurs français ont été obligés de s'expatrier pour faire carrière. C'est peut-être dû au fait que le répertoire de mes débuts était varié, entre opérette à l'opéra baroque, ce qui a pu m'ouvrir certaines portes. Cela m'a beaucoup aidé dans ma situation familiale, car j'ai une enfant, et je ne voulais pas être trop éloignée d'elle. Elle est plus grande maintenant, j'ai donc plus de mobilité, et je pense qu'il est important également d'aller voir ailleurs, de sortir de ses frontières et de son confort. Je parle de confort, car nous avons en effet en France une grande qualité de travail, quelles que soient les maisons. Depuis le temps que je travaille, je n'ai aucun mauvais souvenir : pas de production catastrophique, par rapport à des amis qui me racontent des choses horribles ! Je suis fière de tous mes rôles. C'est un vrai gaspillage, nous avons tant de belles voix en France, qu'on ne peut pas entendre !

RM : Le festival de Glyndebourne occupe une place importante dans votre carrière, pourquoi ?

SD : Cet été je devais retrouver Bill (William Christie, ndlr), je n'avais pas travaillé avec lui depuis Atys, il y a deux ans. J'ai dû annuler pour des raisons de santé, mais je suis souvent invitée à Glyndebourne depuis Giulio Cesare. J'y donnerai une Carmen en 2015, et Béatrice et Bénédict de Berlioz en 2016. L'équipe est fidèle à certains chanteurs, et propose des œuvres intéressantes. C'est un festival un peu « exotique », très anglais, et mis à part le manque de soleil, c'est très agréable d'y participer !

RM : Les temps forts de la saison qui s'annonce, et le rôle qui sera pour vous le plus grand défi ?

SD : Un récital avec mon ami pianiste Pascal Jourdan dans le cadre du Festival d'Ambronay, le 18 septembre, puis Dorabella dans Cosi et Sesto dans la Clémence de Titus à Garnier… Le bonheur !
Pour répondre à votre dernière question: mon défi de cette saison sera l'interprétation de Mélisande à l'Opéra de Nantes, rôle si éloigné de ma personnalité… Mais j'ai confiance en notre « metteuse » en scène, Emmanuelle Bastet.

RM : D'où vient cette confiance ?

SD : Nous avons travaillé plusieurs fois ensemble, Emmanuelle assistait Yannis Kokkos ; ce fut à chaque fois intense mais serein, quel bonheur de travailler dans la confiance. Pour Mélisande, je ne sais absolument pas à quoi m'attendre et j'essaie de ne pas avoir d'idée préconçue mais du fait que nous nous connaissons, le travail de recherche sur le personnage ira beaucoup plus vite , je suis très impatiente d'entrer dans son univers.

RM : Si demain Abdellatif Kechiche, le réalisateur de La vie d'Adèle, Palme d'or 2013, devient metteur en scène d'opéra et vous propose un rôle, vous acceptez? 

SD : Tout sauf un metteur en scène vide ou/et destructeur !

Crédits photographiques : © Bertrand Pichene

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