Wolfgang Sawallisch, le chef allemand à la recherche de la clarté
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Le chef d'orchestre allemand Wolfgang Sawallisch est décédé, en février dernier, à l'âge de 89 ans. Retiré des podiums depuis 2004, il n'en restait pas moins un monstre sacré, dernier représentant d'une certaine image du chef d'orchestre, maître de chapelle humble et dévoué au compositeur. Alors que des hommages discographiques lui sont rendus par EMI, Universal et Supraphon, ResMusica revient sur la vie et sur l'art de ce chef.
Le chef d'orchestre allemand Wolfgang Sawallisch est décédé, en février dernier, à l'âge de 89 ans. Retiré des podiums depuis 2004, il n'en restait pas moins un monstre sacré, dernier représentant d'une certaine image du chef d'orchestre, maître de chapelle humble et dévoué au compositeur. Alors que des hommages discographiques lui sont rendus par EMI, Universal et Supraphon, ResMusica revient sur la vie et sur l'art de ce chef.
Une biographie
Wolfgang Sawallisch voit le jour, à Munich, le 26 Août 1923. Le petit Wolfgang se met rapidement au piano et, à l'âge de 10 ans, il est déjà décidé à devenir un pianiste concertiste. Ses parents lui payent des leçons privées en attendant une entrée au Conservatoire de Munich. Cependant, la Seconde guerre mondiale perturbe ses plans. Le jeune homme est mobilisé, incorporé dans la Wehrmacht, puis fait prisonnier en Italie.
En 1945, il reprend ses études à Munich, entre autre, auprès du compositeur Joseph Haas. Il clôt son cursus par un diplôme de chef d'orchestre à la Hochschule für Musik. Selon, les méthodes d'alors, il doit apprendre son métier dans un petit théâtre de province : ce sera celui d'Augsbourg, ville bavaroise historique. Il gravit peu à peu les échelons ; entre 1947 et 1953, il passe du poste de premier répétiteur, chargé de superviser les répétitions du chœur à celui de Directeur musical. Il ne perd pas de vue le piano et il accompagne le violoniste Gerhard Seitz lors de sa victoire au Concours international de Genève en 1949.
En 1953, il passe une étape et monte à Aix-la-Chapelle comme directeur de l'orchestre et de l'opéra. La carrière du jeune homme va s'accélérer : en 1953, il fait ses débuts au Philharmonique de Berlin, avant de se produire à la tête du grand orchestre, en 1955, pour une série de concerts acclamés au festival d'Edinbourg. Ces succès lui ouvrent les portes des plus grands orchestres et des plus grandes salles de concert. En 1957, il est au Festival de Bayreuth où il est alors le plus jeune chef jamais invité dans la fosse wagnérienne. Ses débuts dans Tristan et Isolde sont fracassants et il est aussitôt réinvité, honorant le festival, chaque année, jusqu'en 1962. Il est repéré par le producteur de disques Walter Legge qui le fait rentrer dans l'écurie EMI, il grave ses premiers disques symphoniques avec le Philharmonia à Londres. En 1960, après un bref passage à la tête de l'opéra de Wiesbaden, il est directeur de la musique à Cologne et professeur à l'université de musicologie.
En 1960, Sawallisch met le cap sur Vienne pour assurer la direction du Symphonique de la ville à la suite du départ d'Herbert von Karajan. Il avait fait ses débuts triomphaux, en 1957, au pupitre de cet orchestre et le choc avait été tel qu'il avait été rapidement désigné à la direction musicale. Des tournées internationales et des enregistrements témoignent du haut niveau de ce tandem en particulier dans le répertoire germanique : Schubert-Brahms-Strauss et Bruckner. En 1967, il effectue ses premières prestations avec l'orchestre japonais de la NHK dont il sera proche jusqu'à la fin de sa carrière. Sawallisch n'oublie pas l'opéra et de 1961 à 1973, il cumule les fonctions de chef d'orchestre de l'opéra et de l'orchestre philharmonique de Hambourg. En 1970, en désaccord avec la direction du Symphonique de Vienne, il démissionne et il part occuper des fonctions équivalentes à l'Orchestre de la Suisse Romande (il reste à Genève jusqu'en 1980). La phalange suisse est alors au creux de la vague et en pleine crise identitaire, suite au départ et à la mort de son fondateur Ernest Ansermet, et après le bref passage à sa tête du Polonais Paul Kletzki. Le chef travaille sans relâche pour un orchestre à qui il redonne envie de jouer et surtout une visibilité internationale et discographique. Les mélomanes suisses gardent des souvenirs émus des concerts consacrés à la Symphonie n°9 et la Missa Solemnis de Beethoven, au Requiem allemand de Brahms, ainsi qu'aux Scènes de Faust et au Paradis et la Péri, et surtout à ses interprétations de Richard Strauss dont une Elektra, en 1974, au Grand théâtre.
En 1971, il prend également la tête de l'orchestre d'Etat de Bavière à Munich. C'est à ce poste qu'il va écrire une page de l'histoire de l'interprétation. Il y mène des cycles Richard Strauss (à l'exception de Salomé) et Richard Wagner, enregistrés pour EMI ou Orfeo, qui marquent leur temps. En près de 20 ans de mandature, il assure près de 1200 représentations et dirige 32 cycles intégraux du Ring wagnérien.
Ayant quitté Munich, il s'installe à Philadelphie auprès d'un orchestre qu'il dirige régulièrement depuis 1966. Cependant, en raison de problèmes de santé, le chef quitte son poste en 2003. Outre son passage à Genève, Sawallisch était très apprécié dans l'espace francophone. En France, il a dirigé l'Orchestre National de France et l'Orchestre philharmonique de Nice mais le public et les critiques gardent une haute mémoire de ses concerts à la tête de l'Orchestre de Paris où il avait dirigé, entre autre, un cycle Beethoven. Alain Pâris, chef d'orchestre et auteur d'un Dictionnaire des interprètes et de l'interprétation musicale depuis 1900, nous rappelle l'intérêt de cette collaboration : « sa rencontre beethovénienne avec l'Orchestre de Paris relevait d'une approche basée sur la maîtrise des classiques : c'était l'époque de Bychkov, l'orchestre s'était renouvelé et il fallait réapprendre ce répertoire. Ce qui ne fut pas facile, car la cohésion n'était pas alors la qualité première de l'orchestre et Sawallisch ne cultivait pas les individualismes. Rigueur et souplesse, importance des lignes, clarté des parties internes, et surtout un sens de la pulsation qui donnait vie à tout ce qu'il dirigeait : il est tellement facile de perdre le fil dans le mouvement lent de la quatrième, ou de se laisser emballer dans le finale de la deuxième ! La grande idée avait consisté à l'étaler sur plusieurs saisons, ce qui a permis d'assimiler son apport année après année. »
Wolfgang Sawallisch affaibli par des problèmes de santé s'était retiré des podiums, en 2004. Il est l'auteur d'une autobiographie parue en 1993 et intitulée Im Interesse der Deutlichkeit (Dans un souci de clarté).
Le style Sawallisch
Fuyant le star system, Sawallisch donnait l'image du maître de chapelle, entièrement dévolu au compositeur et rien qu'au compositeur. Très rigoureux en répétition, mais jamais cassant, il avait été surnommé à La Scala de Milan « Lo Speziale » ou « le Pharmacien », à cause d'un visage qui inspirait la rigueur et le sérieux. Il est également resté actif, autant en concert qu'à l'opéra et ne négligeait pas l'accompagnement pianistique de chanteurs ou d'instrumentistes, selon un profil de carrière très ancré dans une culture allemande.
Le travail orchestral de Sawallisch s'appuyait sur la pratique d'un répertoire classique qu'il considérait comme la base de la bonne santé d'un orchestre. A Philadelphie, succédant à un Riccardo Muti plus attaché au répertoire flamboyant qu'à pratiquer les fondements de l'art symphonique, il avait, pour sa première saison, imposé, une Symphonie de Haydn, à chaque programme. En effet, le musicien considérait le compositeur autrichien comme le meilleur exercice possible pour un orchestre.
Alain Pâris, nous éclaire sur le style du chef et sur sa place dans l'histoire de l'interprétation : « Après les chefs germaniques légendaires que furent Furtwängler, Knappertsbusch ou Karajan, Sawallisch a été l'un des premiers à mettre fin à des excès stylistiques qui avaient enfermé la direction d'orchestre allemande dans un excès de dramatisme et la recherche d'une pâte sonore parfois éloignés de la vérité des textes. Avant lui, on peut en trouver les prémices chez Bruno Walter ou Fritz Busch, mais leur lecture passionnée n'avait pas encore cette rigueur qu'il a su concilier avec la tradition germanique. On lui a souvent reproché une certaine froideur, peut-être plus souvent au concert qu'à l'opéra. A mon sens, c'est confondre froideur et simplicité. A sa génération, il a été la seule figure marquante de la direction d'orchestre allemande. ».
En 1999, le grand pianiste français François-Frédéric Guy avait fait ses débuts avec l'Orchestre de Paris dans le Concerto n°2 de Brahms sous la baguette du chef : « je travaillais tranquillement dans ma loge et personne n'est venu me prévenir que c'était à moi. Je descends et croise le maestro passablement tendu qui me dit en préambule: Où étiez-vous? On vous attend ! Premier contact donc ! Or il faut rappeler que j'étais jeune et très impressionné car c'était mes débuts à Paris ; ça compte dans la carrière d'un jeune musicien ! Puis je m'installe et j'entends le cor débuter le merveilleux motif initial alors que je réglais le siège ; je ne me démonte pas et commence. Tout change alors, il devient affable, attentif, presque affectueux, un grand-père mais avec une terrible autorité. Un vrai bonheur ! Tant et si bien que la répétition de termine dans sa loge à quatre mains jouant la Symphonie n°3 de Brahms. Son rapport au soliste était à l'ancienne. Très directif et ne souffrant pas le commentaire. Mais je ne demandais qu'à boire ses paroles. Il n'était pas du genre à demander le tempo au soliste, surtout à un jeune comme moi. Mais, j'écoutais, j'observais et je me régalais ! Le tempo très ample du 1er mouvement me convenait parfaitement. Puis il m'a dit une chose importante pour la coda du finale, difficile à négocier musicalement : jouer cette coda en ayant conscience qu'elle termine non seulement le finale mais surtout cette œuvre monumentale. Autrement dit : détendez un peu le tempo pour qu'on perçoive l'ampleur de cette péroraison. J'avais l'impression de jouer avec un chef légendaire comme Furtwängler ou Celibidache ! ».
Le legs discographique Sawallisch
La discographie de Wolfgang Sawallisch est naturellement conséquente : elle couvre l'opéra, la musique chorale, le symphonique, la musique de chambre et l'accompagnement de chanteurs.
Du côté de l'opéra, les cycles Wagner et Strauss, restent des indémodables de la discographie. Ainsi, dans le cadre de ses représentations wagnériennes munichoises, le chef avait proposé au public les opéras de jeunesse mal-aimés que sont : Rienzi, Die Feen ou Das Liebesverbot ; éditées chez Orfeo, ces gravures n'ont jamais été surpassées. Il ne faut pas négliger les représentations captées sur le vif à Bayreuth : Der Fliegende Holländer, Tannhäuser ou Lohengrin (Philips-Decca).
De Richard Strauss, on retient surtout ses lectures d'Elektra et de Capriccio (EMI). Sawallisch était particulièrement proche de l'œuvre de Richard Strauss auquel il a consacré de nombreux disques symphoniques (EMI et Orfeo) et il a même coordonné, du piano, une intégrale unique de sa musique de chambre avec des musiciens bavarois (Arts et Brilliant). On lui doit par ailleurs, l'accompagnement pianistique de plusieurs disques centrés sur les lieder de Strauss.
Du côté symphonique, le répertoire du chef tournait autour des grands classiques du répertoire allemand. On lui doit plusieurs intégrales des Symphonies de Brahms et Schumann. Sa première intégrale des Symphonies de Schumann gravée à Dresde, pour EMI, est toujours un incunable de la discographie. Le chef était évidemment à son aise avec Bruckner dont il laisse de très belles lectures des Symphonies n°4 (EMI) et n°6 (Orfeo). Il ne faut pas non plus négliger ses lectures de Schubert (Messes chez EMI et Symphonies chez Universal) et ses interprétations de Mendelssohn (Symphonies et oratorio Elias chez Universal).
Si l'on recherche des pépites et des chemins de traverses, il faut se ruer sur son Macbeth de Verdi capté à Salzbourg, le chef y dirige une distribution de rêve : Grace Bumbry et Dietrich Fischer-Dieskau. Du côté des raretés, il faut signaler son Requiem de Hindemith et sa Symphonie n°3 de Furtwängler chez Orfeo ainsi que le double album dédié à deux opéras de Carl Orff : Der Mond et Die Kluge (EMI).
L'orchestre de Philadelphie propose en téléchargement des concerts du chef documenté au pupitre de l'orchestre, on y trouve des Symphonies de Bruckner et une intégrale des Symphonies de Schumann.
En hommage au chef, ses maisons de disques remettent en coffret plusieurs de ses enregistrements. Emi, dans sa série « Icon », propose ses intégrales tardives Brahms et Beethoven. Universal présente différents coffrets selon les marchés nationaux, avec les intégrales Mendelssohn et Schubert. L'initiative la plus intéressante est à créditer aux Tchèques de Supraphon qui documentent les concerts de Sawallisch à Prague avec, entre-autre, un répertoire local du XXe siècle. On y découvre un Sawallisch plus incisif et buriné qu'en studio, entre autre dans une grandiose Messe de Leoš Janáček et dans des partitions de Bohuslav Martinů (Messe de Campagne et Symphonie n°4).
Nous remercions chaleureusement Alain Pâris et François-Frédéric Guy pour leurs témoignages.
Crédits photographiques : DR
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