Le festival de Macerata est une sorte de second Vérone, où les Arènes se nomment Sferisterio, un stade de jeu de pelote construit par la bourgeoisie locale en 1823. Dans les années 1920, le jeu devient moins populaire et le Sferisterio, dont l'acoustique est parfaite, change d'usage, avec une première représentation d'Aida en 1921.
Cette année le Festival célébrait le centième anniversaire de Benjamin Britten avec le Petit ramoneur, et le bicentenaire de Verdi avec deux nouvelles productions de Nabucco et du Trouvère.
Sous le long mur, la scène immense est sombre et vide, deux longues tables, une tour. Un cri soudain, lamentation d'une femme en noir qui apparaît dans la lumière, puis c'est la silhouette d'un enfant qui traverse la scène, puis deux hommes qui se battent à coups de faux. Ce sont les deux fils du Comte de la Lune, l'un pour l'autre ne pouvant apporter que la mort comme destin. En haut sur la tour, une femme rousse se débat, liée par une longue corde rouge lumineuse tenue, tout en bas, par deux personnages encore indistincts. Un éclair et elle s'enflamme; la tour est un bûcher, et on y brûle une sorcière.
Encore une fois, son cauchemar revient hanter la gitane Azucena.
Tout s'éteint, tout commence.
Sur l'immense scène du Sferisterio (90 mètres de long) Louis Désiré a disposé deux tables de 60 mètres qui représentent le passé (à gauche), le présent (au centre) et le futur (à droite). Ce sont les seuls décors avec la tour noire et d'énormes luminaires cylindriques accrochés au mur de fond de scène. Quelques symboles se répètent, les fantômes, les lignes rouges, liens familiaux, d'amour ou de vengeance…
Tout se passe dans la tête d'Azucena, Francisco Négrin a voulu rendre visibles les fantômes qui la hantent, ce qui rend un peu plus plausible cette histoire absurde. C'est elle, Azucena, qui met en marche le mécanisme de mort. Dès l'ouverture le metteur en scène nous montre le supplice de sa mère, la sorcière, et l'enfant, celui qu'elle a jeté dans le feu. Tous deux la poursuivent et l'obligent à la vengeance.
Francesco Micheli a pris la succession de Pier Luigi Pizzi en 2012 et vivifié un festival qui s'était endormi. Avec une programmation « off » il a ouvert le festival sur la ville et il a réussi à faire plus avec moins, misant sur les chanteurs et sur la mise en scène. La salle de 2400 places est pleine. Une réussite !
Si, malgré les qualités des chanteurs, l'action flotte un peu dans la première partie, dans la seconde, les personnages s'incarnent et l'émotion gagne.
L'enfant marche imperturbable sur les tables comme sur le fil du temps. Au lieu de soldats ou de gitans, Negrin et Désiré ont transformé le chœur en une masse de spectres. C'est un chœur d'outre tombe qui va et vient, mouvements d'insectes rampants, visages blancs, corps presque invisibles, en cinquante nuances du gris au noir… Les lumières de Bruno Poet sont volontairement opaques, percées d'éclairs et de flammes, sans qu'on puisse jamais avoir une impression de jour.
Les duos et trios de la fin entre Azucena, Leonora et Manrico sont déchirants et l'arrivée de Luna aveuglé par sa rage ne fait qu'augmenter la tension. La voix agile de Susanna Branchini et celle pleine et généreuse d'Aquiles Machado se joignent à celle, claire et puissante, de la fougueuse mezzo Enkelejda Shkosa, puis dans un dernier éclat, le timbre profond et juste du jeune baryton Simone Piazzola sonne le glas.
Brûlante et purificatrice, une langue de feu se répand sur toute la longueur de la scène dans un grand brasier final !