Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre
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A l'occasion de la remise du Trophée ICMA pour le coffret Ballets Russes et la sortie de son œuvre presque intégrale chez DGG, Pierre Boulez a bien voulu répondre à quelques questions pour ResMusica.
« C'est un moment exceptionnel de ma vie musicale, je suis content qu'il en soit resté cet enregistrement. »
ResMusica : Vous avez enregistré à plusieurs reprises le Sacre du printemps. Quelle version a votre préférence ?
Pierre Boulez : Celle faite avec l'Orchestre de Cleveland, la première version, avec CBS. Nous avions joué le Sacre à l'occasion d'une tournée dans des petites villes des Etats-Unis. Il y avait la sécurité de l'exécution et la sécurité de la routine. C'était l'époque ou l'Orchestre de Cleveland était unique au monde en raison de l'héritage de George Szell. C'est un moment exceptionnel de ma vie musicale, je suis content qu'il en soit resté cet enregistrement.
RM : Une vidéo célèbre vous montre avec Igor Stravinsky à propos de Noces, où vous pointez une erreur d'édition.
PB : Oui, c'est vrai.
RM : Récemment une polémique est née autour de l'édition par Boosey and Hawkes du Sacre, dont la partition serait fautive. Qu'en pensez-vous ?
PB : Je ne suis pas au courant de cette polémique, mais oui il y a des erreurs qui n'ont pas été corrigées par Boosey and Hawkes. Le problème est qu'ils font une édition et quelqu'un a repéré une erreur, une contrebasse un demi-ton trop haut ou trop bas, je ne me souviens plus. On ne va pas refaire toute une édition pour une note. Je connais un chef d'orchestre, François-Xavier Roth, qui a découvert des fautes. Moi j'en ai trouvé une pour un passage, pas vraiment une faute mais des choses douteuses, des accords dont on ne sait pas s'ils glissent par demi-tons ou par tons entiers. De même il y a une note de basson qui passe d'un ton à un autre alors que c'est faux, certainement. J'ai la vieille édition du Sacre, qui date de 1920. Certaines fautes sont corrigées, d'autres ne le sont pas, mais ce n'est pas catastrophique du tout. Si je regardais aujourd'hui la partition de très près, j'en découvrirais, mais assez peu. Quelques fois on est en colère contre les éditeurs car vous envoyez une série de corrections, en vain…
RM : Vous avez souvent dirigé Une Barque sur l'océan de Ravel à l'occasion du concert donné pour vos 85 ans. Pourquoi le choix de cette œuvre peu connue de son compositeur ?
PB : Certaines œuvres de Ravel, chez Durand, sont très peu corrigées. J'ai envoyé trois pages de corrections, mais c'est rare. Certaines œuvres ne sont jamais jouées on se demande pourquoi. Ravel était mécontent de l'exécution orchestrale d'Une Barque sur l'océan. Moi je la joue en concert car il n'y a aucune raison de ne pas le faire.
RM : Vous êtes souvent revenu sur vos propres œuvres, les qualifiant vous-même de works in progress. Quelles versions de vos œuvres laisserez-vous à la postérité ?
PB : La version finale de chacune de mes œuvres retravaillées. Si on veut entendre les autres on peut, c'est ce que je me dis toujours. Il y a de plus en plus de bibliothèques, surtout via le numérique, qui permet de maîtriser cette accumulation, en comparant une ou deux versions d'une même œuvre, une version « provisoire » et la version « définitive ».