Éditos

C’est le cœur serré que je vous dis…

 

Il y a un certain relâchement du devoir de mémoire depuis quelques temps. Le « grand débat sur l’identité nationale » avait levé les tabous du racisme et inaugurait la « droite décomplexée », qui se poursuit encore avec l’affaire des pains au chocolat de Jean-François Copé. Les remous du mariage pour tous et ses manifs « anti » qui n’en finissent plus ont permis de faire découvrir de poétiques images. On voit ainsi défiler des enfants tenant papa et maman par la main, des jeunes filles ceintes d’une écharpe tricolore et coiffées d’un bonnet phrygien, et comme principal mot d’ordre « on veut du boulot, pas du mariage homo ». Dans l’ordre : la famille, la patrie et le travail. Ça ne vous rappelle rien ? Pendant ces manifestations une autre actualité, moins urgente mais tout aussi brûlante, a eu son petit effet : éditer les pamphlets antisémites de Céline ou Rebatet.

Pendant ce temps L’Opéra Comique propose ce mois Mârouf, savetier du Caire d’Henri Rabaud, plaisante fantaisie orientalisante créée en 1914. En parallèle, un colloque « Henri Rabaud en son temps » pour comprendre pourquoi ce compositeur, et d’autres dont Max d’Ollone, ont été « rejetés dans l’ombre de Debussy et de Ravel ». Parlera-t-on du passage de ces deux compositeurs devant les comités d’épuration de 1946 ? Henri Rabaud, directeur du Conservatoire de Paris en 1940, a listé les professeurs et élèves juifs de son établissement. Max d’Ollone présidait la section « musique » du Groupe Collaboration. Une justification probable de l’ « oubli » de ces compositeurs.

La lecture des saisons à venir nous informe d’un concert « de gala » de la Fondation Long-Thibaud pour fêter les 70 ans du concours. 2013 – 70 = … En 1943 il est permis de douter que les fortunes privées et les industries aient pu subventionner le premier événement. Marguerite Long et Jacques Thibaud participaient au « comité Rabaud » (encore lui), comité technique auprès de « Gestapette La Belle Bonnard », autrement dit Abel Bonnard, ministre de l’Education nationale et des Beaux-arts du gouvernement Pierre Laval en 1942. L’anniversaire sera-t-il fêté avec le devoir de mémoire nécessaire ? Mystère. Mis à part une excellente parution sous la direction de Myriam Chimènes La Vie musicale sous Vichy (éditions Complexes / CNRS, 2001) et le cycle « Musique sous l’occupation » ce mois à la Cité de la Musique, la place laissée à la mémoire reste décidément congrue.

De Claire Croiza à Alfred Bachelet, de Florent Schmitt à Serge Lifar, toute ces personnalités de la musique et de la danse qui se sont compromises sous l’Etat Français ne sont plus de ce monde depuis quelques décennies. Leurs œuvres et interprétations sont indépendantes de leurs engagements. Leurs héritiers ne sont en rien responsables des errements politiques de leurs ancêtres.Louis-Ferdinand Céline, collaborateur notoire, n’en est pas moins considéré comme un auteur majeur de la littérature française avec Mort à crédit . Ce devoir de mémoire a été fait en littérature et en cinéma, mais reste balbutiant en musique. Comme si cet art ne pouvait avoir aucune implication politique… Balayons devant notre porte et posons-nous les bonnes questions. Lire Voyage au bout de la nuit n’est pas plus risqué que d’écouter Mârouf, savetier du Caire. A condition de bien savoir qui en ont été les auteurs.


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