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A Salzbourg, Ariodante tout en force

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Salzbourg. Landestheater. 26-IV-2013 (première). Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Ariodante, opéra seria en 3 actes sur un livret d’ Antonio Salvi. Mise en scène: Johannes Schütz. Assistant: Georg Schütky. Costumes : Michaela Barth. Chorégraphie: Tobias Hell.
Avec : Tamara Gura, Ariodante ; Karolina Plickova, Ginevra ; Katharina Bergrath, Dalinda ; Nadezhda Karyazina, Polinesso ; Mark van Arsdale, Lurcanio ; Marcell Bakonyi, Il re di Scozia. Mozarteumorchester Salzburg, direction: Christian Curnyn.

Depuis quelques années, occupe la scène internationale avec ses interprétations baroques et plus particulièrement haendéliennes, certaines ont même donné lieu à des enregistrements discographiques louables comme Partenope, Semele, Il Trionfo del Tempo, ou encore Flavio.

Alors d'emblée on est frappé par la direction tonique et le sens théâtral du chef, favorisant la générosité du son de l'orchestre, intensifiant les moments dramatiques comme dans les sinfonie qui soulignent les tourments chimériques de Ginevra à la fin du deuxième acte ou la délicatesse de certaines pages comme l'air « Scherza infida ». Côté mise en scène, a choisi de transposer le drame dans un décor et des costumes contemporains : nous sommes à l'intérieur d'un appartement de jeunes étudiants qui cohabitent, prennent l'apéro, font la fête, dansent, se séduisent, se trompent et se détestent. Le décor fixe montre l'ensemble des pièces qui constitue cet appartement d'étudiants désordonnés : chambre et salle de bain d'un côté, salon, cuisine, garage à bateau et porte donnant sur une supposée cave de l'autre, ainsi qu'un escalier qui mène à une autre chambre. La transposition peut surprendre et l'on peut comprendre qu'elle ait pu dérouter un public salzbourgeois plutôt conservateur. Pourtant cette mise en scène se tient et fonctionne même plutôt bien, offrant des moments délicieusement ambigus comme lorsque Ginevra repousse violemment Polinesso tout en lui tendant sa jambe dénudée pour qu'il la lui caresse. Cette séductrice finira non pas par fauter avec ce dernier mais cèdera aux avances d'un autre (Il re di Scozia : colocataire ou père incestueux ?) ce qui va susciter la colère d'Ariodante qui pensait sa Ginevra fidèle et susciter la folie de cette dernière, rongée par les remords. Lurcanio est le garçon sérieux du groupe, il ne parvient pas à « dompter » la délurée Dalinda qui s'intéresse plutôt au mauvais garçon Polinesso qui va la manipuler… Le public salzbourgeois n'a pas supporté ! Il s'est bruyamment manifesté notamment lorsque Ginevra fait une fellation au Re di Scozia. L'idée, certes provocante, se justifie pourtant : il ne s'agit pas de montrer une scène sexuelle comme telle mais d'illustrer la scène du violent cauchemar de Ginevra à la fin du deuxième acte. En effet, elle s'imagine ici en train de se venger de tous ses colocataires en les tuant un par un et feint de prendre plaisir à la fellation pour pouvoir en fait trancher le sexe de son partenaire !

La distribution réunie pour l'occasion apporte son lot de bonnes et un peu moins bonnes surprises : des voix étonnamment amples qui ont tendance à tout chanter avec la même intensité, c'est certes jouissif sur le plan purement lyrique mais fort dommageable du point de vue expressif : les airs manquent cruellement de nuances et de subtilités et finissent par affaiblir la charge émotionnelle des airs.

C'est surtout vrai dans le cas de la soprano qui incarnait le rôle de Ginevra, son chant exubérant finit par malmener le style. Saluons son bel engagement scénique au demeurant.  L'autre soprano , dans le rôle de Dalinda, possède cette voix encore verte des très jeunes chanteurs, pourtant elle convient plutôt bien à son physique d'adolescente écervelée dont tout le monde va se servir pour arriver à ses fins. Le rôle-titre est crânement assuré par la mezzo-soprano (déjà entendue à Karlsruhe dans un Radamisto de bonne tenue), elle affronte avec fort panache les airs de bravoure « Con l'ali di costanza » et « Dopo notte » mais oublie d'y apporter les intentions du texte et de la mise en scène qui requièrent subtilités, nuances et relief. Conséquence : l'air certainement le plus attendu « Scerza infida » perd de son potentiel émotionnel par manque de mezza voce dans la reprise face à un orchestre pourtant tout en murmure.

Le Polinesso de a lui aussi surpris par son volume, mais surtout par la richesse et la noirceur du timbre et la facilité des vocalises cependant trop allégées parfois (afin, l'on suppose, de faciliter leur exécution), de sorte que la voix perdait de ses couleurs sombres, réduisant ainsi la caractère perfide du personnage. Mais l'interprète termine brillamment avec un trépidant « Dover, giustizia, amor » ! Quel panache ! Le ténor américain s'est distingué par son aisance vocale et la clarté de son timbre, face à des pages pourtant redoutables et sur lesquelles bien des ténors se retrouvent en difficulté : les airs virtuoses « Tu vivi » et « Il tuo sangue » dont les vocalises ont été exécutées avec une facilité déconcertante, et accrues dans les da capo ! Quel souffle ! Enfin le baryton-basse incarne un brillant Re di Scozia de sa voix incroyablement bien timbrée et sonore. Il ne fait qu'une bouchée de l'air « Voli colla sua tromba » ! Et à part quelques petits décalages de mesure et un petit oubli du texte (le chef s'est arrêté pour lui souffler clairement la phrase et lui de la répéter) il a largement convaincu sinon impressionné.

Bref, un bilan vocal assez bon dans l'ensemble auquel il aurait fallu opérer quelques ajustements pour parvenir à un résultat plus probant (le trac des chanteurs était palpable). Gageons qu'après la première, les interprètes trouveront l'équilibre nécessaire. Quant à la transposition scénique, peut être pas la meilleure que l'on puisse imaginer pour l'œuvre, elle aura eu au moins le mérite d'être cohérente et de fonctionner.

Crédit photographique : Karolina Plicova (Ginevra) ; Premier plan : (Ariodante), (Re di Scozia), (Lurcanio). Au fond : Katharina Gergrath (Dalinda) & (Polinesso) © Christina Canaval

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Salzbourg. Landestheater. 26-IV-2013 (première). Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Ariodante, opéra seria en 3 actes sur un livret d’ Antonio Salvi. Mise en scène: Johannes Schütz. Assistant: Georg Schütky. Costumes : Michaela Barth. Chorégraphie: Tobias Hell.
Avec : Tamara Gura, Ariodante ; Karolina Plickova, Ginevra ; Katharina Bergrath, Dalinda ; Nadezhda Karyazina, Polinesso ; Mark van Arsdale, Lurcanio ; Marcell Bakonyi, Il re di Scozia. Mozarteumorchester Salzburg, direction: Christian Curnyn.

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