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Bernard Mouscadet, directeur de l’Opéra de poche

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Avant il parcourait la planète pour construire. Des clubs Med, des ambassades… Il se battait contre des concurrents plus gros, contre des administrations trop lentes… Il voyageait. Depuis qu'il a cessé de « travailler » il se bat tout autant et il voyage toujours. Depuis dix ans il dirige L'Opéra de poche, petite compagnie lyrique itinérante qu'il a récemment emmenée à Pékin et Shanghai, bientôt à Montreuil et New York.

« Nous sommes parmi les premiers à avoir incité des chanteurs français à chanter de la musique chinoise. »

ResMusica : L‘Opéra de Poche, se pose les 25, 26 27 avril 2013 à Montreuil pour un Don Giovanni exceptionnel au théâtre Berthelot. Pourquoi Montreuil ?

 : Le contact avec Montreuil est arrivé par un de nos musiciens qui enseigne à Montreuil. Il m'a fait rencontrer Salim Leghmizi, le directeur du théâtre Berthelot, qui nous a invités à jouer dans son théâtre. Jusqu'à présent nous avions principalement joué dans des lieux privés très divers.

RM : Pourquoi Don Giovanni ?

BM : En dix ans d'existence, l'Opéra de poche a monté deux créations et seize nouvelles productions, nous avons donc un peu épuisé le répertoire des œuvres courtes qui demandent peu de chanteurs. Et nous nous sentons prêts maintenant, à attaquer les grandes œuvres comme Carmen que nous avons déjà jouée, ou Don Giovanni. Le fait de jouer des œuvres connues attire aussi plus facilement le grand public auquel nous apportons l'opéra sur un plateau à domicile, avec nos festivals de Carnac et de Moulins. Bien sûr, comme nous sommes une troupe d'opéras de poche, nous avons toujours la contrainte de n'avoir sur scène que quatre chanteurs, ce qui nous oblige à inventer des adaptations. L'expérience de la Tragédie de Carmen que nous avons jouée récemment avec beaucoup de succès en France [ndlr : arrangement de l'opéra de Bizet pour quatre chanteurs, un comédien et un ensemble instrumental par Marius Constant et Peter Brook], puis à Pékin et à Shanghai, nous a renforcé dans l'idée que les adaptations sont possibles et que le public les apprécie.

RM : Qu'y a-t-il de spécial à votre Don Giovanni ?

BM : Notre adaptation est un pari car elle oblige chaque chanteur à tenir deux rôles différents, Don Giovanni chante aussi Don Ottavio, Leporello chante aussi Masetto, Donna Elvira chante aussi Zerlina… Couper est un art. Luigi Cerri, un comédien et metteur en scène italien qui vit à Paris, a adapté le livret de Don Giovanni. Il a fallu arranger les scènes et recoudre l'histoire pour que les chanteurs puissent changer de rôle et de costumes. Les liaisons sont très importantes. Florestan Boutin, l'un de nos pianistes, s'est chargé de l'adaptation musicale et il accompagnera les chanteurs au piano. Et pour continuer notre échange culturel avec la Chine, le rôle de Leporello et Masetto est chanté par Xiaohan Zhai qui a eu le 3° prix du concours Flame à Paris en 2012, et qui chantera aussi à Moulins cet été.

RM : Pourquoi avez-vous choisi d'avoir une troupe ?

BM : L'esprit de la troupe nous convient. C'est un principe généralement abandonné par l'art lyrique en France. L'Opéra de Paris n'a plus de troupe de solistes, mais en Allemagne, en Autriche, en Suisse, il y a des troupes. La difficulté, c'est d'avoir des artistes de haut niveau alors qu'on ne leur offre pas une « grande » scène. Nous n'avons pas non plus les moyens financiers des salles institutionnelles, mais comme nous faisons travailler nos artistes presque trois mois par an, c'est important pour eux et ils nous restent fidèles. Nous formons une équipe. Il y a beaucoup de spectacles « jeunes talents ». Moi j'ai pris des jeunes il y a dix ans, et je les ai gardés. Nous donnons aussi la possibilité aux chanteurs de chanter des rôles titre. Nous les emmenons en tournée, Chine, Italie… C'est la vocation itinérante de notre troupe qu'exprime bien notre logo ! Et puis, le fait d'être une troupe permet aussi, lors de nos festivals, de jouer trois ou quatre opéras différents en une semaine, avec les mêmes chanteurs. Peu de chanteurs en sont capables.

RM : Faites-vous de la création ?

BM : Une création c'est une aventure. C'est se lancer dans l'avenir. Il ne faut pas se consacrer seulement aux œuvres du passé. Je suis un optimiste ! Cette démarche est suffisamment originale pour qu'un chef comme Andrea Battistoni, qui vient d'être engagé par la Scala, soit venu diriger la première mondiale d'Aldo Moro d'Andrea Mannucci à Paris en 2011. Nous allons bientôt jouer notre troisième création, The Island of The Ugly Sisters. L'idée est venue de Emily Anderson, écrivain et scénariste de séries télé aux États-Unis. Elle nous a proposé d'écrire un livret d'opéra et je l'ai mise au défi de le faire, avec un cahier des charges très strict : pas plus de quatre personnages et une heure maximum. Ensuite il fallait trouver un compositeur, et nous avons choisi Evan Fein, élève de la prestigieuse Julliard school de New York. Cette œuvre sera crée lors des festivals de l'été 2013 et présentée à Paris et à New York à l'automne.

RM : Pourquoi avoir créé l'Opéra de poche ?

BM : J'étais entrepreneur et j'ai senti l'opportunité de créer quelque chose dans le secteur de l'opéra. Il n'y avait pas de troupe organisée comme une PME qui montait des petites œuvres. C'était un domaine peu exploité et j'ai eu envie de le faire. J'ai créé l'Opéra de poche pour le plaisir personnel de développer quelque chose. C'était un secteur culturel, non marchand, à l'opposé de celui dont je venais, mais j'ai créé une structure dont la gestion est proche de celle d'une PME. J'aime envisager l'avenir par le moyen d'un art pourtant considéré parfois comme passéiste. C'est pour cela qu'il est important pour moi de commander et de créer des œuvres nouvelles. L'influence d'une culture sur l'autre m'intéresse aussi beaucoup, c'est ce qui m'a fait développer des échanges avec des Italiens et des Chinois, bientôt aussi avec des Américains. Pour y arriver il faut d'abord connaître sa propre culture, et la culture de l'autre. Nous sommes parmi les premiers à avoir incité des chanteurs français à chanter de la musique chinoise. Notre concert de chansons populaires chinoises à Paris en avril 2012 a eu un succès formidable, et nous recevons à Carnac chaque année trente stagiaires chinois qui participent à notre festival.

RM : Comment fonctionne l'Opéra de poche ?

BM : Quand on a travaillé toute sa vie avec des bilans et des obligations de rentabilité, c'est une libération de ne pas être tenu à faire des bénéfices. Pour moi si j'équilibre mes dépenses je suis content. Pour l'instant tout va aux artistes. Notre activité est structurellement non rentable. Je n'ai pas cherché jusqu'à ce jour de subventions publiques et l'Opéra de poche fonctionne grâce au bénévolat et au mécénat privé. Je suis un peu un homme orchestre, je produis les spectacles, je construis les décors… et je laisse toute liberté à mes artistes. Heureusement nous avons plusieurs bénévoles fidèles et efficaces, et aussi un réseau d'Amis de l'Opéra de poche qui nous soutiennent. C'est grâce à l'un de nos fidèles spectateurs que j'ai rencontré le Comic Opera Festival de Pékin et Shanghai. Notre public est très fidèle, et c'est une source importante pour la création d'un réseau de soutien.

RM : Et l'avenir ?

BM : J'ai 70 ans, je me donne jusqu'à 80 ans. Les gens les plus géniaux avec lesquels j'ai eu le plaisir de collaborer avaient tous plus de 80 ans. Il n'y a aucune raison de ne pas travailler jusqu'au bout. Je me donne dix ans pour trouver un successeur. Je veux trouver un successeur pour assurer la vocation exportatrice de l'Opéra de poche qui permet à des artistes français de se produire non seulement en France, mais dans le monde. Je veux contribuer à ma toute petite échelle à exporter l'image de la France dans cette époque de mondialisation. J'en prends le côté positif, le fait que les distances se réduisent de plus en plus, et que la technologie fait qu'il est possible d'avoir des équipes multiculturelles, le fait qu'on puisse être influencé et aussi influencer les autres cultures.

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