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Un Siegfried de qualité à Bastille

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Paris. Opéra Bastille. 21-III-2013. Richard Wagner (1813-1883): Siegfried, deuxième Journée en trois actes du Festival scénique L’Anneau du Niebelung; livret du compositeur; mise en scène Günter Krämer; décors, Jürgen Bäckmann; lumières, Diego Leetz. Torsten Kerl, ténor, Siegfried; Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, ténor, Mime; Egils Silins, baryton basse, Der Wanderer; Peter Sidhom, baryton, Alberich; Peter Lobert, basse, Fafner; Alwin Mellor, soprano, Brünnhilde; Qiu Lin Zhang, contralto, Erda; Elena Tsallagova, soprano, Waldvogel. Orchestre de l’Opéra National de Paris; direction Philippe Jordan.

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La reprise de Siegfried dans la production de qui a fait couler beaucoup d'encre lors de la création en 2011, réactive la question de savoir ce que l'on attend d'une mise en scène.

Qu'elle nous offre une lecture du livret et nous installe dans de BEAUX décors (c'est le mot LAID qui revient en effet le plus souvent dans le propos des détracteurs), ou qu'elle questionne le propos de l'auteur et nous en livre une vision personnelle; en d'autres termes qu'elle prenne des risques et affirme son originalité dans la mesure où les choix participent d'un propos fondé et cohérent.

Tel est, à notre avis, le travail accompli par dans le Prologue et les deux premières Journées de L'Anneau du Niebelung. Si depuis la fin de L'Or du Rhin, les hauteurs du Walhalla chez s'atteignent via un praticable vertigineux – celui de – c'est que le processus de destruction de l'univers des puissants est à l'oeuvre, exprimé par le désenchantement lucide de Wotan dans La Walkyrie et le recours à un matériau trivial dont le metteur en scène use avec beaucoup d'invention d'ailleurs; pour exemple, le tableau saisissant des guerriers morts dans le début de La Walkyrie.

Chez Krämer, le récit de cette fin annoncée donne de moins en moins de crédibilité aux personnages dont il va accuser à mesure la dérision voire le ridicule: à côté de ses nains de jardin, Mime, dont les jours sont comptés, cultive le cannabis et fume à l'occasion un joint. Siegfried, innocent bienheureux mais petit-fils de Wotan (alias le Wanderer) dont il va briser la lance, n'est pas épargné, avec ses culottes courtes, ses dreadlocks rastas et son enthousiasme béat d'un Tintin lancé à la conquête de la Toison d'or. Mais il nous fait d'autant mieux pénétrer le Merveilleux des « Murmures de la forêt » (Deuxième acte) que la transparence d'une toile champêtre où se joue la lumière contextualise assez finement. Entre temps, Siegfried aura forgé Notung – la scène de la forge (final du premier acte) est une des plus belles réussites scéniques – et tué le dragon dont Krämer se contente de suggérer, superbement, l'antre mystérieuse cernée par une bande de demi-sauvages entièrement nus. La chose est « à la mode » nous dit-on; mais la plastique des corps a toujours attiré l'esthète, et ceci depuis l'Antiquité!

Le troisième acte, sublime dans son écriture, est écrit dix ans plus tard, Wagner ayant abandonné son héros pour la composition de Tristan et Isolde. L'élan, celui de l'épopée légendaire des deux premiers actes, se tarit au profit d'une intériorisation du drame et d'un climat plus sombre. L'affrontement sans merci entre Erda et Wotan (Début du troisième acte) dans la lumière verte de bureaux d'étude dupliqués dans l'espace, se joue autour de la lance du Wanderer, dans une chorégraphie de gestes saisissante rappelant la stylisation d'un Bob Wilson. La scène du réveil de Brünnhilde ramène logiquement la perspective du praticable monumental, certes un peu prosaïque mais toujours « aménagé »: par les flammes sur écran vidéo et surtout les ors des casques de guerriers figés durant toute la scène, sorte de métaphore très réussie du sommeil de Brünnhilde.

Dans le rôle titre, le ténor est un Siegfried plein d'élan, de lumière dans la voix et de souplesse dans le chant, infatigable et très convaincant, même si, face à Mime dans le premier acte, sa voix manque un rien de projection. est idéal dans l'ambiguité sordide de son personnage dont il joue avec un talent scénique remarquable. La voix de basse de /Fafner et celle du baryton , exceptionnel Alberich depuis le début du cycle, sont très impressionnantes, par leur plénitude et leur projection; dans le rôle du Wanderer, le baryton-basse letton déploie une voix d'une robustesse et d'une couleur qui confère à chacune de ses interventions une intensité dramatique singulière. La soprano /l'Oiseau de la forêt, irréprochable, chante depuis la fosse d'orchestre; elle est en effet doublée, sur scène, par un personnage muet communiquant avec Siegfried par le langage des signes. La voix de contralto de /Erda surprend toujours, par la profondeur suave de son timbre et un vibrato très/trop large, mais la plasticité de son jeu dans sa scène du troisième acte est de toute beauté. Pour incarner Brünnhilde, la soprano anglaise a certes l'âme et le timbre guerriers; mais ses élans face à Siegfried manque d'envergure et de souplesse et ses aigus sont souvent arrachés et criards. Elle déçoit au sein d'un casting d'une telle qualité.

Dans la fosse, et dès les premières pages du Prélude, c'est la somptuosité des timbres qui captive l'écoute tout comme ces pages quasi chambristes et merveilleusement conduites dans lesquelles s'inscrit le long échange entre Siegfried et Mime.Toujours soucieux d'équilibre avec le plateau, , sans partition, met superbement à l'oeuvre l'efficacité dramaturgique d'une écriture qu'il maîtrise dans les moindres détails. Les accents de la « Siegfried Idyll » relayés par le chant tendrement lyrique de au terme de cette seconde Journée concentraient un moment d'émotion inoubliable.

Crédit photographique : © Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

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