Mozartwoche de Salzbourg, l’authenticité au service de l’excellence
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Moins connue du grand public que le Festival de Pentecôte et le Festival d’été qu’il précède, ce troisième Festival (24 janvier – 3 février), cette Mozartwoche créée en 1956 et située autour de la date de naissance de Mozart (27 janvier 1756) reprend dans sa conception les lignes de force du Festival de juillet-août.
Des orchestres et des artistes prestigieux sont présents et côtoient ensembles et jeunes talents de tous horizons. Trente concerts.
Citons notamment : trois prestations de l'Orchestre Philharmonique de Vienne (Dudamel / Pires ; Currentzis / Aimard ; Prêtre / Kulman), Le Mozarteum Orchester Salzburg pour la version de concert du Lucio Silla de J.C. Bach (dir. : Ivor Bolton), le Mahler Chamber Orchestra (dir. : Orozco-Estrada), l'Ensemble Intercontemporain (dir. : George Benjamin), la Camerata Salzburg (Langrée / Le Guay), l'Orchestra of the Age of Enlightenment (dir. : Sir Simon Rattle), etc. Ajoutons l'orchestre d'enfants nouvellement crée avec en soliste, une certaine Marie-Sophie Decker Hauzel (douze ans), à suivre. Sans omettre la musique sacrée introduite désormais, avec, le dimanche 27 dans la cathédrale, la Missa solemnis KV357.
L'événement majeur : la nouvelle direction artistique de la Mozartwoche assurée depuis cette année par Marc Minkowski aux côtés de Matthias Schulz. Invité régulièrement depuis l'ère Mortier à ces manifestations hivernales comme au Festival d'été , le chef français y a déjà dirigé nombre d'opéras de Mozart, de Mitridate à Cosi fan tutte. C'est précisément la longue fréquentation de cette capitale de la musique, de ses traditions comme de ses exigences, de sa vitalité comme des possibilités sans limites qu'elle peut offrir qui l'a décidé Minkowski à accepter cette charge prestigieuse : créer des événements autour, chaque année, d'un axe sollicitant simultanément l'oreille, la vue et l'esprit, force secrète qui fait le miracle de Salzbourg.
Cette année est placée sous le signe de l'authenticité dans l'approche de Mozart. D'entrée de jeu : Minkowski déclare vouloir servir Mozart à travers le respect du style du musicien. De deux façons : d'abord, en donnant un grand coup de balai dans les réalisations scéniques marquées par le goût, les modes les plus fantaisistes des différentes époques au profit de l'approfondissement de la lecture de l'œuvre restituée dans son cadre historique par le metteur en scène ; ensuite, en faisant découvrir le tissu de productions italiennes et germaniques innombrables qui circulent de cour en cour, où chacun s'abreuve, y compris Mozart. La quête de vérité est à ce prix.
Aussitôt dit, aussitôt fait grâce à deux manifestations exemplaires : la représentation de Lucio Silla (Kv.135) de Mozart, l'œuvre phare, autour de laquelle s'est organisée la Mozartwoche, dirigée par Marc Minkowski lui-même ; puis un concert donné par Le Cercle de l'Harmonie se produisant pour la première fois à Salzbourg, après sa prestation à Vienne débute décembre et considéré comme représentant l'avant-garde du renouvellement de l'interprétation mozartienne, avec à sa tête Jérémie Rhorer.
Avec ce Lucio Silla, Minkowski réalise un coup de maître à la tête de ses Musiciens du Louvre. Réussite intrinsèquement liée au choix du metteur en scène Marshall Pynkoski, du décorateur et costumier Antoine Fontaine et de la chorégraphe Jeannette Lajeunesse Zingg formant une équipe de stars du visuel : nous assistons, chose trop rare, aux noces de la mise en scène et de la musique. C'est une vraie redécouverte de la dimension de cet opéra, sa grandeur, sa charge poétique et émotionnelle. Les gestes des chanteurs et des danseurs (la musique de danse de Mozart existe) sont d'une densité qu'accentue l'économie de moyens, une main levée, un embrassement, et voilà la musique habitée par ce lyrisme des corps y compris lors des interventions du chœur (Salzburger Bachchor).
Pins et cyprès de Rome traités en silhouettes encadrés de colonnes aux proportions somptueuses occupent le fond de scène puis des portes de palais, closes, aux couleurs chaudes, sans oublier ce cimetière antique, aux urnes de marbre noir où les torches accompagnent le rituel de danseurs endeuillés. La nature et l'art imposent le silence. La vue est au seul service de l'écoute dans une exaltation mutuelle de ce qui s'entend et de ce qui se voit. Le livret de Giovanni de Gamerra convient à merveille au lyrisme propre à l'opéra séria. A la différence d' Harnoncourt et d'autres chefs, Minkowski ne se permet aucune coupure dans les récitatifs, préservant ainsi la respiration de l'œuvre ; Mozart, que l'on sent à l'aise dans la durée de l'opéra séria, comme dans son unité, a besoin de l'alternance des récitatifs secs et accompagnés qui permettent aux airs, avec leur structure répétitive, de traduire longuement les affects. Le jeune compositeur a mis un soin infini dans l'adaptation de la musique aux mots, à la versification. Les chanteuses, Olga Peretyatko (Giunia), Marianne Crebassa (Cecilio), Inga Kalna (Cinna) et Eva Liebau (Celia) sont éblouissantes, avec en particulier, un art consommé du legato. L'air de Giunia, invoquant son père devant sa tombe, « Dalla sponda tenebrosa », d'une poésie racinienne et annonçant déjà Don Giovanni atteint un sommet du lyrisme. Au troisième acte, les adieux du couple avant l'emprisonnement de Cecilio surent bouleverser l'auditoire qui, au reste, envoya des ovations aux interprètes à la fin de chaque air ! Rolando Villazon (Silla) de violent tyran immature transformé en un prince clément, aimant son peuple sut avec quel art, incarner ce nouveau personnage : loin de se faire valoir, il est tout simplement descendu dans la fosse, parmi les musiciens ; il chante souplement, comme il ferait d'un air populaire, le retour à la démocratie, à la liberté ; hautbois et flûtes, assis au bord du plateau, l'accompagnent : c'est Orphée dont le chant transforme le monde, face à un espace immense contre le ciel, qui s'ouvre soudain, pour un dernier tableau fugitif aux douces couleurs de Canaletto.
Bien sûr, devant ces merveilles, les spectateurs sont d'autant plus enthousiastes qu'ils se sentent libérés à leur tour, heureux totalement, comme délivrés des déplaisirs d'interprétations irritantes tant de fois subies et bloquant l'écoute de la musique au lieu de la servir. Reprise au Festival d'été, sans doute une des plus belles productions de Salzbourg.
Pour nous combler, enfin, le concert de Jérémie Rhorer, familier du public parisien qui l'acclame lors son festival Mozart annuel au Théâtre des Champs-Elysées, mais aussi de celui de l'Opéra de Vienne qu'il a conquis. Le Cercle de l'Harmonie associa deux symphonies de Mozart, la K.110, l'une des premières, datée de 1771, et la fameuse K.201, qui, en 1773, fut composée à Salzbourg après le succès de Lucio Silla à Milan. La Symphonie en ré mineur de Henri-Joseph Rigel y fut ajoutée à la place de certains airs d'Anfossi que Sylvia Schwartz demanda de ne pas chanter. En effet, judicieusement, Jérémie Rhorer fit entendre des airs de l'opéra Lucio Silla de Pasquale Anfossi, qui, en 1774, fut le premier à s'inspirer de l'œuvre de Mozart, avant Jean-Chrétien Bach (1775) et Mortellari (1779). Interprétés par Sylvia Schwartz, soprano (Giunia), Renata Pokupic, mezzosoprano (Cecilio) et Benjamin Bruns, tenor (Lucio Silla). Une mise en bouche un peu cruelle, tant ces extraits furent courts permettant tout juste d'appréhender la parenté de ces airs avec le style de Mozart qui collabora plusieurs fois avec Anfossi. Loin de l'expressivité dramatique de son modèle, le compositeur italien mérite cependant la découverte : aisance, suavité virtuosité suscite l'intérêt pour ces airs. Les chanteurs les servirent de façon ravissante : saluons l'intensité intelligente de Renata Pokupic, le beau timbre de Benjamin Bruns fait pour Don Ottavio.
Difficile, quand on a entendu le Cercle de l'Harmonie, de se détacher de cet ensemble qui sonne vrai, grâce aux instruments classiques, à un effectif de cordes fidèle à la tradition ; les vents prennent leur juste place avec clarté et précision. Les musiciens peuvent s'écouter mutuellement, doser les effets, parvenant maintenant à nimber les sonorités d'un velouté remarquable. Et puis, la direction de Jérémie Rhorer fascine, avec la fluidité des phrasés, la subtilité , la variété des intentions et, par-dessus tout, la vie débordante qui traverse l'orchestre de façon magnétique. La symphonie K.201 , à l'andante si tendre, subjugua l'auditoire pour lequel il fallut bien bisser le dernier mouvement, encore un peu plus vite, dans la joie générale.
Authenticité toujours, il faut signaler l'exposition consacrée aux portraits de Mozart, les vrais et les faux. L'un d'eux, anonyme, datant de la toute fin de l'adolescence, montre un visage où de grands yeux alourdis par de larges cernes disent la tristesse insondable de celui qui connaît le pouvoir du mal et la malice pour s'y dérober. Portrait dont les couleurs, rouge lie de vin et vert, sont reprises pour les dépliants et le programme (430 pp, bilingue) qui livre les connaissances les plus récentes sur Mozart réunies par les spécialistes du Mozarteum. (Exposition « Mozart-Bilder », Maison de Mozart, jusqu'au 15 avril). Le programme de 2014 est déjà disponible.
Crédit photographique : © Matthias Baus ; Jérémie Rhorer © Yannick Coupannec
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Moins connue du grand public que le Festival de Pentecôte et le Festival d’été qu’il précède, ce troisième Festival (24 janvier – 3 février), cette Mozartwoche créée en 1956 et située autour de la date de naissance de Mozart (27 janvier 1756) reprend dans sa conception les lignes de force du Festival de juillet-août.