Le guide de la Zarzuela par Pierre-René Serna

Qu’il s’agisse de glorifier Berlioz ou de vouer Wagner aux gémonies (cf L’Anti-Wagner sans peine), Pierre-René Serna reste adepte de l’abécédaire, un format d’élection, un peu systématique peut-être mais toujours envisagé avec un certain chic!

Après son Berlioz de B à Z (Clef ResMusica), cet espagnol de souche, épris du compositeur de la « Fantastique » autant que de corrida, jette son dévolu sur la zarzuela – cette mine d’or que l’on connait si mal ! – en arpentant cette fois l’alphabet à l’envers, de Z à A bien évidemment! Quelques 103 entrées fort bien documentées pour tenter de circonscrire un genre éminemment espagnol – castizo (racé) diront les madrilènes! – sur lequel n’existait jusqu’à présent qu’un seul ouvrage en langue française. Puisant aux sources, dans l’essentiel Diccionario de la Zarzuela (ICCMU, Madrid) paru en 2003, l’auteur dit cependant avoir voulu dépasser « cette approche par trop restrictive, voire excluante, de la zarzuela » : voilà exposé un des enjeux de ce travail, fouillé autant qu’essentiel : révéler toutes les facettes d’un genre dont les limites ne sont pas nettement dessinées. S’il convient de définir la zarzuela comme un ouvrage lyrique avec solistes,  chœur (et souvent danseurs) sur un livret de langue espagnole, faisant alterner, comme dans l’opéra-comique, le parlé et le chanté, il importe aussi de considérer les autres dérivés annexes (tonadilla, melodrama, melólogo… faisant l’objet d’entrées spécifiques) qui fondent son existence et sa richesse et en soulignent les singularités. La plus « grande » des zarzuelas, au titre emblématique, La Verbena de la Paloma (Fête nocturne dans le quartier populaire de la Paloma) de Thomas Breton, sur un livret de Ricardo de la Vega (1894), n’est-elle pas répertoriée sous l’appellation Sainète lirico en un acte et trois tableaux, ressortissant du género chico (genre petit) ne devant pas dépasser l’heure de représentation !

Sous une plume toujours élégante et fleurie, et avec la ferveur de l’aficionado, Pierre-René Serna tente, dans cet imbroglio des appellations, de discerner, d’expliciter et de clarifier, brossant au final l’histoire et les aléas de la création zarzuelesque, de ses débuts le 17 janvier 1657 au Palacio de la Zarzuela (qui donne son nom au divertissement qu’il accueille) jusqu’à son extinction à l’approche de la guerre civile : un genre qui traversera les styles et les époques, du divertissement baroque au drame vériste et finira par s’expatrier jusqu’en Amérique du Sud sans jamais se départir de ses tournures (mélodiques, tonales…), sa couleur (mâtinée de rythmes et de danses) et son pittoresque; il connaît son âge d’or dans la deuxième moitié du XIXème siècle et reste actuellement au répertoire des théâtres même si celui-ci ne se renouvelle plus. Les œuvres sélectionnées par l’auteur (les plus célèbres sous la plume des Chapi, Barbieri et autre Breton), au sein des 20 000 titres répertoriés, bénéficient toutes d’une référence discographique, précieuse et dûment commentée; une biographie complète accompagne chaque compositeur voire librettiste cité, pointant son activité de zarzuelero au sein de sa création musicale et parfois opératique.

D’autres entrées, non moins essentiels dans ce guide, comme Teatro de la Zarzuela ou Teatro por horas auquel fait écho Nuits et Minuit situent les lieux voués au genre et les meilleures heures – la fameuse cuarta (quatrième et dernière séance du Teatro por horas) fixée à minuit – pour apprécier  un genre dont l’aura nocturne serait, selon notre auteur, « un autre trait qui la distinguerait et la rend irréductible à tout autre forme théâtrale ou lyrique sous d’autres cieux moins étoilés ». Car, plus que la somme de ses composantes, la zarzuela, telle qu’elle nous est « contée » dans ce guide, est expérience initiatique à vivre en lieu et heure ; c’est à ce voyage là que nous convie Pierre-René Serna.