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Paris. Cent Quatre. 15-XII-2012. Ivo Malec (né en 1925): Week-end pour bande magnétique; Cantate pour elle pour voix de femme, harpe et bande magnétique. Attacca, concerto pour percussions et bande magnétique. Françoise Kubler, soprano; Frédérique Garnier, harpe; Ying-Yu Chang, percussion; Ivo Malec et Christian Eloy, direction du son.
Le « Week-end Radio France » au Cent Quatre, du 14 au 16 décembre, regardait vers la Croatie à laquelle la France dédie une saison culturelle (lire notre chronique du concert du 10-XI-2012) à la veille de son entrée dans l'Union Européeene en juillet 2013. Après l'invitation faite au pianiste Ivo Pogorelich jouant Chopin et Liszt en ouverture de la manifestation, c'est Ivo Malec, immense personnalité de la création sonore, qui était mis à l'honneur, lors d'un concert-portrait découvrant différentes facettes de son art.
Ivo Malec est né à Zagreb où il reçoit, au Conservatoire, une solide formation de musicien et devient compositeur; mais c'est la France qui le fait rêver, là où il pense pouvoir assouvir son désir d'élargir l'univers sonore trop académique dans lequel il évolue. Cette « quête des choses à entendre » qui l'habite, le mène, en 1955, au 37 rue de l'Université à Paris, l'adresse du Club d'Essai de la Radiotélévision française. C'est là que Pierre Schaeffer, depuis quelques années déjà, développe un nouvel art qu'il nomme Musique concrète : c'est la Révélation, l'« Orient » qui va désormais guider la pensée malécienne. Ivo Malec s'installe alors à Paris en 1959 et intègre l'année suivante le tout nouveau « Groupe de Recherches musicales », sa nouvelle famille en matière de création, dont il devient membre permanent puis responsable de la production des concerts (« Le Cycle acousmatique ») durant près de vingt ans. Il est par ailleurs nommé professeur de composition instrumentale au Conservatoire de Paris, formant de 1972 à 1990 toute une génération de compositeurs (Philippe Leroux, Philippe Hurel, Denis Dufour, Gérard Pesson…) occupant aujourd'hui la scène internationale.
Les trois oeuvres au programme témoignaient de cet aller/retour permanent entre l'écriture instrumentale et les techniques de studio, deux pratiques que Ivo Malec va développer à part égale et bien souvent confronter au sein de la musique dite mixte dont il est le chantre incontesté.
Week-end (1982) est une pièce purement électroacoustique, du moins pour les troisième et quatrième mouvements projetés ce soir à travers les haut-parleurs par Christian Eloy – professeur honoraire de la classe de composition de Bordeaux – qui était à la console. Cloches proches et lointaines (troisième mouvement) est une « toile sonore » poétique et minimaliste dont le déroulement temporel est perturbé par l'intervention de masses sombres et granuleuses qui semblent en déchirer douloureusement la surface. A Wagner s'origine au contraire dans les profondeurs mouvantes des graves et déploie à mesure un spectre aux textures toujours plus flamboyantes jusqu'à l'éclatement.
Autre hommage, à la femme cette fois et à sa voix, Cantate pour elle (1966) est une oeuvre mixte convoquant en trio une soprano, une harpe et une source électroacoustique. C'est une oeuvre fétiche dans la production d'Ivo Malec, un chef d'oeuvre qui n'a pas pris une ride malgré les mutations technologiques survenues depuis sa création. Malec met en scène la voix féminine qui fait ici beaucoup plus que chanter; elle génère en effet tout un univers de sons qui vont être relayés par ceux de la bande et de la harpe, dont la partie sollicite une foule de modes de jeu non traditionnels. Françoise Kubler, éblouissante, aux côtés de Frédérique Garnier très investie, fait vivre ce théâtre de sons avec un talent et une fougue extraordinaires, conférant à ce happening un rien délirant, bien que sous-tendu par une écriture rigoureuse, son pouvoir de fascination.
Avec Attacca (1986), Malec écrit son concerto pour percussions, mobilisant ici un soliste et une partie électroacoustique (que l'on pourrait transcrire pour l'orchestre). Le dispositif sur scène est en soi un spectacle, distribuant en rond, autour de l'interprète, tout ce que l'instrumentarium percussif peut compter en matière de peaux, de métaux et de bois, le plus souvent sans hauteurs déterminées. Le titre fait référence au geste compositionnel, incisif et précis, qui sculpte un matériau aux arêtes vives, procède par arrêts secs et apparitions soudaines. Attacca est aussi le lieu de l'énergie et de la puissance, qui ne seront libérées que dans les dernières minutes d'une pièce atteignant la demi-heure. Comme dans Cantate pour elle, les deux sources tendent à se confondre, la figure percutée rejoignant les morphologies du studio dans cette conception personnelle et inventive de l'objet sonore qui modèle l'écriture malécienne. Aux manettes, Christian Eloy déployait tout son savoir-faire dans une projection spatiale quasi idéale; dans « l'arène » et sans une partition, la toute jeune Ying-Yu Chang jouait ce corps à corps avec la matière d'un geste aussi félin que réactif, dégageant une puissance phénoménale dans les dernières mesures totalement envoutantes de la partition. Comme bien des chefs d'oeuvre de la musique, Attacca se termine en effet par une chaconne incandescente, fonctionnant sur une superbe boucle électroacoustique et dans un espace saturé par la résonance cuivrée des tam-tam et autres métaux mis en vibration, dont l'auditoire recevait de plein fouet la charge émotive.
Crédit photographique : © 2011 – Ivo Malec & Gilles Pouëssel
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Paris. Cent Quatre. 15-XII-2012. Ivo Malec (né en 1925): Week-end pour bande magnétique; Cantate pour elle pour voix de femme, harpe et bande magnétique. Attacca, concerto pour percussions et bande magnétique. Françoise Kubler, soprano; Frédérique Garnier, harpe; Ying-Yu Chang, percussion; Ivo Malec et Christian Eloy, direction du son.
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