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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 19-X-2012. Franz Schreker (1878-1934) : Der ferne Klang (Le son lointain), opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig. Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel. Costumes : Thibault Vancraenenbroeck. Lumières : Marion Hewlett. Avec : Helena Juntunen, Grete Graumann ; Will Hartmann, Fritz ; Martin Snell, le vieux Graumann / 2ème Choriste ; Teresa Erbe, Madame Graumann / la Serveuse ; Stephen Owen, Dr Vigelius / le Baron ; Stanislas de Barbeyrac, le Chevalier / un Individu suspect ; Geert Smits, le Comte / Rudolf / un Comédien ; Livia Budai, une vieille Femme / une Espagnole ; Patrick Bolleire, un Aubergiste / un Policier ; Kristina Bitenc, Mizi ; Marie Cubaynes, Milli ; Sahara Sloan, Mary ; Jean-Gabriel Saint-Martin, Chant du Baryton ; Mark Van Arsdale, 1er Choriste. Choeur de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Michel Capperon), Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Marko Letonja
L'Opéra national du Rhin fait l'événement en ce début de saison en présentant, pour la première fois en France, une production scénique de l'opéra Der ferne Klang (Le son lointain), de Franz Schreker.
D'origine autrichienne, Franz Schreker s'imposa surtout comme le plus renommé et le plus représenté compositeur d'opéra allemand de l'entre-deux-guerres, aux côtés de Richard Strauss. Cette célébrité le conduisit à la direction de l'Académie de Musique de Berlin sous la République de Weimar, avant que les nazis ne le classent, parce que juif, parmi les auteurs de « musique dégénérée » et ne le condamnent à l'oubli. Ce n'est qu'à partir du début des années 1980 que sa production lyrique a été progressivement redécouverte et rejouée.
Créé le 18 août 1912 à l'Opéra de Francfort, Der ferne Klang est le second opéra de Franz Schreker. Accueilli par un retentissant succès tant par le public que par la critique, il permit au compositeur d'accéder rapidement à la notoriété. Ce « son lointain », auquel fait référence le titre, c'est celui qu'entend dans sa tête le jeune musicien Fritz, métaphore de sa vocation artistique. Pour le trouver et ainsi se réaliser pleinement, Fritz abandonne au premier acte sa promise Grete Graumann, en lui promettant de revenir l'épouser dès qu'il sera devenu un véritable artiste. Hélas, Grete va subir une déchéance progressive, d'abord pariée aux quilles par son père, s'enfuyant de la maison familiale et songeant au suicide après s'être perdue dans une forêt (acte I), puis demi-mondaine adulée pour sa beauté dans une maison close de luxe à Venise (acte II), pour finir sur le trottoir à l'acte III. Fritz la croise à Venise mais la renie pour sa vie dissolue et ce n'est qu'à la toute fin de l'opéra, alors que son opéra « La Harpe » vient de subir un cuisant échec et qu'il est mourrant, qu'il la retrouvera et, avec elle, le son lointain qu'il aura cherché vainement toute sa vie.
Pour son retour à Strasbourg, dont il fut durant huit ans directeur du Théâtre national, le metteur en scène Stéphane Braunschweig a conçu une scénographie nettement onirique dans les teintes complémentaires de vert et rouge ou de noir et blanc. L'appartement de Grete à l'acte I ou le café de l'Opéra au début de l'acte III sont cantonnés à l'avant-scène par un rideau de fer de théâtre avec son ouverture, sorte d'entrée des artistes, surmontée du panneau lumineux « Oper ». Très réussie, la forêt où s'égare Grete est figurée par de gigantesques quilles qui rappellent l'odieux pari de son père puis s'ouvre sur une espèce de colline recouverte de moquette rouge vif, profonde et sensuelle. C'est sur cette colline que se déroule tout l'acte de Venise et c'est sur elle encore, devant le rideau de fer, que Grete et Fritz se retrouveront avant que ce dernier ne meure. Une fois posés ces éléments métaphoriques (le rideau de fer pour la vocation musicale de Fritz et la colline rouge pour l'érotisme), Stéphane Braunschweig y déroule une direction d'acteurs soigneusement travaillée qui fait merveille à l'acte II, aux péripéties complexes et aux multiples intervenants. On doit cependant avouer que les actes I et III nous ont paru moins élaborés et qu'il nous semble que Stéphane Braunschweig n'a pas su trouver un regard original ou particulièrement aigu sur l'œuvre, se contentant d'une narration somme toute assez linéaire.
Présente sur scène quasiment durant tout l'opéra, la Grete Graumann de Helena Juntunen brûle littéralement les planches. Elle incarne avec intensité et une crédibilité de chaque instant la descente aux enfers de l'héroïne et lui prête sa voix enveloppante aux aigus flottants et nourris. Après sa formidable prestation dans Die tote Stadt à Nancy, cette soprano finlandaise semble aguerrie pour l'opéra postromantique et sa masse orchestrale imposante qu'elle domine sans effort apparent. Annoncé souffrant, Will Hartmann ne peut donner toute sa mesure. Une certaine précaution, quelques difficultés d'intonation le contraignent à composer un Fritz un peu effacé et velléitaire mais qui conserve toute sa vraisemblance à l'heure de la mort et n'escamote aucune difficulté vocale, réussissant même des aigus perçants et puissants. Du reste de la pléthorique distribution, on retiendra particulièrement le noir et sarcastique Dr Vigelius de Stephen Owen, néanmoins capable d'humanité à l'heure des remords, le Comte de Geer Smits plein de noblesse et de sensibilité, et l'éblouissant Chevalier de Stanislas de Barbeyrac, qui donne tout son entrain et son relief à sa chanson sur les fleuristes de Sorrente (acte II).
D'une plénitude et d'une précision rarement égalées, l'Orchestre philharmonique de Strasbourg honore avec brio cette partition d'une rare difficulté. Mention toute spéciale pour les pupitres des bois et des vents, fréquemment sollicités, volontiers à découvert et dans la nuance piano. La direction au scalpel et d'une précision sidérante de Marko Letonja est pour beaucoup dans la réussite orchestrale de cette soirée, assurant notamment sans faillir un étourdissant second acte avec sa polyphonie complexe et l'adjonction d'un orchestre tzigane sur scène.
Avec une telle qualité musicale et interprétative, l'Opéra national du Rhin a su donner toutes ses chances à cette résurrection sur une scène française d'un opéra de Franz Schreker. Dans de telles excellentes conditions, le public strasbourgeois a visiblement été convaincu et a fait un accueil très chaleureux à l'ensemble des protagonistes et tout particulièrement à l'orchestre et à son chef.
Crédit photographique : © Alain Kaiser
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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 19-X-2012. Franz Schreker (1878-1934) : Der ferne Klang (Le son lointain), opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig. Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel. Costumes : Thibault Vancraenenbroeck. Lumières : Marion Hewlett. Avec : Helena Juntunen, Grete Graumann ; Will Hartmann, Fritz ; Martin Snell, le vieux Graumann / 2ème Choriste ; Teresa Erbe, Madame Graumann / la Serveuse ; Stephen Owen, Dr Vigelius / le Baron ; Stanislas de Barbeyrac, le Chevalier / un Individu suspect ; Geert Smits, le Comte / Rudolf / un Comédien ; Livia Budai, une vieille Femme / une Espagnole ; Patrick Bolleire, un Aubergiste / un Policier ; Kristina Bitenc, Mizi ; Marie Cubaynes, Milli ; Sahara Sloan, Mary ; Jean-Gabriel Saint-Martin, Chant du Baryton ; Mark Van Arsdale, 1er Choriste. Choeur de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Michel Capperon), Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Marko Letonja
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