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Paris. Cité de la Musique. 17-X-2012. Genoël von Lilienstern (né en 1979) : The Severed Garden pour petit ensemble ; Péter Eötvös (né en 1945) : Steine pour ensemble ; Igor Stravinsky (1882-1971) : Symphonies pour instruments à vent pour ensemble à vent ; Pierre Boulez (né en 1925) : …Explosante-fixe… pour flûte midi solo, deux flûtes, ensemble et électronique. Sophie Cherrier, Emmanuelle Ophèle, Matteo Cesari, flûtes ; Ensemble Intercontemporain ; Andrew Gerzso, réalisation informatique Ircam ; Alejo Pérez, direction.
Les quatre œuvres à l'affiche du concert de l'Ensemble Intercontemporain, dirigé ce soir par le chef espagnol Alejo Pérez, renvoyaient, chacune à sa manière, à l'idée du travail de mémoire qu'est l'hommage, fil rouge qui reliait, selon un maillage très subtil, l'œuvre du jeune allemand Genoël von Lilienstern aux Symphonies pour instruments à vent de Stravinsky par le truchement des deux autres compositeurs au programme, Péter Eötvös et Pierre Boulez.
Genoël von Lilienstern dédie en effet Severed Garden (2009), dont nous entendions la création française, au maître hongrois Péter Eötvös. Cette œuvre de 9 minutes, dont les changements radicaux dans le traitement du matériau posent la question de la cohérence, se veut une « biographie sonore d'un être musical », un voyage dans le temps donc, qui aurait certainement mérité de plus amples développements pour que l'évolution de cette trajectoire en soit clairement perçue..
De Péter Eötvös cette fois, Stein (qui veut dire pierre en allemand) est l'hommage « de Peter à Pierre » ; et dans cette pièce écrite en 1985 pour les soixante ans de Pierre Boulez, chaque musicien possède sa paire de galets qu'il fait joliment résonner par intermittence. Dans la première partie, Péter Eötvös exerce son geste virtuose d'orchestrateur – l'œuvre est à visée pédagogique – jouant, au début, sur les relais instrumentaux pour tisser une matière sonore mouvante et gorgée d'énergie à laquelle les solistes de l'Intercontemporain donne un « fruité » savoureux. Le dispositif symétrique des instruments autour du chef inclut une harpe – Frédérique Cambreling très réactive – contribuant aux ressorts dramaturgiques de ce fascinant « théâtre de sons ». Le troisième « acte » met en scène un « célébrant » – Victor Hanna et ses sept paires de cymbales – donnant à cette dernière partie un rien naïve des allures de rituel.
Avant d'entendre …explosante-fixe… – hommage funèbre de Pierre Boulez à Stravinsky – dont le déploiement scénique réclamait un entre-acte, Alejo Pérez dirigeait les Symphonies pour instrument à vent que le compositeur du Sacre écrit en 1920 à la mémoire de Claude Debussy : « une cérémonie austère qui se déroule en courtes litanies » écrit Stravinsky éliminant ici les cordes pour éviter toute connotation sentimentale. Si l'interprétation de ce pur chef d'œuvre – hommage altier conçu en une dizaine de minutes seulement – pouvait apparaître ce soir un peu lisse au regard du relief qu'y sculpte Stravinsky, à la faveur des changements de rythmes et de tempi, la qualité du timbre qu'obtenaient les instrumentistes dans ces alliages âpres et sombres que génère l'écriture stravinskienne, forçait l'admiration.
…explosante fixe… relève du « work in progress » boulézien dans la mesure où la partition créée à New York en 1973 – elle mettait alors à l'œuvre le hallophone (une invention de Hans-Peter Haller) qui faisait tourner les sons dans l'espace – sera reprise dans le cadre de L'IRCAM et en collaboration avec les chercheurs informaticiens dès 1979 pour aboutir à la version actuelle (1991-1995). Elle compte désormais trois parties (Transitoire VII, Transoitoire V et Originel) reliées par deux interludes électroniques, Intersticiels 1 et 2. Fidèle à la disposition scénique d'origine, l'œuvre convoque une flûte solo – Sophie Cherrier – au centre du plateau et deux flûtes co-solistes à cour et à jardin – Emmanuelle Ophèle et Matteo Cesari – les trois instrumentistes étant munis de micro-lèvres pour la captation du son transformé et réinjecté en temps réel dans les haut-parleurs. L'ensemble instrumental derrière les solistes assume quant à lui une écriture profuse et exigeante que Boulez conçoit comme « l'aura sonore » de la partie de flûte solo.
Dans les conditions d'écoute où nous nous trouvions (premier rang du balcon), la diffusion électroacoustique semblait faire écran aux sonorités instrumentales dont ne nous parvenait qu'une image brouillée et confuse. La partie de flûte elle-même, qui est au centre de l'édifice sonore, nous échappait presque totalement, rendant l'écoute des deux premiers volets inconfortable voire douloureuse. Une situation qui met en cause l'équilibre sonore des sources en présence mais qui pose aussi le problème de l'adéquation de l'écriture d'une œuvre avec un nouvel outil technologique pour lequel elle n'a pas été prévue en amont.
Originel, enrichi d'un simple halo spatial qui limitait les effets de l'électronique, nous permettait heureusement d'apprécier le profil mélodique de la flûte soliste polarisé sur le Mib (S comme Stravinsky) et délicatement diffracté dans les sonorités instrumentales, celles des cors et des cordes filtrées par leurs sourdines de plomb.
Crédit photographique : Péter Eötvös © Kálmán Garas
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