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Moïse et Aaron de Schoenberg sur la scène de Musica

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Festival Musica. 21-IX-2012. Strasbourg. Palais de la Musique et des Congrès – Salle Erasme. Arnold Schoenberg (1874-1951): Moïse et Aaron, opéra en 2 actes; version de concert; livret d’Arnold Schoenberg. Franz Grundheber, baryton basse, Moïse; Andreas Conrad, ténor, Aaron; Johanna Winkel, soprano, Une jeune fille; Elvira Bill, alto, Une malade; Jean-Noël Briend, ténor, Un jeune homme; Jason Bridges, ténor, Le jeune homme nu; Andreas Wolf, baryton, Un autre jeune homme, L’Ephraïmite; Friedemann Röhlig, basse, Un prêtre; Katarina Persicke, Johanna Winkel, Elvira Bill, Nora Petročenko, alto, Quatre vierges nues; Johanna Winckel, Katarina Persicke, Elvira Bill, Jason Bridges, Andreas Wolf, Friedmann Röhlig, Six voix solistes. EuropaChorAkademie; Sylvain Cambreling, Joshard Daus, chefs de choeur; Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg-en-Brisgau; direction musicale, Sylvain Cambreling

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L'opéra biblique de Schoenberg Moïse et Aaron, donné en ouverture du , faisait l'événement du premier week-end de cette édition 2012 qui fêtera par ailleurs la personnalité de John Cage, (1912-1992) – qui fut un temps l'élève de Schoenberg – à travers divers spectacles à venir.

Il est rare, et même en version de concert, d'entendre cet unique opéra, resté inachevé, du Maître autrichien: frilosité des programmateurs face à la teneur d'un sujet – la question du monothéisme judaïque – bien peu opératique ou hésitation des forces chorales et orchestrales devant l'ampleur monumentale d'une partition dont l'écriture ne concède aucun relâchement durant les deux heures de spectacle. Le SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg et le jeune choeur qui investissaient ce soir la scène de Musica avec un casting de chanteurs éblouissant et sous la direction éminente de , relevaient superbement le défi.

A partir de l'Ancien Testament, Schoenberg rédige lui-même un livret qui semble nourri de ses propres réflexions et questionnements sur la foi. Issu d'une famille juive libérale, il se convertit au protestantisme à 24 ans mais il revient au judaïsme en 1933, alors même qu'il fuit l'Allemagne antisémite: Chagall est, dit-on, témoin de son retour au monothéisme le plus absolu, lors d'une étape à Paris avant son exil aux Etats-Unis.

Moïse et Aaron est esquissé sous forme de cantate en 1923 sous le titre Moïse devant le Buisson ardent; l'ouvrage est repris quelques années plus tard par Schoenberg qui l'envisage d'abord comme oratorio puis nait enfin l'idée de l'opéra. En 1932, ses deux premiers actes sont écrits; Schoenberg ne pourra jamais terminer le troisième, comme si cette méditation sur l'idée de Dieu ne pouvait se concevoir que dans l'inachèvement. L'ouvrage, dans sa version de concert, ne sera crée qu'en 1954, sous la direction d'Hans Rosbau, soit trois ans après la mort de son auteur.

Le propos se concentre autour du conflit entre Moïse, missionné par Dieu pour libérer les Juifs du joug de Pharaon, et son frère Aaron, passeur de l'idée du Dieu unique auprès d'un peuple qui réclame des images et des manifestations concrètes (Acte I). En l'absence de Moïse appelé par Dieu pour recevoir la Loi sur le Sinaï, on érige un Veau d'or, objet d'adoration fétichiste qui tourne à l'orgie et mène à la luxure. Moïse à son retour détruit le Veau d'or et accuse Aaron de l'avoir trahi; mais il doute au plus profond de lui-même et s'interroge quant à la relation entre l'homme et l'Ineffable: « ô Verbe qui me manque » (Acte II).

L'écriture est entièrement régie par la technique dodécaphonique (à 12 sons) que Schoenberg a mise au point en 1923. La rigueur et la concision extrêmes du langage donnent ici au discours son efficacité et sa force expressive; les hiérarchies au sein de l'orchestre traditionnel sont abolies pour donner une part égale à chaque pupitre. Ainsi cette importance inouïe accordée aux cuivres, voire au tuba – immense – dialoguant avec le premier violon dans des pages de pure musique de chambre, et cette marqueterie de timbres, percussions comprises, induite par des configurations instrumentales toujours nouvelles, qui insufflent le mouvement dramaturgique. L'orchestre de Baden-Baden et Freiburg est aussi réactif qu'incandescent dans les couleurs et le relief qu'il projette: la scène du « Veau d'or » est particulièrement impressionnante avec son déchaînement de percussions rappelant la forge des Niebelungen.

Le choeur incarne la parole de Dieu au départ puis devient la voix du peuple qui commente les propos de Moïse ou réagit aux sollicitations d'Aaron à la manière du « choeur de turba » dans les Passions de Bach. Magnifiquement préparé, le jeune sert tous les détails de cette écriture souvent éruptive, avec une fraicheur et une vitalité extraordinaires.

Chez Schoenberg, Moïse, le prophète de la voix divine, est un rôle parlé, : un parler rythmé nommé Sprechgesang que , étonnant baryton-basse michelangelesque de 75 ans, s'approprie avec une puissance et un abattage dramatique sidérants. A ses côtés, /Aaron est un magnifique ténor wagnérien d'une vaillance inflexible, mêlant à la fois séduction et raucité; les autres chanteurs, endossant des rôles multiples, n'appellent que des éloges: parmi les voix féminines, jeunes et homogènes ( et ), l'étonnante voix d'alto d' captive par l'ampleur et la profondeur de son timbre; les deux ténors et séduisent par la souplesse et l'impeccable conduite de leurs chants, tout comme le baryton Andreas Wolf, voix chaleureuse et expressive associée à celle de la basse dans les petits ensembles solistes ménagés par Schoenberg sur le devant de la scène.

Maître d'oeuvre exemplaire à la tête des forces en présence, donnait à cet ouvrage remarquablement défendu, son statut de chef-d'oeuvre lyrique du XXème siècle.

Crédit photographique : © Arnold Schönberg Center, Vienna

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