Cette 23e édition de grands événements classiques estivaux rémois connaît un vent de fraîcheur avec le nouveau directeur artistique, le pianiste Jean-Philippe Collard. Il nous a livré trois grandes lignes qui lui tiennent à cœur : la célébration de la musique française (curieusement en France, on connaît moins les compositeurs français qu'à l'étranger), en cette année Debussy pour son 150e anniversaire de sa naissance ; chant choral par des ensembles locaux de qualité en des lieux propices à ce répertoire comme la basilique Saint-Rémi ; et la présentation d'étoiles de demain (le violoncelliste français Edgard Moreau, la pianiste italienne Beatrice Rana, et la violoniste américaine Esther Yoo). Les « flâneries » — terme bien choisi — vient du fait qu'à la cité du sacre des rois, il n'existe pas une salle de concert spécifiquement dédiée à la musique classique, ce qui fait découvrir une grande richesse du patrimoine architectural et culturel de cette ville chargée d'histoire.
Le 28 au soir, au Manège attenant au Cirque, Magalie Léger offre un pot-pourri de mélodie de Debussy accompagnée au piano par Rémy Cardial, avec la complicité de Patrick de Carolis qui récite des extraits, pleins d'humour mais teintés de quelque cynisme, de Monsieur Croche, chroniques musicales écrites par le compositeur. Une excellente idée mettant en valeur des pensées de Debussy, mais l'alternance permanente entre le récit et le chant s'avère un peu monotone.
Le vendredi 29 à 16 h, dans une salle (ancienne cave) du Champagne Ruinart, la harpiste Marielle Nordmann donne un récital intitulé « La harpe… vous connaissez ? », couvrant toutes les époques, de Monteverdi à Scott Joplin, jouant sur deux instruments, l'un ancien, avec actionnement manuel pour modulation, et l'autre moderne, du système Erard en usage aujourd'hui. Il est agrémenté de commentaires d'œuvre, de l'histoire de la harpe et d'explications sur le fonctionnement de l'instrument. Concert très « éclairant », qui nous permet une meilleure compréhension du répertoire, favorisé par l'intimité du lieu.
Le même jour au soir, à la Salle du Festin du Palais du Tau (ancien palais de l'archevêque de Reims) le quatuor Talich joue Turina (Oracion del torero, op. 34), Ravel et Dvořák (Quatuor à cordes n° 11 en ut majeur op. 61). Interprétation très terre à terre, avec des sons très riches, qui convient parfaitement à Dvořák, y compris le finale de son Quatuor américain et à un mouvement d'un quatuor d'Erwin Schulhoff (1894-1942) donné en bis, mais cela suscite un sentiment de « trop épais » pour la musique de Ravel ; nous aurions aimé entendre un caractère plus éthéré. Cela étant dit, l'excellence du jeu est incontestable, nous avons beaucoup apprécié la profondeur de la sonorité de l'alto.
Le 30 juin, sous la direction de Jean-Marie Puissant, le Chœur Nicolas de Grugny, concocte un programme Debussy fort intéressant, dont La Demoiselle élue, Des pas sur la neige (transcription du Prélude pour piano du même nom pour quatre voix mixtes par Clytus Gottwald avec des poèmes de Rainer Maria Rilke et de Stéphane Mallarmé) ou encore Noël des enfants qui n'ont plus de maisons. Les trois solistes, Yumiko Tanimura (soprano), Sylvie Althaparro (mezzo) et Sébastien Droy (ténor) ont tous une diction parfaite, extrêmement limpide, avec des qualités de voix propre à chacun, à première vue opposée : veloutée et claire (Tanimura), somptueuse et profonde (Althaparro), et solaire et sobre (Droy). Il est dommage que celles du chœur soient assez hétérogènes et parfois forcées, surtout les voix féminines. Tout au long du concert, Marie-Josèphe Jude accompagne les chanteurs au piano avec sa délicatesse réputée.
Le dimanche 1er juillet, trois concerts gratuits dans le quartier historique de la ville, Palais du Tau, Demeure des comptes de Champagne et au chevet de la Cathédrale. Des membres du chœur Akadêmia interprètent avec délice des chansons gaillardes et courtoises de la Renaissance sous la direction de Françoise Lasserre ; la pianiste Yumeko Mochizuki joue les Estampes de Debussy et Chaconne de J.-S. Bach/Busoni (celle-ci est magistral) ; et le trompettiste Bernard Soustrot exécute des transcription d'œuvres de Boyce, de J.-S. Bach et de Haendel avec l'organiste Jean Dekyndt dans le jardin, en plein air. Nombreux ont été les mélomanes et amateurs qui ont goûté à ces véritables flâneries musicales au gré de leur intuition dans une ambiance d'une fête de la musique. Le festival continue jusqu'au 21 juillet.
Crédit photographique : Jean-Philippe Collard @ Raudel Romero