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Bâle. Théâtre. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Ariodante, opéra en trois acte sur un livret anonyme d’après Antonio Salvi. Mise en scène : Stephan Pucher. Décors : Barbara Ehnes. Costumes : Annabelle Witt. Avec : Luca Tittoto (Le roi) ; Marina Prudenskaya (Ariodante) ; Maya Boog (Ginevra) ; Nikolay Borchev (Lurcanio) ; Christiane Bassek (Polinesso) ; Agata Wilewska (Dalinda) ; Noel Hernández Lopez (Odoardo). Chœur du Théâtre de Bâle (chef de chœur : Henryk Polus) ; La Cetra Barockorchester Basel. Direction: Andrea Marcon
Peut-on faire d'Ariodante un véritable spectacle théâtral ? Non que l'opéra baroque soit par nature inapte à la scène moderne : ne serait-ce que chez Haendel, des opéras comme Rodelinda, Alcina ou Xerse bénéficient de livrets remarquables qui font la joie des metteurs en scène et du public.
Ariodante ne fait hélas pas partie de cette catégorie, comme en témoignent d'ailleurs des deux dernières productions parisiennes de l'œuvre (Jorge Lavelli à Garnier, Lukas Hemleb au Théâtre des Champs-Élysées), également désastreuses. Pour un metteur en scène de théâtre comme Stephan Pucher, le défi est grand devant une action aussi schématique, une psychologie aussi étique, une narration aussi plate ; dans ces conditions, sa mise en scène colorée et divertissante est mieux qu'un moindre mal et sait éviter les écueils habituels. Jamais dans cette production le metteur en scène ne cède à la tentation de « meubler » les grands espaces des da capo, à coups de figurants ou de péripéties superfétatoires ; et on admire, d'abord interloqué, très vite séduit, la manière dont Pucher renonce à donner aux rôles travestis la virilité postiche qui défigure les chanteuses et gêne les spectateurs. Que cet Ariodante, cette Ariodante, est émouvant(e), avec sa blondeur en vagues étincelantes ! Sans doute le héros de l'opéra est un homme, sans doute Marina Prudenskaya est-elle indiscutablement féminine – on est surpris de voir à quel point cette solution inhabituelle à l'opéra est simple, naturelle, sans ambiguïté.
Ainsi mis en valeur, l'opéra de Haendel peut briller de tous ses feux musicaux. Par chance, le Théâtre de Bâle a su s'associer un artiste de premier plan pour assurer ses représentations baroques : Andrea Marcon dirige ici un orchestre bâlois dont il est le directeur musical, le juvénile ensemble La Cetra, et le résultat est enthousiasmant. Ce qu'on entend ici, ce n'est pas l'ample et chaleureux compositeur de cour qu'on connaît en France d'après les interprétations de Marc Minkowski ou William Christie : les sonorités, en particulier pour les cordes, sont moins aimables, plus rêches même, mais ce qui est perdu en joliesse ne l'est pas en puissance dramatique, en force d'émotion. Marcon est un orfèvre du contraste, sans violence inutile, sans maniérisme : un artisan discret, sans doute, mais remarquable, et on ne peut que remercier le metteur en scène, jouant avec les éléments constitutifs du spectacle lyrique, de jouer avec la fosse élévatrice du théâtre de Bâle pour placer à certains moments du spectacle l'orchestre et son chef sous les yeux des spectateurs.
Dans ces conditions, les quelques faiblesses constatées dans la distribution ne peuvent certes être passées sous silence, mais elles pèsent finalement assez peu dans l'économie globale du spectacle. Christiane Bassek devra trouver d'autres ressources pour donner un peu plus de présence, vocale et scénique, à un personnage très gratifiant, mais ici trop pâle, et le jeune interprète du rôle épisodique d'Odoardo doit impérativement libérer cette voix très engorgée. Heureusement, les principaux protagonistes, en dehors de Nikolay Borchev souffrant, sont d'un tout autre niveau. Marina Prudenskaya, dans le rôle-titre, possède beaucoup de fraîcheur, même si les vocalises manquent de netteté, même si la diction italienne est perfectible. Agata Wilewska st sensiblement plus à l'aise et plus séduisante vocalement ; Luca Tittoto, dans un de ces rôles de basses haendeliennes difficiles à mettre en valeur, donne de l'allant à ce roi d'une étonnante jeunesse ; on le remercie d'éviter les sonorités caverneuses qu'on y entend trop souvent, au profit d'un portrait poussé et nuancé servi par une technique excellente. La triomphatrice de la soirée, cependant, n'est autre que Maya Boog, qui fait partie de la troupe du Théâtre de Bâle. Maya Boog, artiste d'expérience, n'a peut-être pas le timbre le plus séduisant, la technique la plus éblouissante, mais elle a l'intelligence dramatique et musicale qui, avec l'aide efficace du metteur en scène, lui permet de donner une véritable unité à son personnage et de tracer un portrait émotionnel passionnant. Hors des grandes scènes et des stars, point de salut ? Il suffit d'aller au Théâtre de Bâle pour se convaincre du contraire.
Crédit photographique : © Tanja Dorendorf, T+T Fotografie
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Bâle. Théâtre. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Ariodante, opéra en trois acte sur un livret anonyme d’après Antonio Salvi. Mise en scène : Stephan Pucher. Décors : Barbara Ehnes. Costumes : Annabelle Witt. Avec : Luca Tittoto (Le roi) ; Marina Prudenskaya (Ariodante) ; Maya Boog (Ginevra) ; Nikolay Borchev (Lurcanio) ; Christiane Bassek (Polinesso) ; Agata Wilewska (Dalinda) ; Noel Hernández Lopez (Odoardo). Chœur du Théâtre de Bâle (chef de chœur : Henryk Polus) ; La Cetra Barockorchester Basel. Direction: Andrea Marcon