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Wozzeck intense à Munich

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Munich. Nationaltheater. 1-VI-2012. Alban Berg : Wozzeck. Mise en scène : Andreas Kriegenburg. Décor : Harald B. Thor. Costumes: Andreas Schraad. Avec: Georg Nigl (Wozzeck) ; Roman Sadnik (Tambour-major) ; Kevin Conners (Andres) ; Wolfgang Schmidt (Capitaine) ; Clive Bayley (Docteur) ; Kenneth Roberson (Fou); Waltraud Meier (Marie) ; Heike Grötzinger (Margret). Chœur de l’Opéra national de Bavière (chef de chœur : Sören Eckhoff) ; Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière. Direction musicale : Kent Nagano

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Pour beaucoup d'amoureux de cette œuvre, il y a une production définitive du Wozzeck d', celle montée pour la Staatsoper de Berlin et le Châtelet par il y a deux décennies, modèle de raffinement et de simplicité qui était presque un manifeste pour la mise en scène d'opéra, qui n'a besoin ni de pénibles « reconstitutions », ni d'armatures conceptuelles ou symboliques.

a choisi une tout autre voie, en usant de la force de frappe esthétique d'un décor proprement sidérant, immédiatement lisible mais techniquement virtuose : une grande boîte semblant flotter au-dessus d'un plan d'eau au ras du sol, où s'opposent ainsi le champ de l'intime (la boîte, qui s'avance et se recule à volonté, étant aussi bien la chambre du capitaine que celle de Marie) et sphère publique, où les interludes sont animés par des figurants qui ne permettent pas d'oublier l'ancrage social et politique du texte de Büchner, écrit en pleine période romantique mais d'une actualité aussi brûlante pendant la République de Weimar qu'à l'ère des crises financières contemporaines.

Cette production admirable avait été créée en 2008 avec et , elle fille à soldats en qui s'incarnait tout un monde, lui douloureuse victime consciente d'une machine de mort. En 2012, la direction d'acteurs reste d'une expressivité rarement égalée, mais les deux interprètes principaux donnent de leur rôle une interprétation bien différente, et tout aussi passionnante : fait de l'un de ses personnages fétiches une fleur exceptionnelle qui tranche sur la médiocrité ambiante, tandis que livre de Wozzeck le portrait halluciné d'un homme aliéné, dont le regard poursuit longtemps le spectateur. Par chance, ces prestations scéniques sont largement confirmées par la musique : , qui n'était pas dans son meilleur jour, rusant avec la liberté surveillée que lui accorde sa voix dans de tels cas, offre ici sa maîtrise unique du personnage, tandis que , dont la voix est sans doute moins exceptionnelle que celle de , se rattrape par une musicalité jamais prise en défaut – on sait à quel point cette musique s'autodétruit pour peu qu'on prenne des libertés avec les valeurs ou les longueurs. L'un et l'autre sont parfois couverts par l'orchestre ou conduits au cri : vétilles qu'on ne mentionne que par esprit de précision, mais qui n'entament guère l'enthousiasme.

Autour d'eux, un brillant ensemble largement issu de la troupe de l'Opéra de Bavière s'investit de la même manière au service d'une œuvre et d'une mise en scène également intenses : peu séduisant vocalement, Clive Bayley donne à son docteur-savant fou une silhouette cartoonesque qui souligne la déshumanisation d'une science qui vise moins à améliorer le sort du patient qu'à accumuler un savoir stérile et autosuffisant ; son alter ego le capitaine, moins travaillé scéniquement, bénéficie de l'expérience de , désormais remarquable ténor de caractère. Si , et Kenneth Roberson sont eux aussi sans tache, on s'en voudrait de ne pas mentionner un dernier interprète : l'enfant, Jochen Schäfer, touchant de maladresse lors des saluts, est à la hauteur des exigences auquel le soumet , qui en fait le témoin muet mais conscient et actif du monde cruel des adultes, partant en quête de l'amour d'un père absent, relayant l'opprobre qui frappe sa mère déchue, innocent sans doute, mais pas inconscient.

Il y a plus de quarante ans, l'Opéra de Munich avait accueilli dans sa fosse un jeune chef qui ne dirigea plus jamais l'œuvre ensuite, malgré la réussite éclatante dont témoigne un enregistrement encore inédit : Carlos Kleiber avait osé renoncé dans une œuvre trop souvent caricaturée renoncer à toutes les duretés inutiles, à un expressionnisme facile, en démontrant brillamment que sa beauté s'adressait aux sens tout autant qu'à l'intelligence. Aujourd'hui, parvient à un résultat étonnamment similaire : on n'oubliera pas les textures de cordes impalpables qui accompagnent les déchirements intérieurs de Marie dans la première scène de l'acte III, pas plus que la puissance du dernier interlude qui suit la mort de Wozzeck. Il est sans doute plus facile de parvenir à de tels résultats quand on dirige un orchestre qui est peut-être le meilleur orchestre de fosse du monde – mais cela n'enlève rien aux mérites d'un chef qui, aujourd'hui, n'a guère de concurrence parmi ses pairs des grandes maisons d'opéra.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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