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« Dietrich Fischer-Dieskau est mort ». Après l'annonce de la disparition du baryton allemand se sont succédé les hommages, nombreux et unanimes, saluant la voix du siècle, le chanteur exceptionnel, l'artiste érudit.
« Dietrich Fischer-Dieskau est mort ». Après l'annonce de la disparition du baryton allemand se sont succédé les hommages, nombreux et unanimes, saluant la voix du siècle, le chanteur exceptionnel, l'artiste érudit. Au moment de célébrer sa carrière et son œuvre – car cet interprète de génie laisse une « œuvre » – on ne peut que se sentir accablé par la grandeur du sujet et, osons le dire, par l'inutilité de l'entreprise. Qu'est-ce qui, mieux que sa propre voix, peut témoigner pour la postérité de Dietrich Fischer-Dieskau ? Ses abondants enregistrements constituent le plus formidable testament qui soit, un legs fabuleux, aux dimensions d'un royaume, vaste domaine où le mélomane se doit de faire étape. S'il ne s'y perd pas de bonheur, il peut alors s'arrêter au maître des lieux et tâcher de se rappeler qui était « DFD ».
Une voix, avant tout. Une voix sans pareille, absolument unique au milieu des autres. Une voix familière entre toutes, qui brille par sa chaleur, son souffle enveloppant et sa diction riche de sens. Une voix d'une amplitude si développée que le terme de « baryton » semble presque impropre. Une voix tendre ou impérieuse, inquiétante ou paisible, orageuse ou solaire, qui connaît et sait exprimer tous les sentiments de l'âme humaine. Une voix qui est la musique même.
Formé pendant la guerre, découvert par Wilhelm Furtwängler en 1950, Fischer-Dieskau est reconnu rapidement comme un baryton de tout premier plan, se signalant aussi bien dans le Requiem de Brahms que dans la Passion selon saint Matthieu. Il tient aussi quelques grands rôles wagnériens, notamment Wolfram. Soucieux de soutenir la composition contemporaine, il participe à la création du War Requiem de Britten en 1962 ou de Lear d'Aribert Reimann en 1978. Mais c'est son don pour le lied qui donne à sa gloire l'éclat qu'on lui connaît. Outre Schumann, Brahms, Strauss, Wolf et beaucoup d'autres, il est en particulier l'auteur d'une intégrale des quelque six cents lieder de Schubert (1968). Bien qu'ayant collaboré avec des pianistes aussi prestigieux qu'Alfred Brendel, Christoph Eschenbach ou Daniel Barenboïm, sa collaboration avec Gerald Moore est de loin la plus fructueuse. Ainsi, ayant largement contribué depuis 1947 à redonner toutes ses lettres de noblesse au lied (3000 lieder enregistrés au total), il quitte la scène en 1992, poursuivant une carrière de direction d'orchestre jusqu'en 2000.
Homme d'une grande sensibilité, Fischer-Dieskau faisait preuve d'éclectisme dans ses goûts artistiques, attiré par la peinture et l'écriture. Ses lieder témoignent toujours d'une compréhension fine du poète, en particulier dans le Voyage d'hiver de Schubert, cycle auquel il éprouva constamment le besoin de revenir. Son exigence musicale et son intelligence du texte en font certainement l'un des plus grands schubertiens de tous les temps, depuis le légendaire Johann Michael Vogl (1768-1840). Ses réflexions sur la musique, ses travaux en musicologie et son activité de pédagogue rappellent l'engagement intellectuel que Fischer-Dieskau mettait dans la musique : gardien d'un temple, il s'efforçait de rendre à la musique tout ce qu'elle lui avait donné, pouvant faire siennes les paroles du beau lied de Schubert, À la musique :
O toi, art tout de noblesse,
que de fois, en ces tristes heures
m'as-tu réchauffé le cœur,
Souvent, un soupir échappé de ta harpe,
m'a ouvert d'autres cieux.
(Franz von Schober, An die Musik)
Brève discographie
Franz Schubert (1797-1828) : Le voyage d'hiver D 911 (Winterreise), (Universal Music Division Classique, 1965) ; La belle meunière D 795 (Die schöne Müllerin) (Universal Music Division Classique 1968) ;
Robert Schumann (1810-1856) : Les amours du poète op. 48 (Dichterliebe) (Universal Music Division Classique 1976) ;
Johannes Brahms (1833-1897) : Quatre Chants sérieux op. 121 (Vier ernste Gesänge), (Deutsche Grammophon, 1958) ; Un Requiem allemand op. 45 (Ein deutsches Requiem) (EMI Classics 1961) ;
Richard Wagner (1813-1883) : Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg (Die Meistersinger von Nürnberg) (Universal Music Division Classique, 1976) ;
Benjamin Britten (1913-1976) : War Requiem op. 66 (Universal Music Division Classique, 1963).