Yan Huichang, Directeur musical du Hong Kong Chinese Orchestra
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Si la Chine dispose désormais de solides ambassadeurs de son rayonnement artistique avec en chef de file l'incontournable Lang Lang, elle s'attache désormais à faire connaître son école instrumentale et de direction d'orchestre. Yan Huichang, le directeur musical du Hong Kong Chinese Orchestra depuis 1997, est venu donner des classes de maître aux conservatoires de Bruxelles, Luxembourg et Paris : au programme, la comparaison entre les orchestres chinois et occidentaux, sur le double plan de la direction et de la composition.
« Si les compositeurs occidentaux sont intéressés par la musique chinoise, alors cela participera à la promotion de cette musique »
Une visite qui n'est en réalité qu'un prélude au Prix International de Composition 2013 qui sera remis à Luxembourg l'an prochain, et qui a pour vocation de stimuler la création d'un répertoire avec des instruments occidentaux et chinois. ResMusica a rencontré le chef à Paris à l'issue de sa tournée, pour en savoir plus sur cette offensive de charme en terres francophones.
ResMusica : En 2013 vous organisez un prix de composition en coopération avec la Société Luxembourgeoise de Musique Contemporaine. La musique orchestrale chinoise est-elle difficile d'accès pour le public occidental?
Yan Huichang : Quand nous jouons avec l'orchestre au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Norvège, en Belgique, le public est enthousiaste. Quand nous avons interprété les différents styles de musique chinoise au Festival de Saint-Denis, à l'occasion de l'année France-Chine, l'assistance était tellement enthousiaste qu'elle continuait à applaudir même après que l'orchestre avait quitté la scène. Il a fallu que je revienne dire que le concert était vraiment fini !
RM : Quels sont ces différents styles de musique chinoise ?
YH : Il y en a trois. Le premier consiste en l'orchestration de mélodies asiatiques anciennes.
Le deuxième reprend des éléments traditionnels, qui sont intégrés dans une nouvelle composition : l'exemple en est les Melodies of Western Yunnan (Mélodies de l'Ouest du Yunnan – voir vidéo ci-dessous) de Guo Wenjing ou la Silk Road Fantasia Suite (Suite de la Fantaisie de la route de la soie) de Zhao Jiping. Ces deux styles sont très difficiles à diriger car ils exigent beaucoup de connaissance sur les caractéristiques, le langage, l'arrière-plan historique qui varient selon les provinces dont ces éléments sont issus, comme c'est le cas par exemple pour l'Ouverture 1812 de Tchaïkovski. La Silk Road Fantasia Suite est familière pour le public occidental comme peut l'être celle d'Elgar, car le compositeur est connu pour ses musiques de films. Une autre œuvre de Zhao Jiping est le concerto pour violoncelle Zhuang Zhou's Dream (Le Rêve de Zhuang Zhou), écrit en 2009, qui est de nature philosophique, avec une personne qui rêve de devenir un papillon.
Le troisième style est constitué par des nouvelles compositions qui n'ont pas de lien direct avec la musique chinoise, mais s'inspirent de sa philosophie. Un exemple est Jing‧Qi‧Shen du compositeur Chan Ming-chi, qui a reçu un prix de l'UNESCO en 2001 pour cette œuvre. Composée il y a quinze ans, elle proposait une nouvelle manière de faire jouer les instruments, et elle était considérée comme impossible à exécuter. Aujourd'hui, c'est un classique de la musique chinoise.
Il y a des œuvres comme Autumn Execution de Doming Lam qui se situent entre les deuxième et troisième styles. C'est une composition nouvelle, écrite sur une commande de notre orchestre en 1978. Basée sur un opéra de Beijing, elle raconte l'histoire de l'exécution d'une femme innocente, condamnée par une justice corrompue.
RM : La technique pour diriger un orchestre chinois est-elle spécifique ?
YH : La technique est la même que celle d'un orchestre occidental, mais il faut connaître la technique pour jouer les instruments chinois, ainsi que le contexte culturel.
RM : Quelle a été votre formation et votre parcours ?
YH : J'ai été formé au Conservatoire de Shanghai dont j'ai été diplômé en 1983. J'étais le seul élève à être formé comme chef d'orchestre, c'était en effet une classe où il ne pouvait y avoir qu'un étudiant. J'y ai appris les deux styles de direction chinoise et occidentale, pour l'orchestre et l'opéra, avec les particularités des différences provinces. J'ai ensuite été nommé 8 ans à Beijing à l'Orchestre Chinois National de Chine. De 1992 à 1995, j'ai été le Directeur Musical de Naxos à Singapour, puis j'ai dirigé l'Orchestre Chinois de Taipei à partir de 1995. En 1997, j'ai pris la direction du Hong Kong Chinese Orchestra.
RM : C'était au moment de la rétrocession de Hong Kong ?
YH : Oui, j'ai abrégé mon contrat avec Taipei à la demande du gouvernement. J'ai fait mon premier concert avec l'orchestre le 1er juin 1997 à Singapour, et le premier concert à Hong Kong était le 1er juillet, pour la cérémonie de la rétrocession.
RM : Vous êtes à la tête de l'orchestre depuis bientôt quinze ans, l'orchestre a-t-il évolué durant cette période ?
YH : Avant 1997, l'orchestre se consacrait à l'exécution en concert. Depuis, il est devenu un outil de promotion culturelle, où la musique est associée à la danse, et la calligraphie sur scène en cohérence avec la musique. En 1998 on a établi un dialogue entre le thé et la musique de Chine, comme une dégustation de vin.
RM : C'est un projet politique de promotion de la culture chinoise ?
YH : Ce n'est pas un projet politique, cela fait partie de la culture chinoise. Nous travaillons ensemble avec d'autres formes d'art et nous explorons la beauté de la musique chinoise, pour l'apporter à une plus grande audience et lui faire découvrir l'énergie et la créativité de l'orchestre.
RM : Comment attirez-vous un public plus large ?
YH : Nous avons organisé des grands concerts qui sont rentrés dans le Livre des Records. En 2001, nous avons fait joué ensemble mille joueurs d'ehru, en 2003 nous avons réuni 3000 personnes qui ont joué des percussions ensemble. Il y avait des enfants, des personnes âgées, d'autres en chaises roulantes, l'objectif principal était de faire expérimenter l'orchestre. Nous avons au programme une œuvre lors de laquelle nous donnons à tout le public une petite percussion en bois pour qu'il joue avec l'orchestre, et qu'il puisse la garder en souvenir. Nous l'avons joué à Carnegie Hall.
RM : Et cela change la perception du public ?
YH : Je pense, oui. Un jour je suis allé dans une banque et la personne au comptoir m'a reconnu, et elle m'a demandé de signer sur cette petite percussion comme un autographe ! Une autre fois, c'est un policier qui aurait pu me mettre une amende parce que je m'étais arrêté à un mauvais endroit. Il ne l'a pas fait, et il m'a expliqué que c'était parce qu'il me reconnaissait, il avait joué sous ma direction dans un des concerts.
RM : Vous avez dirigé en Belgique au Klara Festival, au Musikverein de Vienne, à Munich, à la Basilique Saint-Denis à Paris, y a-t-il des différences dans l'accueil de la musique chinoise?
YH : Nous sommes d'abord des ambassadeurs mondiaux de la musique. Au Klara Festival, le Concerto pour violoncelle de Zhao Jiping était joué par une musicienne belge, Marie Hallynck. En Autriche, en Allemagne et au Royaume-Uni, la musique est la musique. A Paris, Debussy – avec La Mer – et Ravel – à l'exception du Boléro – ont un thème derrière la musique qui est plus proche de la musique chinoise, et qui la rend plus attractive pour le public français.
RM : C'était la première fois que vous donniez une classe de maître à Paris. Quel est l'objectif de ces classes ?
YH : Quand on remonte dans l'histoire, les pays ont eu des échanges pour catalyser le développement culturel. Nous voyons des orchestres occidentaux qui commandent des œuvres à des musiciens chinois comme Tan Dun, et nous voyons que les compositeurs occidentaux sont plus intéressés par écrire pour des orchestres chinois. Nous cherchons à développer la connaissance des compositeurs, des chefs d'orchestre et du public.
Nous passons nous-mêmes commande à des compositeurs venant des Etats-Unis, du Canada, d'Israël…
RM : Et vous organisez un Prix International de Composition l'an prochain à Luxembourg.
YH : Oui, on souhaite attirer des compositeurs occidentaux. Ce Prix est pour nous très important, c'est une étape dans le développement de la musique chinoise, pour découvrir de nouveaux talents et les développer. Si les compositeurs sont intéressés par la musique chinoise, alors cela participera à la promotion de cette musique.