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Turin. Teatro Regio. 11-III-2012. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, opéra en quatre actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après le roman de Henri Murger. Mise en scène : Giuseppe Patroni Griffi reprise par Vittorio Borrelli. Décors et costumes : Aldo Terlizzi Patroni Griffi. Lumières : Andrea Anfossi. Avec : Maria Agresta, Mimi ; Norah Amsellem, Musetta ; Massimiliano Pisapia, Rodolfo ; Claudio Sgura, Marcello ; Fabio Previati, Schaunard ; Nicola Ulivieri, Colline ; Matteo Peirone, Benoit/Alcindoro ; Dario Prola, Parpignol ; Mauro Barra, Sergent des douanes ; Marco Tognozzi, un douanier. Chœur et Orchestre du Teatro Regio (chef de chœur : Claudio Fenoglio). Direction musicale : Massimo Zanetti
Créé au Teatro Regio de Turin le 1er février 1896 sous la direction orchestrale d'Arturo Toscanini, et repris près d'une trentaine de fois depuis sa création, « La Bohème » de Giacomo Puccini est un peu l'hymne de cette ville. Pour s'en convaincre, il suffisait de voir la foule qui faisait la queue devant les guichets du théâtre dans l'espoir d'obtenir l'une des rares places encore disponibles.
Etrange opéra que « La Bohème ». Si la scène de la mort de Mimi est toujours poignante, elle l'est encore plus par le désespoir qu'elle suscite dans son entourage. Le public y compris ! Mimi n'est pourtant ni Traviata, ni Carmen, ni Norma. Elle est une victime sans triomphe. Pourtant sa mort bouleverse, touche au plus profond. Elle disparue, on se retrouve seul. Comme les acteurs du drame puccinien. Sans Mimi, ils ne vont probablement plus rire, se chamailler, se moquer les uns des autres. Toute l'indifférence, l'insouciance de leur jeunesse s'envole d'un seul coup.
Deux raisons principales ont poussé le public à se presser pour voir cet énième reprise de cet opéra. La première, pour l'excellente mise en scène de Giuseppe Petroni Griffi réalisée pour le centième anniversaire de la création de « La Bohème ».
Une très grande mise en scène qui conserve toute sa puissance narrative et émotionelle sept ans après la disparition du metteur en scène. Remarquable cependant, la reprise de Vittorio Borrelli et sa formidable direction d'acteurs. Axant son discours scénique sur la complicité, l'amitié de Rodolfo, de Schaunard, de Marcello et de Colline, jamais ils ne sont en représentation. Tous leurs gestes sont justes, naturels. Quatre copains. Bien entendu, la mort de Mimi les bouleverse. En prenant conscience de sa disparition, ils se détournent de la dépouille de la jeune femme comme pour conjurer le sort qui s'abat sur eux. Une image particulièrement forte avec la prise de conscience de la tristesse, de la douleur de la perte d'un être. Lentement, avec ces personnages figés dans leur souffrance, la lumière se fait de plus en plus rare pour terminer avec l'obscurité totale. Alors, et alors seulement, les premiers applaudissements du public se font entendre. Timidement d'abord, comme pour ne pas rompre la tristesse, comme si la disparition de Mimi concernait le public tout autant que les protagonistes sur la scène. Ce n'est que lorsque que la vie reprend sa place que les applaudissements triomphaux viennent saluer l'une des plus belles réalisations de cet opéra jamais vues sur scène.
Au terme de cette production, chacun se souviendra du flamboyant deuxième acte où la foule envahit le plateau dans la fête bruyante au Café Momus. Quelle débauche de costumes, quelles couleurs, quelle admirable manière de diriger les gens, les chœurs, les enfants, la fanfare défilant. Un spectacle remplissant la raison profonde du spectacle d'opéra : faire rêver.
Et chacun encore se souviendra du moment magique de l'ouverture du rideau sur le décor du troisième acte. Une scène recouverte de neige, les flocons tombant des cintres, sur une fond de scène évoquant des brouillards lointains. Quelle poésie ! Le public, pourtant rompu à cet opéra, ne peut alors retenir un « Oh ! » d'admiration devant cette étendue immaculée.
La seconde raison pour laquelle le public turinais se presse au Teatro Regio est la présence dans le rôle de Mimi de la soprano italienne Maria Agresta dont nos lignes avaient déjà loué le talent dans notre compte-rendu critique des « Vespri Siciliani » de Verdi en mars dernier. Totalement investie dans son personnage, elle fait une démonstration de chant à l'image des grandes Mimi de l'histoire. En l'entendant, on ne peut ne pas penser à Mirella Freni dont elle a la beauté du timbre alliée à la simplicité de l'expression vocale. D'entrée, son Mi chiamano Mimi la porte vers des sommets d'interprétation. On se régale. Et lorsqu'au troisième acte, elle prend congé de Rodolfo dans son air Donde lieta usci, quelle douceur en même
temps quel amour dans le susurrement de son Addio, senza rancor. Incontestablement, avec Maria Agresta, l'art lyrique s'honore de l'une de ses plus grandes artistes.
A ses côtés, le ténor Massimiliano Pisapia (Rodolfo) est vocalement vaillant, mais techniquement moins apte aux nuances vocales, aux demi-teintes de la jeune soprano. Avec sa tendance à couvrir sa compagne, la transition entre ses forte et les pianissimi reste trop grande pour que l'on soit totalement emballé par sa prestation. Certes, avec les références des interprètes du rôle que chacun a encore en mémoire, il est difficile de ne pas ressentir la critique.
Bien heureusement, la symbiose théâtrale entre les protagonistes se retrouve dans son chant. Il est au mieux de sa forme vocale au sein de son groupe d'amis. Comme eux, jamais il ne récite. Comme eux, il est dans l'action chantée. Parfait. A l'image du baryton Claudio Sgura (Marcello) impressionnant avec sa ligne de chant admirable et sa magnifique musicalité. Particulièrement touchante la scène avec Mimi au troisième acte où il développe une voix empreinte de belle douceur pour tour à tour s'emplir des confidences de Mimi puis de Rodolfo. Il chante si bien qu'on n'est plus à l'opéra, mais dans la vie !
Des deux autres compères, le baryton Fabio Previati (Schaunard) semble plus effacé par le rôle moins important, cependant, il fait aussi preuve d'une vocalité irréprochable. La voix est claire, chargée d'harmoniques, et la diction impeccable. De son côté, la basse Nicola Ulivieri (Colline) ne se distingue vraiment qu'à la fin de l'opéra quand il chante la célèbre romance Vecchia zimarra, senti ! Un moment de pur bonheur vocal ovationné par le public.
La soprano Norah Amsellem (Musetta) est piquante à souhaits. Sa colère, son énervement, sa jalousie et sa scène de reconquête de Marcello sont jouées avec une verve théâtrale, une décontraction et un comique qui n'ont d'égal que l'excellence de son Quando men vo chanté dans une apparente totale décontraction.
Tout ce rêve fait opéra n'aurait certainement pas été aussi enthousiasmant si, de la fosse, n'était sortie une musique magnifiquement jouée par un orchestre du Teatro Regio en pleine forme, dirigé avec musicalité, sensibilité et respect des chanteurs du chef italien Massimo Zanetti.
Crédit photographique : Maria Agresta (Mimi), Massimiliano Pisapia, (Rodolfo). Claudio Sgura (Marcello), Massimiliano Pisapia, (Rodolfo), Maria Agresta (Mimi), Fabio Previati (Schaunard), Nicola Ulivieri (Colline) © Ramella&Giannese Fondazione Teatro Regio di Torino
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Turin. Teatro Regio. 11-III-2012. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, opéra en quatre actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après le roman de Henri Murger. Mise en scène : Giuseppe Patroni Griffi reprise par Vittorio Borrelli. Décors et costumes : Aldo Terlizzi Patroni Griffi. Lumières : Andrea Anfossi. Avec : Maria Agresta, Mimi ; Norah Amsellem, Musetta ; Massimiliano Pisapia, Rodolfo ; Claudio Sgura, Marcello ; Fabio Previati, Schaunard ; Nicola Ulivieri, Colline ; Matteo Peirone, Benoit/Alcindoro ; Dario Prola, Parpignol ; Mauro Barra, Sergent des douanes ; Marco Tognozzi, un douanier. Chœur et Orchestre du Teatro Regio (chef de chœur : Claudio Fenoglio). Direction musicale : Massimo Zanetti
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