Cette année les Folles journées nous ont proposé leur dix-huitième édition intitulée « Le Sacre russe ». C'était aussi, cette année, la dixième édition des folles journées en région des Pays de la Loire : une participation de dix villes dans cinq départements. Et c'est avec un succès et un taux de fréquentation record que le festival initié par René Martin et la ville de Nantes passe le cap et unit avec toujours plus d'enthousiasme, dans un même élan artistique et social, une région engagée pleinement dans cette aventure : plus de 300 concerts, près de 50 conférences et des actions auprès de nouveaux publics…
Une précédente édition des folles journées en 2000 nous avait déjà proposé la musique russe, mais cette année René Martin a souhaité délibérément appuyer la suprématie de cette musique qui trouve son inspiration dans le sacré aussi bien que dans la musique populaire. Il voulait ainsi rendre particulièrement hommage Sacre du printemps de Stravinsky qui a révolutionné la musique du XXe siècle et suivre l'histoire mouvementée du peuple russe, des tsars à la Révolution Russe, incluant l'époque stalinienne et au delà.
Cette musique russe se devait d'être portée par des interprètes russes de la plus haute qualité et René Martin nous a donné l'occasion d'écouter les plus importants pianistes, violoncellistes et violonistes slaves de notre époque : le violoncelliste Alexandre Kniazev ou bien encore le pianiste Andreï Korobeinikov, deux artistes incontournables qui ont généreusement participé à cette édition et donné de nombreux concerts non seulement à Nantes mais en région. Boris Berezovsky est allé jouer à Saint-Nazaire ne ménageant pas son énergie à la suite de tous les concerts donnés à Nantes. On aura entendu la violoniste Patricia Kopatchinskaja interpréter avec fougue (et pieds nus comme à son habitude !) le Concerto pour violon et orchestre de Tchaïkovski. Et beaucoup auront pleuré en écoutant la Capella de Saint-Pétersbourg dirigée par Vladislav Tchernouchenko interpréter les Vêpres de Rachmaninov. Cette participation intense des artistes aux folles journées force l'admiration : c'est tout à fait dans l'esprit de ces folles journées que de partager enthousiasme des bénévoles et des artistes, et des spectateurs, de les voir tous unis dans un même grand plaisir où le partage émotionnel est toujours offert et possible, sans oublier personne. Beaucoup de bénévoles travaillent à accueillir efficacement les publics, les artistes courent d'un concert à l'autre, la folie de ces journées n'est rien d'autre que la concentration de milliers d'actions individuelles, du bénévole au grand artiste en passant par tous les organisateurs et les partenaires du festival.
La présence des artistes russes trouvait dans le compagnonnage avec les autres artistes qui sont ou bien de fidèles participants des folles journées comme Anne Queffelec ou Brigitte Engerer ou bien des artistes moins connus comme l'extraordinaire pianiste bulgare Plamena Mangova un fructueux terrain d'échange, de fraternisation et de potentiels rapprochements. Brigitte Engerer a proposé cette année un concert intitulé « Souvenirs d'enfance ». Avec ce récital elle nous invite à explorer avec une délicatesse infinie le monde de l'enfance recréé par Tchaïkovski dans son célèbre Album pour enfants. Tenue parfaite du chant, délicatesse des nuances, la forme de chaque phrase est l'occasion d'un plaisir, d'un émerveillement… Comme si une nourrice chantait à un enfant, le soir, une chanson à la façon de tous les pays (au XIXe siècle toute famille bourgeoise ou noble de Russie avait une préceptrice venu de Scandinavie, d'Allemagne ou de France).
Plamena Mangova dans les Préludes de Chostakovitch (qu'elle a enregistré) a confirmé sa réputation de pianiste puissante et tout à fait fascinante. Le récital de Luis Fernando Pérez, consacré à Rachmaninov (1873-1943) dans la salle Tchekhov au Lieu Unique a un peu déçu non pas à cause de sa prestation mais de l'acoustique désagréable de la salle : le piano, posé sur une grande estrade de bois, sonnait trop fort et le pianiste lui-même n'était pas tout à fait satisfait des conditions qui lui étaient proposées. Néanmoins, là aussi, le récital confirmait la musicalité tout en finesse de ce pianiste espagnol qui a su révéler notamment dans les Moments musicaux op.16 de Rachmaninov par la puissance de son jeu et sa capacité à exprimer magnifiquement les tourments les plus intériorisés a su magnifiquement révéler la profondeur de cette musique. Mais pour conclure, le plus surprenant dans ces folles journées aura été de constater à quel point la grande beauté de la musique de Chostakovitch aura trouvé une réception à sa hauteur. Portée par exemple par Tatjana Vassiljeva, violoncelliste russe exceptionnelle, dans le Concerto pour violoncelle et orchestre en sol mineur op.126 : le public debout a fait une ovation à l'interprète lui rendant ainsi un vibrant hommage.
On attend maintenant la prochaine édition des Folles journées qui sera consacrée à la musique française et espagnole de 1860 à nos jours, de Berlioz à Boulez en passant par Falla et Albeniz qui ont vécu et créé à Paris au début du XXe siècle et avec un clin d'œil à Rameau et Couperin qui inspirèrent Debussy et Ravel.
Crédits photographiques : Andrei Korobeinikov © Sergei Poltavski ;
Plamena Mangova © DR