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Nézet-Séguin l’enchanteur

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Paris. Théâtre des Champs-Elysées. 22-I-2012. Maurice Ravel (1875-1937) : Shéhérazade, Daphnis et Chloé. Anna Caterina Antonacci, soprano ; Orchestre philharmonique de Rotterdam ; Wiener Singakademie ; direction : Yannick Nézet-Séguin

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Ravel, et rien que lui. On sait l'affection que portent à ce compositeur l' et son jeune chef, le fringant , dont le succès dans ce répertoire avait déjà éclaté à l'occasion de la parution il y a deux ans d'un CD qui lui était consacré. Pour achever de convaincre les sceptiques, c'étaient deux œuvres de Ravel qu'ils nous offraient ce soir : Shéhérazade, trois poèmes pour voix et orchestre, sur des vers de Tristan Klingsor, ainsi que la musique complète du ballet Daphnis et Chloé. Et le contraste qu'offrait l'atmosphère feutrée et languide de la première pièce, avec la versatilité élégante et antique de la seconde, ne put que mettre en relief la maîtrise, la virtuosité, et la sensibilité du chef comme de la formation.

Il faut déjà rendre hommage à l'orchestre, somptueux de bout en bout. Non seulement les pupitres, pris dans leur ensemble, se révélaient solides et homogènes, même dans les passages rapides et malgré les effectifs pléthoriques demandés par le compositeur ; mais de surcroît les solistes (flûte et violon solo en tête), brillant par la beauté de leurs timbres, s'acquittaient de leur partie avec brio, sans pour autant rompre l'unité de la pâte orchestrale. Quant à la Wiener Singakademie, qui assurait la partie chorale (mais sans parole) de Daphnis et Chloé, elle remplissait son rôle honorablement, avec un passage a cappella très réussi.

Mais si l'orchestre se montrait si alerte, dans les dialogues échevelés émaillant la partition, c'était aussi grâce à une implacable direction. , souple, très mobile, mais toujours précis, commandait à ses musiciens comme à une partie de son corps, et transmettait la délectation qu'il semblait y trouver aux spectateurs, qui ne pouvaient que le regarder animer de sa baguette, tel Merlin, des pans entiers de son orchestre. Le résultat était d'une grande musicalité, comme en témoignait entre autres la subtilité du choix de nuances. Il faut une audace singulière pour oser en concert, face à une salle comble, de tels pianissimi : lorsque seules deux contrebasses effleurent leurs cordes, c'est beaucoup miser sur la concentration de l'auditoire. Mais le pari était réussi ; pas une toux pour briser le sortilège ; les spectateurs s'accrochent, captivés, à ce fil sonore, si ténu, et la musique peut respirer sans s'interrompre.

La partie vocale de Shéhérazade était tenue par la soprano ; le parti-pris esthétique qu'elle avait adopté pouvait d'abord surprendre : elle chantait d'une voix aux accents âcres, blanche et peu timbrée, parfois geignarde, jamais sensuelle ; mais on se rendait vite compte combien cette approche servait le texte, qu'il fallait absolument rendre poignant si l'on ne voulait pas qu'il fût mièvre. La chanteuse évitait ainsi les embûches d'un orientalisme facile, choisissait l'évocation de la folie plutôt que celle d'une volupté vulgaire, et dès les premiers appels « Asie, Asie, Asie », un frisson d'angoisse parcourait l'échine du spectateur, qu'absorbait bientôt tout entier la mélopée d'agonie.

Crédit photographique © Marco Borggreve

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