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Ténor unanimement acclamé sur toutes les scènes, Marcelo Álvarez, à l'origine économiste, a décidé sur le tard d'embrasser une carrière lyrique, après avoir, selon sa biographie officielle, « gaspillé son temps à chanter dans les bals populaires et les karaokés ». Soutenu par Giuseppe Di Stefano, Luciano Pavarotti et Gianandrea Gavazzeni, il est devenu en peu de temps incontournable, successeur putatif avec Roberto Alagna et Salvatore Licitra des « Trois Ténors ». Rencontre avec un géant de l'art lyrique à l'occasion des représentations parisiennes de La Forza del destino de Verdi.
« Les conditions météorologiques auxquelles on est exposé, les allergies, les virus qui varient de pays en pays, c'est incroyable mais tout cela influence énormément les chanteurs. »
ResMusica: En ce moment, vous êtes parmi les ténors plus acclamés par le public international. On s'attend beaucoup de vos performances. Comment vivez-vous cette responsabilité et est-ce que cela est pour vous source d'inquiétude ?
Marcelo Álvarez: Je ne sens pas particulièrement la pression ; en tous cas pas plus qu'au début de ma carrière. Tous les chanteurs qui font leur travail sérieusement prennent en charge et connaissent leurs responsabilités. Je crois qu'il faut toujours se donner au public et chanter au mieux de ses possibilités car il n'existent pas des théâtres plus importants que d'autres. Personnellement, je m'implique dans mon travail indépendamment de l'espace mais cela dépend beaucoup de la personnalité d'un artiste.
RM : Pour les musiciens on dirait qu'il est plutôt « facile » d'entretenir leur instrument mais dans le cas de la voix comment prenez- vous soin de vos cordes vocales ?
MA : J'ai beaucoup soin de moi-même : je choisie attentivement mon répertoire, mes temps, mes pauses. Le véritable problème, pour moi, n'est pas tant l'entretien de mes cordes vocales quant plutôt les situations externes voire les conditions météorologiques auxquelles on est exposé, les allergies, les virus qui varient de pays en pays. C'est incroyable mais tout cela influence énormément les chanteurs.
RM : Dernièrement vous avez perdu pas mal de poids jusqu'à atteindre un véritable « physique du rôle » de ténor de charme. Avez-vous fait un régime ?
MA : Oui, mais tout est une question de temps. Souvent, en début de carrière, le stress et l'anxiété jouent en rôle important sur l'alimentation qui dévient une sorte de déterrent nerveux. En plus à cause du rythme de travail on est portés à manger surtout le soir et cela ne facilite pas la digestion. Moi, j'ai trouvé enfin mon équilibre et j'ai pu changer d'habitudes alimentaires. Je mange différemment et donc je perds du poids, mais je ne me suis jamais imposé comme objectif le physique du rôle. Il y a des moments dans la vie où on est prêt pour certaines choses, c'est ça.
RM : Dans l'imaginaire commune on pense qu'une belle voix habite un corps grand et puissant. C'est une simple fantaisie ou c'est effectivement comme ça ?
MA : Je crois que c'est comme ça. Moi, je pesais 113 kilos ; actuellement je suis à 97 kg, encore en surpoids. Ce serait fou de faire l'équation il a maigri / il a perdu sa voix. Pour cela je devrais peser 50 kg.
RM : Lors de votre dernière représentation de Tosca au Théatre Politeama (Catanzaro – Italie, novembre 2010), vous avez nié au public le bis E lucevan le stelle demandé à grande voix. Aviez-vous probablement trop donné pendant la première interprétation ?
MA: Non, je n'ai rien nié. Le chanteur ne nie rien. On se tromperait en disant le contraire car le bis est un cadeau que l'on offre. En général je ne pourrais pas offrir quoi que ce soit dans un emballage laid. Cela dépasserait l'esprit du cadeau. Dans le cas spécifique je ne me sentais pas en mesure de rechanter un air selon mes propres attentes. Cela ne signifie pas que j'avais déjà tout donné mais seulement que ne me sentais pas en condition de donner plus. On ne peut pas avoir le même esprit à tous moments. En plus notre travail ne s'arrête pas à une dernière représentation dans un théâtre. Il faut penser en perspective. A distance de deux jours j'aurais dû chanter au théâtre Verdi de Salerno (en Italie), plus tard à Barcelone, donc à New York et à Paris. Il ne faut pas sous-estimer les efforts à venir. Et encore si on veut être précis, cette opéra ne prévoit pas de bis, comme à dire que cela n'était pas une exigence pour le compositeur et ne l'est pas non plus pour le chanteur. En définitive, il ne faut pas confondre un cadeau avec une obligation. Tout se résume au sentiment de vouloir ou de ne pas vouloir ré-proposer un air.
RM : Pourtant vous prévoyez souvent pour bis de vos récitals Nessun dorma, un vieux cheval de bataille de Pavarotti. Avez-vous pensé à la confrontation possible avec le grand ténor qui est entré dans le cœur de tous les amateurs ?
MA : Si j'avais pensé pour un seul instant aux confrontations possibles avec d'autres ténors, je n'aurais même pas commencé à chanter. Les confrontations ne me touchent pas et la façon de chanter des autres ne m'intéresse pas non plus. Moi, j'ai des qualités et des défauts comme tous. Pavarotti était un grand artiste, mais à mon avis d'autres ténors chantaient mieux que lui tout comme il y en a d'autres qui chantent probablement mieux que moi. Pour certains je chants mieux que Pavarotti, pour d'autres je chants pire. Comme pour les chaussures, tout est une question de goût !