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De la troupe de l'opéra de Zürich à l'affiche qu'il partage aujourd'hui avec Angela Gheorghiu, a patiemment gravi la route du firmament. Musicien de l'année 2011 dans plus d'un pays, le ténor allemand sera à Paris en Février. Rencontre à Milan avec un artiste trépidant et chaleureux qui vous illumine une scène en osant « toujours tout reprendre à zéro».

« Des amis m'ont dit: “Ce soir, c'était meilleur que sur le disque!” Bien sûr! Je n'étais plus face à un micro et à une salle vide! »

ResMusica : Vous semblez être chez vous partout, dans le répertoire allemand, français, italien… Et ce soir, le public de la Scala vous a accueilli en italien!

 : C'est vrai, ici à Milan, je suis italien! Mon épouse m'appelle le caméléon ! (rires)

RM : Avez-vous des exigences particulières envers vous-même dans une salle comme celle-ci?

JK : Le but est évidemment d'être le meilleur possible. La Scala est un endroit exceptionnel, un merveilleux théâtre avec un public critique dans le sens positif et constructif. Ce qui veut dire que le vent peut aussi tourner très vite. Je ne suis pas de nature anxieuse, au contraire, je suis extrêmement calme. Et on me déteste parfois pour cela car je peux lire un livre si j'ai cinq minutes avant d'entrer en scène. Mais à la différence d'un concert, dans un opéra le trac prend la fuite dès que l'on entre dans l'univers de l'intrigue.

RM : La mise en scène de Luc Bondy ne vous a pas vraiment aidé en ce sens….

JK : Je n'adhère pas à cent pour cent avec la production et je suis heureux qu'hier soir cela ait été un succès. Bondy est un artiste, c'est son interprétation et nous devons respecter cela. Bien que j'adore expérimenter, il me semble que Tosca ne soit pas l'œuvre idéale à déconstruire. Puccini est un compositeur qui a tout décrit très précisément avec sa musique: la lumière, l'air, la scène, l'atmosphère… Tout est dans sa musique. Il a créé une musique particulière pour que Tosca décide de prendre le couteau et de tuer Scarpia, il a rajouté dix mesures de musique, rien que pour ça! Il faut les utiliser sinon elles n'ont aucun sens.

RM : A quel moment une représentation commence – j'emprunte votre expression – à vous “aller comme un gant”?

JK : Je n'achèterai jamais de billet pour une première. Même si le spectacle est généralement très réussi – la tension est à son comble – il n'est pas encore prêt. Une fois que l'on commence à jouer, à chanter, devant un public, on passe à un autre niveau. Le spectacle est vraiment « là » vers la quatrième représentation. On agit et réagit différemment sous la pression d'un vrai public qui a payé et qui attend un succès. Tout le monde est différent. Certains voient leur énergie décupler.

RM : C'est votre cas…

JK : Absolument. Il m'est même difficile d'enregistrer sans public! Quand j'ai enregistré mon premier disque et que j'ai ensuite donné des concerts avec le même programme, des amis m'ont dit: “Ce soir, c'était meilleur que sur le disque!” Bien sûr! Je n'étais plus face à un micro et à une salle vide! Cela veut dire que l'on peut répéter des mois et des mois sans savoir ce qu'il se passera une fois le rideau levé, devant une salle pleine à craquer.

RM : A quoi ressemblerait le public parfait ?

JK : Vous savez, quand, par exemple, un artiste n'est pas en forme et qu'il sait qu'il n'a pas donné le meilleur de lui-même, le public a beau lui faire un triomphe et l'accueillir comme un roi, il ne sera pas pleinement satisfait. Si les spectateurs se contentent des cinquante pour cent dont il aura été capable, cela veut dire qu'ils ne feront pas la différence quand il donnera le maximum.

RM : Comment créez-vous un rôle ?

JK : On crée un personnage en comprenant d'où il vient et en décidant son type de personnalité. Les mouvements viennent ensuite naturellement. Il faut être conscient des situations qu'il traverse et tout simplement être le personnage. Le reste vient tout seul.

RM : Y-a-t-il une manière « juste » d'interpréter un rôle ?

JK : Dans l'interprétation musicale, il n'y a pas de « vérité » au sens d'une juridiction qui vous dise ce qui est « faux ». Cependant, on ne peut baser une interprétation sur un mensonge. Si l'on simule une émotion, parce qu'on n'est est pas capable – parce qu'on n'est pas en forme ou qu'on ne peut se mettre dans cette position – on sent qu'il manque quelque chose. Ce n'est pas le « grand frisson ». C'est une chose éprouvante d'atteindre le « grand frisson» ou « the real thing». Mais je crois que le public peut ressentir la différence. Peut-être ne saura-t-il pas exactement ce que c'est mais il ne se sentira pas aussi touché qu'il le devrait avec tous ces ingrédients que sont l'orchestre, la lumière, la mise en scène, le décor, les costumes…

RM : Est-ce cela votre arme fatale, d'être impliqué émotionnellement?

JK : Notre voix répond à nos émotions. Si un ami vous appelle et qu'il n'a pas le moral, deux mots suffisent pour vous en rendre compte. Nous devons utiliser cela sur scène. Si vous chantez parfaitement, que tout autour de vous est parfait et que votre voix sonne comme une berceuse, cela ne collera pas. Le public sait reconnaître les émotions profondes. Mais ces “vérités” changent non seulement d'une génération à l'autre mais d'année en année, de production en production et même d'un soir à l'autre.

RM : Quel personnage ne pourrez vous pas changer entièrement ?

JK : Alfredo de La Traviata par exemple. Il serait très ennuyeux de le jouer à chaque fois de la même manière et de partir du même angle mais Alfredo doit être innocent. Il doit être jeune parce que, sinon, il serait terriblement grossier et antipathique. La manière dont il traite Violetta est tout simplement insupportable. Si on le joue « de la bonne manière », on comprend alors qu'il est inconscient! C'est sa première histoire d'amour, il n'a aucune expérience, il n'y connaît rien!

RM : Faire les choses « de la même manière » ça ne vous ressemble pas…

JK : J'essaye toujours de tout reprendre à zéro. De tout « réinitialiser ». De reconstruire un rôle depuis le tout début et oui, j'essaye de le faire un peu différemment à chaque fois. Je ne dis jamais: « Aujourd'hui, je vais le faire comme ça ». Non. Je reprends depuis le début. Et c'est la même chose avec nos récitals. Avec mon partenaire Helmunt Deutsch, à la fin de chaque concert, on se dit: « Tu te souviens de ça? On ne l'avait jamais fait comme ça! Pourquoi ne l'avions nous pas fait avant! » On va toujours plus loin et on trouve de nouvelles choses sans les avoir cherchées. On reprend tout comme si c'était la première fois. Lui ressent chaque note, moi je ressens chaque mot et on le recrée. Là, il se passe quelque chose qui nous emmène dans une autre direction…. J'essaye de faire un peu la même chose sur scène. Je dis « j'essaye » parce que je ne suis pas seul. Je ne peux faire que ce que je veux!

RM : Malgré tout, vous semblez toujours improviser…

JK : Il faut toujours laisser une place à l'improvisation, au risque de ne pas être avec l'orchestre. On ne le fait pas pour l'éternité, on ne le fait que pour un soir, un instant unique. La chose la plus importante est de ne jamais oublier que l'on est libre. Très souvent, avec le trac, il est presque impossible de tout contrôler. Tant de choses se perdent de ce que l'on aurait réellement pu accomplir.

RM : Vous saviez que vous vous lanciez sur un chemin ardu en préférant la musique aux mathématiques…

JK : Quand on décide d'être chanteur d'opéra on vise très haut en sachant que ce n'est pas réaliste. Malgré tout, on se doit d'essayer. Et si l'on n'essaye pas et si l'on n'y croit pas, cela n'arrivera jamais. Les maths étaient trop arides pour moi, trop théoriques… J'avais besoin de les associer à…

RM : L'émotion ?

JK : Oui et à une dimension physique. Chanter c'est une combinaison de toutes vos compétences, de tous vos talents. Sur scène, il ne suffit pas d'une qualité, il faut être polyvalent.

RM : En parlant de polyvalence, où est la boîte à outils qui vous accompagne partout ?

JK : Cet hôtel est flambant neuf, je me suis dit qu'il n'y aura rien à réparer ici ! (rires) Ma femme m'y encourage pourtant. Elle a l'habitude de dire: « Laissez Jonas louer votre appartement, il va tout vous réparer !».

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