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A Vienne, Serse ou XerSEX ?

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Vienne. Théâtre an der Wien. 27-X-2011. Georg Friedrich Haendel (1685-1750) : Serse, opéra en trois actes sur un livret de Niccolo Minato et Silvio Stampiglia. Mise en scène : Adrian Noble ; décors : Tobias Hoheisel ; lumières : Alan Burrett. Avec : Malena Ernman, Serse ; Bejun Mehta, Arsamene ; Adriana Kucerova, Romilda ; Danielle de Niese, Atalanta ; Luciana Mancini, Amastre ; Anton Scharinger, Ariodate ; Andreas Wolf, Elviro. Chœur Arnold Schoenberg (chef de chœur : Erwin Ortner). Ensemble Matheus, direction : Jean-Christophe Spinosi

Londres, 1738 le goût pour l'opera seria se délite, le public finit par se lasser de l'inlassable, castrats et prima donne sont passés de mode, Haendel en mauvaise posture doit regagner les faveurs d'un public décidément versatile.

Alors, avant de comprendre que l'oratorio anglais sera sa providence, il tente de réinventer le genre de l'opera seria en composant un dernier opéra italien : Serse (ou Xerxes en anglais), en brisant certains des codes les plus fondamentaux tels que des airs privés de leur da capo et directement intégrés à l'action ou encore en faisant intervenir un personnage « anglais » Elviro, qui vend ses fleurs à la manière londonienne des marchés de l'époque…au point que certains finissent par appeler son ouvrage ballad. De plus, on est loin des opéras héroïques tels que Orlando, Rinaldo ou autre Giulio Cesare ; en effet toute l'action est basée sur les sentiments amoureux des personnages avec en toile de fond un enjeu politique discret. Mais la vraie nouveauté réside dans son traitement, Haendel développe la veine comique de l'ouvrage au travers d'une multitude de quiproquos désopilants! Ainsi, l'écueil pour tout metteur en scène serait de tomber dans un burlesque ridicule ce qui en ferait un opéra bouffe, car malgré sa veine comique Serse reste un opera seria. D'autres défis attendent les interprètes : spécialistes de Vivaldi, l' et leur chef sauront-ils relever celui de la musique de Haendel (en partie réussie dans leur Alcina à Garnier) ? Malena Ernmann habituée des seconds rôles haendéliens (Lichas dans Hercules, Nerone dans Agrippina, Eduige dans Rodelinda) aura-t-elle la carrure du rôle-titre Serse ? Au contraire, qu'on aurait plutôt attendue en Romilda endosse le rôle secondaire d'Atalanta ; sa forte personnalité ne risque t'elle pas d'éclipser sa rivale Romilda ? qui excelle dans les rôles héroïques pourra t'il faire autant sensation dans un rôle plus élégiaque d'amoureux transi ? Enfin comment le metteur en scène va t'il intégrer l'air le plus célèbre de toute l'œuvre du compositeur : le fameux air « Ombra mai fu » qui semble à priori détaché du reste de l'ouvrage ? C'est justement ce qu'à particulièrement réussi , en plaçant d'emblée cette méditation introductive comme fil conducteur simple en apparence mais qui va se révéler fort subtil au point d'en transcender le livret tout en le suivant à la lettre. En effet, Serse persécuté pendant l'ouverture, échappe à ses assaillants lorsqu'il entrouvre les parois d'une « muraille » qui dévoilent un petit coin de paradis à la végétation verdoyante dans lequel il se réfugie. Contraste saisissant avec le monde extérieur hostile, il se repaît en chantant paisiblement sous un platane et rend ainsi hommage à un monde ancien qui le rassure: celui des traditions, d'un pouvoir absolu, d'un machisme incontesté. Ce mur à la taille disproportionnée n'est autre qu'une transposition des barrières qu'il a érigé dans son esprit, et dans lequel il a verrouillé ses certitudes. Il refuse de voir le monde muter, il ne comprend pas comment Romilda, sur laquelle il a jeté son dévolu, se permet de lui résister, lui le souverain qui a pouvoir de vie et de mort sur tous ses sujets, au point de la séquestrer dans sa « cage dorée ». Romilda se transforme alors en un petit oiseau fragile, contraint pour se protéger de se réfugier sur la branche la plus haute de l'arbre de Serse, un arbre au symbole phallique évident mais un arbre en décrépitude. Nous ne sommes finalement pas si loin des Noces de Figaro de Mozart, où le droit de cuissage est aboli au grand dam du comte. De plus, Serse n'est pas au bout de ses peines et doit faire face à d'autres vexantes résistances, celle de son frère Arsamene, pourtant d'un rang inférieur, qui ne lui cède pas sa fiancée, tandis qu'Amastre, sa bien aimée officielle, complote à son insu. Il finira par « accepter » la situation, non sans avoir au préalable frôlé la folie !

La grande cohérence ainsi que le traitement faussement naïf d'un drame comico-tragique finissent pourtant par trouver leurs limites dès le second acte en mal d'idées, et qu'un décor unique (un jardin circulaire accompagné de l'ouverture et de la fermeture systématique de son enceinte) n'arrange rien et aurait pu nous mener droit à l'ennui si une passionnante équipe de chanteurs comédiens très investie n'était venue pimenter le tout.

C'est surtout vrai pour le rôle titre interprété par une déchaînée et tout à fait crédible en souverain macho, autoritaire, à l'érotisme débordant, aux prises avec un pouvoir et une virilité malmenés. Elle fait particulièrement sensation lorsqu'elle se met à déployer une étonnante et large palette de notes, passant facilement des notes aiguës pures et filées à des notes graves caverneuses avec un ébouriffant panache. La mezzo suédoise s'impose comme une évidence au rôle même si l'on peut déplorer son frustrant manque de projection notamment dans son air « Crude furie » qui même s'il remporte l'adhésion du public, manque d'éclat. Ce n'est pas le cas de son frère rival Arsamène, incarné par l'excellent contre-ténor (récemment entendu à Barcelone) au volume insolent (pourtant annoncé souffrant) au point de rivaliser un peu trop avec le rôle titre (dans lequel on l'imagine volontiers). Il incarne divinement un tendre et émouvant amoureux affligé, mais capable de grands éclats lorsqu'il se confronte à son frère Serse ou lorsqu'il fait montre de sa rageuse colère en imaginant que Romilda, , le trompe. Cette dernière, d'un niveau vocal très inégal, affiche une voix terne, voire ennuyeuse, agrémentée d'approximations mais capable d'offrir des cadences impressionnantes aux aiguës éclatants (un potentiel mal géré) qui se voit inexorablement éclipsée par sa sœur et rivale incarnée par la sémillante , qui réussi un véritable one woman show impayable notamment dans l'air qui clôt le premier acte « Un cenno leggiadretto ». Ce rôle de séductrice légère espiègle et intrigante lui sied à merveille, et lui permet de transcender un rôle en général négligé.

Dans le rôle de l'amante trahie, contrainte de se déguiser en homme pour comploter et ainsi se réapproprier les faveurs de son promis Serse, impose une forte personnalité et fait montre d'une passionnante détermination, se surpassant dans l'exécution d'impétueuses
vocalises jusqu'à nous faire oublier une voix qui laisse entrevoir un timbre en parti ingrat.

Enfin, Anton Scharinger s'acquitte passablement du rôle du naïf et bêta Ariodate, avec une voix certes encore de bonne tenue mais aux extrémités éteintes voire lacunaires lorsque l'extrême grave est sollicité. Ce n'est pas le cas d'Elviro, interprété par un luxueux dans un trop petit rôle (déjà entendu avec bonheur dans Alessandro), à la santé vocale insolente, il joue son rôle de messager intermédiaire avec une fougue ravageuse en se déguisant en un truculent vendeur de fleurs ambulant à l'accent si particulier.

L'opéra se termine par le traditionnel cœur de liete fine au tempo doux amer et justement choisi, repris au moment des applaudissements par le dynamique chef français dont la direction a été un exemple d'adéquation à la mise en scène, participant aux évènements, en prenant parfois quelques libertés fort appropriées (accélération et décélération du rythme ou soutien des pitreries vocales d'Elviro…). Un pur régal !

Crédit photographique : (Serse), (Atalanta) © Armin Bardel

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