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Ancien assistant d'Arthur Oldham, Georg Solti, Georges Prêtre et Seiji Ozawa, Stéphane Denève, 40 ans, est un de ces nombreux chefs français à faire carrière hors de France. Directeur du Royal Scottish National Orchestra depuis 2004, il vient de prendre les rennes de l'Orchestre de la SWR de Stuttgart.
« J'apprécie le plaisir de travailler en commun dans la bonne humeur et dans une entente cordiale. Une bienveillance que je n'ai malheureusement pas toujours trouvé en France. »
ResMusica : Pourquoi avoir choisi un orchestre allemand, sans doute pouviez -vous choisir entre plusieurs propositions après l'Écosse…? Connaissiez vous déjà le RSO de Stuttgart?
Stéphane Denève : J'ai en effet reçu quelques offres aux États-Unis et aussi d'autres pays d'Europe. J'ai bien réfléchi. Je ne voulais surtout pas me répéter après mon expérience, très positive, à la tête du Royal Scottish National Orchestra, orchestre avec lequel je poursuis encore une septième et dernière année. J'ai remplacé en 2009 Michel Plasson, souffrant, à l'orchestre de la Radio de Stuttgart, et ce fut un véritable coup de foudre, dans les deux sens. J'ai d'abord été réinvité immédiatement. Puis on m' en a proposé la direction musicale, que j'ai donc acceptée avec joie. C'est une nouvelle aventure, inédite pour moi: un son allemand, un temps de répétition généreux, tous les concerts sont enregistré et retransmis sur les ondes. Un style très différent donc du monde anglo-saxon où je viens de passer sept ans.
RM : Pourquoi si peu de prestations dans les pays francophones ?
SD : Je poursuis une carrière internationale depuis près de 15 ans, et c'est un grand bonheur pour moi de pouvoir diriger régulièrement des orchestres étrangers aussi merveilleux que ceux de Philadelphie, Boston, de la Radio Bavaroise ou encore de la Radio suédoise par exemple. J'y apprécie le plaisir de travailler en commun dans la bonne humeur et dans une entente cordiale. Une bienveillance que je n'ai malheureusement pas toujours trouvé en France. Je suis devenu directeur musical en Écosse, je dirige énormément aux États-Unis, j'ai donc de moins en moins de temps pour la France. On me fait des propositions., et je redirigerai certainement un jour un orchestre français, mais lorsque j'en sentirai le réel désir et surtout l'envie partagée, sans compromission ni stress !
RM : François-Xavier Roth va diriger l'autre orchestre de la SWR. Comment pensez-vous vous positionner en terme de répertoire ?
SD : Il y a trois orchestres symphoniques de Radio dans le région du Bade Würtemberg, un grand luxe, et tous trois avec un nouveau chef pour débuter la saison : Baden-Baden / Freiburg dirigé par François- Xavier Roth, Saarbrücken / Kaiserslautern dirigé par l'anglais Karel-Mark Chichon et moi à Stuttgart. Chaque orchestre a sa spécificité, sa propre mission, son propre public et donc il n'y a pas vraiment de risque de « clash » en terme de repertoire. Ce n'est pas la même situation que les deux orchestres de Radio France à Paris, ici dans le Bade Württemberg, il n'y a aucune concurrence et de ce fait, pas nécessité de programmation commune.
RM : Prêtre chef d'honneur à Stuttgart, Denève ancien assistant de Prêtre : dans les traces du maître ?
SD : Oui, j'aime beaucoup Georges Prêtre. J'apprécie particulièrement son tempérament musical et j'ai beaucoup appris de son phrasé inventif, si libre et si lyrique. J'ai aussi un goût immodéré pour Poulenc, comme lui.
RM : Votre répertoire discographique est très orienté musique française. Comment voyez-vous votre approche sonore de l'orchestre, allez- vous chercher à obtenir un son « français » ou voulez-vous vous adapter à l'orchestre ?
SD : Actuellement, l'on juge trop souvent les chefs d'orchestre, surtout la jeune génération, d'une seule manière : un jeune chef doit être « brillant », « énergique », « dynamique », quelque soit l'orchestre ou le répertoire. Ce n'est pas ma pensée. Je suis plutôt fasciné par la notion de style. Je crois qu'il faut s'adapter non pas à l'orchestre, mais au style de chaque compositeur et y chercher les couleurs, le phrasé, l'émotion idiomatiques ! Le répertoire français offre des couleurs subtiles, des textures transparentes…J'aime bien m'attarder sur les détails harmoniques et j'étudie beaucoup les œuvres au piano pour cela. Cela dit, j'entends trop souvent des clichés concernant la musique française qui ne saurait être que claire, légère, presque superficielle….Mais la musique française présente bien d'autres facettes: malgré son aspect souvent visuel, elle peut aussi être très ambiguë, profonde, voire philosophique ! Vraiment, pour moi, un orchestre moderne en 2011 est un orchestre qui respecte l'idée stylistique du compositeur, et rien d'autre.
RM : De grandes personnalités, souvent très éloignées, ont été directeurs musicaux de cet orchestre. Comment voyez vous votre mandat à venir ?
SD : L'orchestre SWR Stuttgart est un orchestre très ouvert et très engagé sur le plan de la sonorité. Je m'explique : L'orchestre, de par ses différents chefs précédents, Celibidache, Marriner, Prêtre, Norrington a su accepter les extrêmes stylistiques, je peux même dire parfois les excentricités. Pour moi, aujourd'hui, c'est merveilleux de diriger un orchestre si flexible, d'un esprit si curieux et libre. J'ai de surcroits une liberté totale de programmation et je peux donc utiliser cet orchestre comme un laboratoire de musique symphonique. C'est comme si je devenais chercheur à l'université. C'est un sentiment extraordinaire. A la fin de chaque répétition, l'ingénieur du son qui enregistre chaque séance me remet un CD de l'enregistrement, un excellent moyen de se corriger pour la répétition suivante! Je bénéficie également de quatre jours de répétitions pour chaque programme, ce qui est bien plus que dans de nombreux autres orchestres, un luxe inconnu aux états-unis ou encore plus à Londres, où lorsque je dirige le Philharmonia je n'ai que 2 répétitions au maximum !
RM : Votre prédécesseur, Sir Roger Norrington faisait systématiquement jouer sans vibrato. Comment gérer un tel héritage ?
SD : L'orchestre a travaillé et joué durant l'ère Norrington principalement sans vibrato, c'est en effet la célèbre marotte de mon prédécesseur….Pour dire vrai, je ne suis pas tout-à-fait en accord avec cette thèse très extrémiste, mais grâce à cela en tout cas, les musiciens ont désormais une intonation quasi-parfaite, ce qui est très positif! Et cela me permet maintenant d'utiliser, je l'espère à bon escient, une grande variété de vibratos, donc une plus large palette de couleurs, ce qui est passionnant.
RM : Quels sont vos projets avec l'orchestre allemand et quel est la durée de votre contrat?
SD : Je suis très heureux de pouvoir commencer une intégrale Ravel en CD, et aussi d'enregistrer du Poulenc au cours des trois ans à venir qui me lient à cet orchestre.