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Si Mahler commençait à s’imposer durablement dans les années 1970. La décennie 1980 fut celle de l’hyperinflation avec une multiplication […]
Si Mahler commençait à s'imposer durablement dans les années 1970. La décennie 1980 fut celle de l'hyperinflation avec une multiplication des enregistrements. Cette fascination pour le compositeur ne fit que s'amplifier et les disques, même en temps de crise de la musique enregistrée, continuent de se multiplier ! La deuxième partie de cette analyse passe au crible les étapes de cette croissance exponentielle.
L'hyperinflation des intégrales
Entre 1980 et 1995, le marché du disque classique, porté par le disque compact, était en pleine croissance alors que les acheteurs voulaient la dernière version en DDD. Pour répondre à cette demande, les firmes, multiplièrent les intégrales : Lorin Maazel (Sony), Seiji Ozawa (Philips), Bernard Haitink II (Philips), Giuseppe Sinopoli et Claudio Abbado (DGG), Eliahu Inbal (Denon), Gary Bertini et Klaus Tennstedt (EMI), Leif Segerstam (Chandos), Edo De Waart, Pierre Boulez (DGG); Michael Gielen (Haenssler), Riccardo Chailly (Decca), Simon Rattle (EMI), Evgueni Svetlanov (Warner) ou le modeste Emil Tabakov (Capriccio).
Du côté de l'interprétation, ce fut aussi un tournant marqué par deux extrêmes : Inbal et Tennstedt ! L'intégrale d'Eliahu Inbal avec l'orchestre de la radio de Francfort, destinée à mettre en avant la qualité des prises de son Denon, fut la première à caractériser le ralentissement généralisé des tempi pour laisser place à des interprétations policées et qui visaient l'équilibre des pupitres. Face à ce Mahler de démonstration, celui de Klaus Tennstedt, forcément plus vécu et plus tourmenté, explosait les contrastes, et semblait directement tiré de la Sécession viennoise.
De tous ces pavés discographiques, on peut oublier Tabakov lâché par son modeste orchestre de Sofia. Quant à Inbal, il peine à passionner, trop neutre et avec un orchestre assez limité (cuivres !), on peut avancer les même arguments pour qualifier la somme de Bertini, à l'exception d'une Symphonie n°8 à thésauriser. Reprenant la posture du Mahler analytique d'Inbal, Lorin Maazel pouvait compter sur la Philharmonie de Vienne. Projet de prestige pour CBS, cette première intégrale complète des Wiener Philharmoniker, captée entre 1983 et 1992, vaut pour la splendeur technique de l'orchestre ! Maazel fait du Maazel, c'est à dire que sa direction est brillante et tirée au cordeau et les moindres équilibres instrumentaux sont dosés au millimètre et les dynamiques explosent le matériau orchestral. Mais ce scanner symphonique se fait au détriment de la narration avec des tempi très très lents ! Relativement populaire aux USA et en Grande-Bretagne, cette somme technophile a toujours été dénigrée dans les pays francophones.
Le solide Néerlandais Edo De Waart, avec l'orchestre philharmonique des Pays-Bas capté au Concertgegouw d'Amsterdam, est à redécouvrir surtout pour ses Symphonies n°1 à n°4. Elles allient fraîcheur, naturel et énergie tandis que l'orchestre s'avère techniquement superlatif. Leif Segerstam, à la tête de l'Orchestre d'Etat du Danemark, est assez horripilant avec des choix étranges avec des tempi aux limites de la rupture. C'est certes peu recommandable mais c'est une belle leçon de direction sur la manière d'animer un discours de manière ultra-lente. Le cas de l'intégrale Rattle a été évoqué dans nos colonnes, bonne version globale de dernière marche du podium même si la comparaison entre les philharmonies de Vienne et de Berlin est sévère pour le modeste orchestre de Birmingham, cher aux débuts du musicien.
Bénéficiant du Concertgebouw d'Amsterdam pour son intégrale (seule la Symphonie n°10 est gravée par l'orchestre DSO-Berlin), l'Italien Riccardo Chailly avait tous les atouts pour marquer son époque. Mais ce dernier, extraordinaire dans les Symphonies n°1, n°5 et n°9, est moins percutant dans le reste de ces fresques. Mise en berne par Philips, la seconde somme de Bernard Haitink, avec la Philharmonie de Berlin, se serait largement imposée comme une grande référence. On peut tout de même se régaler des volumes édités : les Symphonies n°1 à n°7. Autre grand seigneur de l'orchestre : Claudio Abbado qui étala sa somme sur une quinzaine d'années avec les orchestres de Chicago, Berlin et Vienne, après avoir déjà gravé des disques mahlériens dans les années 1970 ! Le Milanais ne démérite pas : ses Symphonies n°1, n°3, n°9 sont magistrales ; le reste manquant un peu d'influx.
Les chefs compositeurs se sont mis également à fréquenter Mahler. Dans le cadre de son contrat discographique avec DGG, Pierre Boulez a pu laisser ses témoignages dans des symphoniques auxquelles le compositeur qu'il reste retrouvait des pistes, portes d'accès à l'école de Vienne à laquelle il est tant attaché ! Bien sur ses lectures sont « analytiques », c'est à dire centrées sur la logique des œuvres et sur l'orchestration. Très solide orchestralement, sans gros points noirs en dépit d'une distanciation du discours, la somme Boulez culmine dans des Symphonies n°1, n°3, n°4, n°5, n°6, n°8 et n°9. La rigueur de la battue du chef rencontre des orchestres (Cleveland, Vienne ou Chicago) réglés au millimètre et magnifiés par les prises de son DGG.
Encore plus haut, il faut placer l'intégrale de Michael Gielen, ami de Boulez et compositeur à ses heures perdues ! Haenssler a édité en coffret des captations radiophoniques de ce chef avec son orchestre de la SWR de Baden-Baden-Freiburg en Allemagne. Moins phonogénique que les phalanges historiques, la formation germanique, rompue aux musiques contemporaines les plus redoutables, fait crânement bloc. Quant au chef, il est, comme Boulez très radiographique, mais avec ce petit plus humain qui fait défaut au sage de Montbrison. Exemple : dans la Symphonie n°7, Gielen est plus expressionniste et sardonique alors que Boulez se limite à ciseler les pupitres de son orchestre.
Du côté des lectures inclassables, il faut ranger les intégrales de Giuseppe Sinopoli (DGG) et d'Evgueni Svetlanov (Warner). Accueillie avec fraicheur (c'est peu dire !) lors de sa parution, la somme laissée par le chef italien à la tête du Philharmonia est à redécouvrir d'urgence. Sinopoli impose une analyse minutieuse des partitions alliée à un creusement des intentions qui, sans être purement émotionnel, affirme un Mahler très « fin de siècle » à la fois angoissé, torturé, orgiaque et explosif. La Symphonie n°6, lente, étouffante et cauchemardesque est véritablement unique dans la discographie. Certes, il y a des points très faibles à l'image d'une Symphonie n°4 complètement ratée, mais cette intégrale mérite d'être revalorisée.
Venu assez tard à Mahler, Evgeny Svetlanov avait marqué les esprits par des concerts hors normes (on pense à une Symphonie n°7, donnée en 2000, avec l'Orchestre national de France), mais à la tête de son orchestre d'Etat de Russie, le bouillant chef est trahi par un orchestre immature dans ce répertoire et des forces chorales à la dérive. La Symphonie n°8 est certainement la pire de la discographie, massacrée par des chanteurs en décrochage et linguistiquement égarés. De cette intégrale, enregistrée trop tard dans la carrière du chef, on ne retient que des Symphonies n°5, n°7 et n°9.
Enfin, dernière curiosité éditoriale, l'intégrale bicéphale que le label Naxos confia aux chefs Antoni Wit et Michael Halász à la tête des orchestres de la radio de Pologne et de Varsovie. Ce solide travail, assez paysan, débouche sur un Mahler des campagnes, bourru et avec de la paille aux sabots, mais les Symphonies n°1 à n°4 sont très belles.
Mahler sous toutes les latitudes
Quel est le point commun entre les orchestres de : Zagreb, Melbourne, Saint-Louis, Liverpool, Kassel, Cincinnati, Brooklyn, Houston, Aix-la-Chapelle, Pecs, Osaka, Brunswick, Nagoya, Ljubljana, Chemnitz, Brême, Karlsruhe, Sydney, Arnhem, Uppsala, Winnipeg, Duisbourg, Hong Kong et Atlanta ? La réponse est : ils ont tous enregistré une symphonie de Mahler ! L'incroyable expansion du disque classique, l'affirmation des labels autoproduits sans oublier la hausse considérable du niveau mondial des orchestres amènent de nombreuses phalanges, parfois même occasionnelles, à affronter, au disque, ces monuments. Certes, la plupart de ces galettes sont destinées au marché local et à satisfaire l'égo du chef et celui des mécènes de l'orchestre. Mais elles montrent que Mahler fait désormais partie de la culture orchestrale de base et l'on ne sera pas surpris d'entendre des orchestres comme ceux de Melbourne, Cincinnati ou Atlanta surclasser techniquement les performances d'orchestres plus prestigieux captés dans les années 1950-1960.
Cette discographie parallèle, à l'ombre des grandes formations, atteint parfois des sommets avec quelques disques majeurs à l'image d'une superbe Symphonie n°3 de Jésus Lopez-Cobos à Cincinnati (Telarc), ou d'une magistrale Symphonie n°4 de Yoel Levi (Telarc) à Atlanta, lecture orchestralement exemplaire dans ses dosages des nuances. En Europe, le valeureux orchestre allemand de la radio de la Sarre donne une lecture enflammée de la Symphonie n°6 sous la baguette de Günther Herbig (Berlin Classics).
Mahlériens occasionnels
D'un autre côté, certains chefs, même célèbres participèrent de manière épisodique et minoritaire à cet afflux de disques. C'est le cas de Sir Colin Davis, brillant dans la Symphonie n°4 (RCA) mais décevant dans la gigantesque Symphonie n°8. On n'associe pas forcément le nom de Sir Charles Mackerras à Mahler, pourtant sa connaissance des musiques d'Europe centrale, en fait philologiquement un interprète brillant et intelligent. Il laisse de belles gravures des Symphonies n°1 et n°5 avec l'Orchestre de Liverpool et un beau live de la Symphonie n°4 avec le Philharmonia (Signum). Autre Mahlérien occasionnel : Daniel Baremboim. Ce musicien, qui fut sans doute l'un des plus actifs au disque, reste fort timoré dans ses approches mahlériennes. Mais ses deux tentatives (Symphonies n°7 et n°9) furent d'immenses réussites. Kurt Sanderling laisse des versions passionnantes et très personnelles des Symphonies n°9 et n°10 avec l'orchestre symphonique de Berlin (Berlin Classics) et avec le Philharmonia (uniquement Symphonie n°9 pour Warner). D'autres chefs ont tenté d'approcher l'univers mahlérien, parfois avec ténacité : c'est le cas du vénérable Kurt Masur qui lors de son passage à la philharmonie de New York ne pouvait pas éviter d'affronter son prédécesseur à ce poste. Ses Symphonies n°1 et n°9 ne sont jamais entrées dans l'Histoire se perdant dans la masse des disques compacts des années 1990. Chez les plus jeunes, Kent Nagano a gravé les Symphonies n°3 et n°8, avec des résultats mitigées : la Symphonie n°3 (Warner) se traine sans idées tandis que la Symphonie n°8 (Harmonia Mundi) est l'une des plus belles versions récentes. Quant aux disques de Vladimir Ashkenazy (Decca ou Exton), Daniele Gatti (Conifer), Christophe Eschenbach (Ondine) ou Christoph von Dohnanyi (Decca), ils s'avèrent bien décevants et creux à la ré-audition.
Mahler chez les francophones
Les orchestres des pays francophones restèrent assez à la marge du mouvement mahlérien. On dénombre certes quelques enregistrements, mais ce n'est rien si l'on compare avec la mahlérophilie des orchestres londoniens, tous multi-intégralistes !
En France, l'œuvre de Mahler resta marginale au programme des concerts jusqu'à la fin des années 1950. Au début de XXe siècle, quelques partitions furent présentées au public parisien, mais, dans un contexte anti-allemand, et parfois savatées par des orchestres indignes, elles restaient à la marge des programmes. Dans l'Entre-deux-guerres, seules les Symphonies n°1 et n°4 apparaissaient de temps à autre. En 1955, Bruno Walter était au pupitre de l'orchestre de la RTF pour une Symphonie n°4 (Thara). En 1958, l'orchestre national de la RTF put jouer, à deux reprises la Symphonie n°2, sous la direction de Carl Schuricht et de Leonard Bernstein (Radio-France). Herman Scherchen (Symphonie n°5 éditée par Harmonia Mundi), Jascha Horenstein (Symphonie n°9 éditée par Montaigne) ou Igor Markevitch (Symphonie n°1 éditée par Montaigne) virent contribuer à la reconnaissance parisienne de Mahler. En 1971, le grand chef français Jean Martinon dirigea une Symphonie n°3 de haute mémoire qui vient d'être éditée chez Cascavelle. Dans les années 1990, Naïve publia deux bandes de concert où l'Orchestre national de France était dirigé par Bernard Haitink (Symphonie n°5 et Symphonie n°6). En prélude à son mandat de directeur musical, Danielle Gatti programma la Symphonie n°6 qui fut éditée en téléchargement par Decca. En studio, Lorin Maazel grava, en 1979, une Symphonie n°1 (CBS) complètement oubliée. Cependant, cette riche discographie, essentiellement radiophonique, ne fait pas de l'ONF un grand orchestre mahlérien, même dirigé par des chefs comme Walter ou Haitink. Curieusement, les autres orchestres parisiens n'ont pas laissé de gravures mahlériennes alors qu'ils ne passent pas une saison sans offrir plusieurs symphonies au public.
C'est donc en province qu'il faut chercher le mahlérien français le plus solide : Jean-Claude Casadesus. Ce dernier laisse pour Forlane, à la tête de son orchestre de Lille, d'honnêtes lectures d'une poignée de symphonies (n°1, n°4 et n°5). L'Orchestre national de Lyon à, quant à lui, gravé la Symphonie n°3, pour un label allemand distribué au Japon (Altus). À l'étranger, le brillant Bertrand de Billy s'est risqué dans la Symphonie n°8 au pupitre des forces de l'orchestre radio-symphonique de Vienne (Oehms). Sans démériter, cette gravure se perd dans le milieu de la discographie.
Du côté du Lac Léman, le mahlérien le plus sérieux fut Armin Jordan qui laissa de superbes gravures, fort personnelles, des Symphonies n°1 (Erato) et n°3 (Virgin) à la tête de son Orchestre de la Suisse Romande. Il existe également une Symphonie n°4, moins réussie alors qu'une Symphonie n°2, tirée d'une bande de concert, fut éditée chez Cascavelle.
En Belgique, l'orchestre de La Monnaie est la seule phalange locale à s'être vaillamment risquée dans cet univers symphonique : une Symphonie n°2 sous la baguette de Kasushi Ono (Warner) et une Tragique en DVD avec Hartmut Haenchen (ICA). Aux carrefours des Pays-Bas mahlériens, de la rigueur germanique et du sens latin des couleurs, les orchestres belges réussissent très bien Mahler.
De l'autre côté de l'Atlantique, nos amis canadiens sont des mahlériens timides. Le seul enregistrement mahlérien officiel de l'orchestre symphonique de Montréal est un récent Chant de la Terre (Sony) avec Kent Nagano. Les archivistes chercheront un live de la Symphonie n°1 gravé par Zubin Mehta, alors chef de l'OSM, pour l'inauguration, en 1963, de la salle Wilfrid–Pelletier de Montréal. L'autre phalange de Montréal, l'Orchestre Métropolitain, s'est aventuré dans la délicate Symphonie n°4 sous la baguette du surdoué Yannick Nézet-Seguin pour Atma.
La boutique des horreurs et des curiosités ?
Curieusement, certains chefs, en mal d'originalité, ont souhaité soumettre Mahler à un corset voulu comme authentique et philologique. Sir Roger Norrington, dans le cadre de ses relectures du répertoire avec l'orchestre de la radio de Stuttgart (Haenssler). L'optique est d'évacuer le vibrato ! C'est d'autant plus comique que, selon des témoignages de musiciens ayant joué avec Mahler, le chef-compositeur utilisait, plus que ses collègues, ce même vibrato…Il en résulte des disques citronnés, aigres et surtout creux…En résumé, la quadrature du cercle de l'imposture intellectuelle et de la médiocrité musicale ! Quant à Philippe Herreweghe, il s'est attaché à la Symphonie n°4 avec son Orchestre des Champs-Élysées (Outhere). Sa lecture est terne et linéaire. Si brillant chez Bruckner, le chef belge n'arrive pas à habiter cette partition limitée à un exercice de style réfrigérant.
Autre cas à part, l'homme d'affaire et chef d'orchestre Gilbert Kaplan. Ce dernier consacre une partie de sa fortune, via sa fondation, à l'étude de l'œuvre de Mahler. Il est d'ailleurs le propriétaire de l'édition manuscrite de la Symphonie n°2. Cette pièce est chère à son cœur et il s'est financé deux enregistrements avec, excusez du peu, le Symphonique de Londres (Conifer) et la Philharmonie de Vienne (DGG). C'est du travail propre sur lui, avec surtout à Vienne, une prise de son à réveiller les morts…
Made in Japan
Historiquement, le Japon peut se vanter d'une très ancienne tradition mahlérienne. Ainsi, la première gravure mondiale de la Symphonie n°4 est à mettre au crédit de Hidemaro Konoye et du Nouvel orchestre philharmonique de Tokyo (Denon). Depuis, la passion nippone ne s'est jamais démentie avec une profusion de labels locaux, souvent pirates, qui s'avèrent être de véritables documentalistes de l'art d'interpréter Mahler. En Europe, le mahlérien japonais le plus renommé est Seiji Ozawa, intégraliste lors de ses années à la tête de l'orchestre de Boston (Philips). Cette somme est venue trop tôt pour un chef bien plus pertinent en concert. Avec son orchestre du Saito Kinen, il re-gravé pour Sony une Symphonie n°2 et surtout une Symphonie n°9 de très haute volée. Il doit certainement exister des captations télévisées et radiophoniques qui rendront, un jour, grâce au talent du musicien dans ces symphonies.
Pour tout chef japonais, enregistrer Mahler est un passage essentiel ! On ne croise pas souvent leurs disques dans les bacs de nos disquaires mais : Hiroshi Wakasuki, Chihiro Hayashi, Ken-Ichiro Kobayashi, Michiyoshi et Hisayoshi Inoue, Taijiro Iimori, Eiji Oue, Yutaka Sado, Yoichi Udagawa, Norichika Imari ou Takashi Asahina se sont confrontés à ces monuments avec des orchestres locaux ou même des phalanges européennes prestigieuses comme celles de Dresde (avec Hiroshi Wakasuki pour Eterna) ou de Prague (avec Ken-Ichiro Kobayashi pour Exton). La totalité de ces galettes étant réservée aux mélomanes nippons, il est difficile de se faire une idée de la valeur de ces interprétations. Un autre axe japonais est de documenter des interprétations d'orchestres japonais dirigés par des mahlériens européens chevronnés : Gary Bertini, Eliahu Inbal ou le jeune Christian Arming pour les labels Exton ou Fontec.
Mahlériens des années 2000
Le choc de l'an 2000 n'a pas calmé les ardeurs des Mahlérien potentiels, pas franchement découragés par la crise du marché du disque ! Trois intégrales viennent d'être terminées : celles de Michael Tilson Thomas à San Francisco (Avie), David Zinman (RCA) et celle de Valery Gergiev (LSO Live). Les intégrales MTT et Zinman mettent clairement l'accent sur la prise de son avec des captations soignées à faire hurler les voisins ! Côté interprétation, David Zinman reprend le flambeau des Mahler dégraissés d'Inbal. Son orchestre de la Tonhalle de Zurich est techniquement irréprochable mais si les Symphonies n°1, n°2, n°4, n°5 et n°6 sont des réussites majeures, les autres pêchent par leur neutralité toute helvétique. Le manque d'impact est également le reproche à faire à Tilson Thomas à l'exception des Symphonies n°4, n°6 et n°8 Quant au sur-actif Gergiev, son intégrale est, comme on pouvait s'y attendre : inégale. De géniales lectures des Symphonies n°2, n°6, n°8 et n°9 côtoient un navet comme la Symphonie n°4, complètement ratée ! Chef d'orchestre du la philharmonie tchèque de 2003 à 2008, le solide Zdenek Macal eut la chance de pouvoir enregistrer une quasi-intégrale (il manque encore la Symphonie n°8) pour les japonais hifistes de Exton. Hélas, en dépit d'un orchestre plastiquement magistral, le chef se limite à animer un vaste concerto pour orchestre rectiligne !
D'autres intégrales sont en cours : Jonathan Nott à Bamberg (Tudor), Markus Stenz à Cologne (Oehms) ou Manfred Honeck à Pittsburgh (Exton). Si Jonathan Nott semble amorphe en dépit de l'esthétisme de son orchestre, Manfred Honeck casse la baraque dans les trois premiers volumes de cette intégrale (Symphonies n°1, n°3 et n°4). Enfin, d'autres grands chefs actuels boucleront, sans aucuns doutes, le tour des symphonies. Considéré comme le plus grand chef vivant Marris Jansons a enregistré, à la tête de ses deux orchestres d'Amsterdam et de la radio bavaroise, des gravures des Symphonies n°1, n°2, n°3, n°6 et n°7 (BR Classics et RCO). Quant à Ivan Fischer et ses troupes du Festival de Budapest, il a affronté discographiquement les Symphonies n°2, n°4 et n°6 avec un beau brio. Enfin, pour terminer, il faut s'attarder sur des récidivistes : Claudio Abbado et Simon Rattle. Au pupitre de ses musiciens du Festival de Lucerne, Abbado est en passe de boucler une nouvelle intégrale (en DVD pour Euroarts). Il peut compter sur une formation d'élite composée d'un aéropage d'exceptionnels musiciens ! Quant à Rattle, avec ses Berlinois, il a déjà remis sur le métier les Symphonies n°2 et n°9, bases certaines d'un nouveau tour de piste intégral. Esa-Pekka Salonen, à l'amorce des 50 ans a pris une dimension, réussissant l'une des plus belles Symphonies n°9 du catalogue (Signum) alors que ses premiers essais avec l'orchestre de Los Angeles (Sony) étaient décevants. Ami de Salonen, Jukka Pekka Saraste, a récemment publié deux belles lectures des Symphonies n°6 (philharmonie d'Oslo pour Simax) et Symphonie n°9 (orchestre de la WDR de Cologne-Profil).
Même la jeune génération n'est pas en reste ! Directeur musical de l'Orchestre philharmonique de New York, le brillant Alan Gilbert a déjà gravé les Symphonies n°1, n°3, n°5, n°6 et n°9 (cette dernière avec le philharmonique de Stockholm pour Bis), ses autres témoignages captés live et vendus uniquement en téléchargement, valent surtout pour une superbe Symphonie n°3 et une belle Symphonie n°5. Chef russe qui n'a peur de rien, Vladimir Jurowski vient de publier une lecture radicale de la Symphonie n°2 (LPO). Les choix tranchés du musicien, qui impose un Mahler très sec et ultra-maigre, n'ont pas fait l'unanimité mais ils ont le mérite de l'originalité. Virtuose de la baguette, Daniel Harding a magistralement réussi sa Symphonie n°10 avec la philharmonie de Vienne (DGG). Cette lecture ensorcelée d'un musicien éminemment cultivé fait oublier un médiocre premier essai : une Symphonie n°4 pour Virgin. Prodige des podiums, Gustavo Dudamel emporte avec panache et fougue des Symphonies n°1 (avec son Los Angeles Philharmonic-DGG) et Symphonie n°5 avec des jeunes de l'orchestre Simon Bolivar. Moins gâtés par la médiatisation, de jeunes baguettes comme celles du Néerlandais Jan Willem de Vriend (Challenge), de l'Autrichien Christian Arming (Gramola) ou du Colombien Andrés Orozco-Estrada (Preiser) se sont confrontés aux Symphonie n°1 ou n°5.
Enfin, on ne peut terminer cette étude mahlérienne des années 2000 sans évoquer la profusion de labels auto-produits qui visent à documenter le directeur musical actuel ou à explorer les archives. Ainsi, le London Philharmonic, via son label LPO, édite des lectures récentes avec Vladimir Jurowski (Symphonie n°2) ou Jaap van Zweden (Symphonie n°5), mais multiplie également les parutions historiques avec Klaus Tennstedt (Symphonies n°1, n°2, n°5 et n°8). Le même Tennstedt est à l'honneur des parutions du label ICA, spécialisé dans l'exploitation des bandes radios (Symphonies n°3 et n°5). Le mahlérien archiviste le plus maniaque de quoi en perdre son latin !
En conclusion de cette analyse, il faut rendre grâce à Mahler de permettre deux illustrations de notre vie musicale des années 2000-2010 : le niveau des orchestre ne cesse d'augmenter de par le monde, mais surtout, la musique classique se mondialise. La multiplication des enregistrements mahlériens, sous toutes les latitudes, en est la plus belle affirmation. Enfin, la multiplicité des approches rend le message de Mahler encore et toujours plus passionnant. On peut aussi tordre le coup à cette idée si répandue dans le milieu des mélomanes : c'était mieux avant ! En effet, rien que depuis l'an 2000 des chefs comme David Zinman, Valery Gergiev, Mariss Jansons, Simon Rattle ou Alan Gilbert montrent que la musique de Mahler peut être idéalement servie par des interprètes inspirés.
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Si Mahler commençait à s’imposer durablement dans les années 1970. La décennie 1980 fut celle de l’hyperinflation avec une multiplication […]