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Vadim Gluzman est l'un des violonistes les plus exceptionnels de la scène actuelle ! Un virtuose hors du commun, mais aussi un formidable défricheur de partitions rares qui ne se contente pas de rabâcher les mêmes tubes ! Si Bruch et Tchaïkovski figurent à sa discographie, l'artiste enregistre aussi : Bernstein, Gubaildulina, ou Dvarionas. Ce chambriste émérite est aussi un passionné par l'enseignement. ResMusica rencontre ce musicien majeur.
ResMusica : Comment avez-vous choisi le violon ?
Vadim Gluzman : Je ne pense pas que j'ai choisi le violon ! C'est le résultat d'un événement lors de mon enfance. Alors que j'avais six ans, j'ai auditionné à l'école de musique Darzina à Riga, en Lettonie. Après avoir chanté une chanson et tapé différents rythmes, le jury a regardé mes mains. Etant enfant, je pensais qu'ils voulaient vérifier la propreté de mes ongles ! En réalité, ils ont examiné la structure de la paume de ma main et ont déclaré qu'elle présentait les caractéristiques parfaites pour apprendre le violon ! Aujourd'hui, je sais qu'ils ont eu raison et je leur en suis très reconnaissant !
RM : Vous avez étudié avec Zakar Bron. Pouvez-vous nous parler de ce professeur ?
VG : J'ai eu la grande chance de travailler avec plusieurs excellents professeurs pendant mes années d'études :- Dorothy DeLay, Yair Kless, Arkady Fomin, et bien sur Zakhar Bron.
Etudier à Novossibirsk avec lui, c'était baigner dans une atmosphère presque enivrante parmi tant d'autres talents incroyables comme Vadim Repin, Maxim Vengerov, Natalia Prischepenko. On peut citer beaucoup de caractéristiques qui font de Zakhar Bron un professeur exceptionnel. En premier lieu, il y a son incroyable connaissance et sa compréhension de l'instrument. Il me faut également parler de ses intuitions, de sa vision, et de sa capacité à allier critique et inspiration chez ses élèves. Enfin, il sait trouver, chez tous ses élèves, la clé pour développer leurs talents. Cette addition de compétences fait qu'il est pour moi un enseignant absolument génial.
RM : Dans votre discographie, il y a des tubes mais aussi des raretés. Comment choisissez-vous vos programmes ?
VG : Je base mes programmes sur un principe simple : jouer de la musique dans laquelle je me sens totalement à mon aise ! Naturellement, il y a des concertos incontournables comme ceux de Bruch, Glazounov et Tchaïkovski que chaque violoniste rêve d'enregistrer. J'ai la chance de jouer sur un Stradivarius extraordinaire. Il m'a été prêté par la Stradivari Society de Chicago et il a appartenu au légendaire Leopold Auer. C'est pour lui qu'ont été écrits les concertos de Tchaïkovski et Glazounov. Cela ajoute une dimension supplémentaire pour expliquer pourquoi, j'ai programmé ces œuvres au disque.
Dans le même temps il y a beaucoup de partitions moins exécutées qui doivent être entendues par le public le plus large. À mon avis la Sérénade de Bernstein est l'un des concertos pour violon les plus réussis du XXe siècle. Elle regroupe toutes les grandes qualités du Bernstein compositeur : profondeur de l'émotion, incroyable don mélodique et le sens de la structure sans oublier la joie absolue et exaltante ! Quant aux concertos de Korngold et Dvarionas, presque contemporains, il s'agit de deux partitions de compositeurs européens que les hasards ont situés de part et d'autre du Rideau de fer ! Composées dans des univers économiques, culturels, sociétaux, intégralement différents, ces deux pièces m'apparaissent assez proches stylistiquement par leur optimisme contagieux et un merveilleux lyrisme sincère.
Enfin, je dois ajouter que le label Bis pour lequel j'enregistre depuis presque 10 ans est un partenaire fiable et toujours positif envers mes idées de programmes dont ils ont toujours assuré les risques ! Je leur en suis très reconnaissant. Nous avons un vieux dicton en russe : « qui ne prend pas de risques, ne boit pas de champagne ».
RM : Comment avez-vous découvert le Concerto de Balys Dvarionas ?
VG : Ayant grandi à Riga, en Lettonie, je suis tombé, à plusieurs reprises, sur le Concerto de Dvarionas. Bien que ne l'ayant jamais jouée, j'ai toujours aimé cette œuvre. Lors d'une réflexion avec Neeme Järvi, qui est connu pour être un grand défenseur de la musique de la région de la Baltique, sur le couplage d'un enregistrement du Concerto de Korngold, nous avons opté pour cette œuvre. Je suis très heureux que grâce à nos efforts autour de ce concerto nous pourrons en donner, en 2012, la création britannique avec l'orchestre de la BBC.
RM : Quels sont vos projets de disques ?
VG : Toujours avec Bis, nous avons un certain nombre de projets. En mars 2011, j'ai enregistré, avec l'Orchestre de Lucerne et Jonathan Nott, le Concerto n°2 «In tempus praesens » de Gubaidulina « ». Nous l'avons enregistré à partir de deux concerts dans la salle du KKL. Le processus qui m'a conduit de ma découverte de l'œuvre à ces concerts, a été l'un des plus enrichissants de ma vie. Mon prochain disque en solo sera consacré à Bach, Ysaÿe et à la Par.Ti.Ta de Lera Auerbach qui a été écrite pour moi. Enfin, je dois encore enregistrer le concerto Offertorium, toujours de Sofia Gubaidulina. Travailler avec cette femme et compositrice extraordinaire s'est avéré un moment hors du commun.
« La Sérénade de Bernstein est l'un des concertos pour violon les plus réussis du XXe siècle »
RM : Vous êtes né en Ukraine à l'époque de l'URSS, vous vivez en Israël et vous avez enregistré Bernstein et Barber avec un orchestre du Brésil! L'idée de l'école nationale pour le violon (russe école, l'école franco-belge) a encore un sens dans ce siècle?
VG : Je ne pense pas aujourd'hui qu'il soit légitime désormais de parler d'écoles nationales instrumentales. Grâce à la technologie d'aujourd'hui et à l'ouverture des frontières nous avons assisté à une intégration considérable des cultures et des traditions en général, ainsi que des «écoles» en particulier. Enfant en URSS, j'ai été éduqué dans la grande tradition russe, plus tard dans la vie j'ai été fortement influencé par l'école franco-belge ainsi que par des artistes comme Isaac Stern et Pinchas Zukerman. Dans mon cas, il est impossible de me classer à l'une de ces écoles. Je ne pense pas que j'ai me place quelque part, mais il y a des éléments dans mon jeu et dans ma manière de faire de la musique qui, je crois, sont typiques de beaucoup de traditions différentes.
Le monde d'aujourd'hui est un melting-pot de cultures et traditions et il est incroyablement excitant d'en être une partie !
RM : Quel type de son recherchez-vous ?
VG : J'ai grandi en écoutant les enregistrements de la génération d'or des violonistes (Oïstrakh, Szeryng, Milstein, Heifetz) et naturellement mon idée de l'idéal d'un son est en grande partie basée sur ces témoignages. Le son est la substance la plus impossible à décrire, mais je peux dire que je cherche toujours une voix individuelle, pour ce «timbre d'un artiste». La beauté est quelque chose d'insaisissable et elle est en constante évolution. Pour chaque artiste, cela évolue au fil des prestations et des moments de notre vie. Je pense que chaque nouvelle impression (que l'on rencontre à travers des œuvres d'art, un beau paysage ou même une simple fleur) est finalement projetée dans nos sons. Tout cela forme notre individualité.
RM : Vous jouez le Stradivarius « Léopold Auer ». Pouvez-vous nous présenter cet instrument et votre histoire avec ce violon très particulier?
VG : Je joue sur ce violon depuis mes 15 ans et maintenant je ne peux pas imaginer jouer sans lui. « Le « Auer-» est devenu une partie de ce je suis comme musicien, violoniste et comme personne : il est ma voix ! Je crois que les musiciens sont en symbiose avec leurs instruments. Avoir ce violon entre les mains a influencé mon jeu, mon son et même mon tempérament était dans une grande manière influencé par ce violon.
Penser que les élèves de Auer comme Heifetz, Milstein, Elman et Zimbalist ont également été en contact avec ce violon est une source d'inspiration. Enfin, avoir à l'esprit que les concertos de Glazounov et Tchaïkovski, et même les traits solistes des ballets de Tchaïkovski ont été écrits pour cet instrument, témoigne de l'exceptionnelle longévité et de la continuité de notre art.
RM : Vous enseignez à Keshet Eilon en Israël avec des cours axés uniquement sur le violon? Pouvez-vous nous expliquer ce projet?
VG : Keshet Eilon dispense des classes de maître, dans un endroit exceptionnel situé dans les collines de la Galilée occidentale. Cet endroit est particulièrement lié à ma vie et à mes souvenirs. En 1990, deux mois après mon arrivée en Israël, je m'y suis retrouvé comme étudiant. Outre le violon, j'y ai également parlé mes premiers mots d'hébreu et d'anglais. Plusieurs années plus tard, j'y suis revenu en tant que professeur. Cela procure évidemment une sensation particulière de revenir dans un lieu si important dans ma vie.
Keshet Eilon attire l'équipe la plus extraordinaire des professeurs et des étudiants. Nous bénéficions ici d'une ambiance vraiment unique. Nos étudiants trouvent une incroyable source de vitalité et de soutien auprès de chaque professeur. L'atmosphère présente une saine camaraderie, plus dans une optique collégiale que dans un esprit concurrentiel. Les portes de toutes les salles de cours sont toujours ouvertes et nous encourageons nos étudiants à prendre des leçons auprès de tous les professeurs. Ainsi, nous envoyons régulièrement nos élèves vers nos confrères et amis afin qu'ils travaillent certains répertoires. Au fil des ans, Keshet Eilon est devenue une vraie capitale du violon et je tiens à y être présent chaque année.
Crédit photographique : © John Kringas
Le dernier disque de Vadim Gluzman :