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Paris. Opéra-Bastille, 8-IX-2011. Richard Strauss (1864-1949) : Salomé, drame lyrique en un acte sur un livret du compositeur d’après Oscar Wilde (traduction de Hedwig Lachmann). Mise en scène : André Engel ; Décors : Nicky Rieti ; Costumes : Elizabeth Neumüller ; Lumières : André Diot ; Chorégraphie : Françoise Gres ; Dramaturgie : Dominique Muller. Avec : Angela Denoke, Salomé ; Stig Andersen, Hérode ; Doris Soffel, Hérodias ; Juha Uusitalo, Jochanaan ; Stanislas de Barbeyrac, Narraboth ; Isabelle Druet, le page d’Herodias ; Dietmar Kerschbaum, 1er juif ; Eric Huchet, 2ème juif ; François Piolino, 3ème juif ; Andreas Jäggi, 4ème juif ; Antoine Garcin, 5ème juif ; Scott Wilde, 1er nazaréen ; Damien Pass, 2ème nazaréen ; Gregory Reinhart, 1er soldat ; Ugo Rabec, 2ème soldat ; Thomas Dear, le cappadocien ; Grzegorz Staskiewicz, un esclave. Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction : Pinchas Steinberg.
En choisissant la sulfureuse Salomé de Richard Strauss, l'Opéra Bastille aurait pu ouvrir sa saison sur un coup de tonnerre semblable à celui qui marqua les débuts de cette œuvre, aussi bien au théâtre qu'ensuite à l'opéra, immergeant le spectateur pour cent minutes de musique d'une rare densité, pleine de drame, de sang, de fureur, de séduction, d'érotisme, non dénué d'ironie, où l'ambigüité entre morbidité et sensualité est quasi permanente. Bref un spectacle pour adulte averti.
Mais voilà, en reprenant cette ancienne production due au metteur en scène français André Engel, notre Opéra National nous en a offert une vision totalement assagie, sans la moindre trace d'hémoglobine ni d'érotisme, comme si on avait voulu en faire un spectacle quasi familial et éviter toute censure, qui pourtant, sauf erreur de notre part, n'existe plus depuis longtemps. Le résultat n'était pas désagréable à regarder ni à entendre, mais quand même un peu frustrant car tout un pan de l'œuvre dont l'ambigüité évoquée plus haut, s'était franchement envolé par la même occasion.
Dès le lever de rideau dévoilant un décor moyen oriental subtilement éclairé aux couleurs chaudes agréables à l'œil, nous nous sommes dit que le spectacle serait sans doute confortable à suivre, et il le fut jusqu'à son terme. La lisibilité des situations et la caractérisation des personnages, bien aidée par d'excellents costumes, furent incontestablement un des points forts de cette production, tout comme la cohérence de conception, privilégiant la légèreté et la comédie au détriment du drame et de la tension. De ce point de vue, celui de la comédie, les scènes de disputes furent assez réussies, aussi bien celles entre les juifs que les quasis scènes de ménages entre Hérode et Hérodias. On en dira pas autant des scènes de séduction comme des scènes dramatiques qui nous laissèrent un peu plus sur notre faim, d'autant que le chef et son orchestre nous semblèrent eux aussi rester sur une sage réserve. La première scène de séduction entre Salomé et Jochanaan (troisième scène de l'œuvre) nous sembla trop paisible, totalement dénuée d'ambigüité, avec un Jochanaan tantôt impassible tantôt désinvolte (jetant ses chaussures au travers du plateau). Quant à la seconde, la fameuse Danse des sept voiles, acceptée par Salomé en échange de la promesse d'Hérode de lui accorder « tout ce qu'elle voudra », elle a tout simplement disparu. A une époque où les scénographies déshabillent volontiers leurs personnages parfois un peu gratuitement, on peut trouver surprenant de nous priver du plus célèbre strip-tease de toute l'histoire de l'opéra, car sur scène il ne se passa quasiment rien (ni dans la fosse il faut bien le reconnaitre), Salomé se contentant d'esquisser quelques mouvements à la lascivité bien timide et un court pas de deux avec Hérode. Or dans cette scène clé, Salomé doit respecter son engagement en mettant la barre tellement haut qu'Hérode ne puisse plus se renier. Après ce qu'on a vu, il devrait l'envoyer promener mais surement pas s'exclamer « C'est magnifique ! Merveilleux, merveilleux ! », sans parler d'une musique cette fois ci on ne peut plus explicite. Non, cette danse ne vaut pas la tête tranchée de Jochanaan, c'est trop disproportionné pour être crédible et c'est ici à notre sens la faute majeure de cette conception. Enfin on peut rester critique sur les deux morts violentes « en direct » (rappelons que Jochanaan est décapité hors champ), car le suicide de Narraboth aurait pu être mieux préparé, et l'exécution de Salomé (simplement égorgé sans une goute de sang par un soldat) n'est pas vraiment en phase avec la musique violente et précipitée de Strauss.
La distribution vocale, sans être historique, tient son rang. Le rôle de Salomé, difficile pour les cantatrices actrices du fait de la dualité femme enfant à faire passer dans la voix comme dans l'expression corporelle était tenu par Angela Denoke qui nous parut assez convaincante dans son jeu de scène, réussissant à conserver cette dualité jusqu'au bout et à en jouer efficacement (en faisant abstraction de la fameuse danse pour les raisons déjà évoquées). Et vocalement, après un début réservé, la voix se fit plus expressive, et si elle rencontra des difficultés ici ou là notamment dans les aigus, elle joua avec intelligence de ses capacités vocales pour incarner un personnage crédible. Néanmoins on doit reconnaitre qu'on a connu des incarnations plus pleines et scènes finales plus prenantes, mais le public salua chaleureusement la performance de la soprano allemande. Juha Uusitalo incarna un Jochanaan tout d'un bloc, à la voix peut-être pas assez menaçante dans ses prophéties, et, coquetterie du dispositif acoustique, mieux audible lorsqu'il chante au fond de son trou que lorsqu'il est sur scène. L'expérimentée Doris Soffel sut commencer doucement pour conserver toutes ses capacités expressives pour les moments cruciaux qui allaient venir, et qu'elle réussit brillamment. Le public le reconnut et ne fut pas avare d'applaudissements à son égard. Son compère Hérode interprété par Stig Andersen nous offrit une performance largement honorable comme tout le reste de la distribution avec ses nombreux et relativement courts rôles, dont on retiendra le Narraboth enamouré de Stanislas de Barbeyrac.
On avouera par contre une certaine déception devant la direction bien sage et sans tension de Pinchas Steinberg, qui au moins ne submerge pas les voix (piège classique de cet ouvrage), ne pousse pas l'orchestre en zone dangereuse (pourtant il faudrait), mais ne donne jamais le frisson, ni jamais ne fait réellement ressentir ici une menace, là un danger, ailleurs une colère, sans parler de sensualité, imperceptible ce soir. La richesse, la puissance, la fulgurance de l'orchestration straussienne n'étaient donc pas en vedette ce soir et finalement, en cohérence avec l'ensemble de cette production, la direction d'orchestre prenait sa part dans l'édulcoration de la Salomé de Strauss, pour en faire une œuvre presque tout public. Il n'est pas illégitime de penser qu'on frise ici le contresens. Ainsi on pourra recommander ce spectacle agréable, homogène et aux qualités réelles à tous ceux qui craignent d'être choqués par des mises en scènes extrêmes, par contre ceux qui cherchent un peu plus d'un peu de tout risquent fort d'être frustrés par ce trop gentil spectacle.
Crédit photographique : © Elisa Haberer
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Paris. Opéra-Bastille, 8-IX-2011. Richard Strauss (1864-1949) : Salomé, drame lyrique en un acte sur un livret du compositeur d’après Oscar Wilde (traduction de Hedwig Lachmann). Mise en scène : André Engel ; Décors : Nicky Rieti ; Costumes : Elizabeth Neumüller ; Lumières : André Diot ; Chorégraphie : Françoise Gres ; Dramaturgie : Dominique Muller. Avec : Angela Denoke, Salomé ; Stig Andersen, Hérode ; Doris Soffel, Hérodias ; Juha Uusitalo, Jochanaan ; Stanislas de Barbeyrac, Narraboth ; Isabelle Druet, le page d’Herodias ; Dietmar Kerschbaum, 1er juif ; Eric Huchet, 2ème juif ; François Piolino, 3ème juif ; Andreas Jäggi, 4ème juif ; Antoine Garcin, 5ème juif ; Scott Wilde, 1er nazaréen ; Damien Pass, 2ème nazaréen ; Gregory Reinhart, 1er soldat ; Ugo Rabec, 2ème soldat ; Thomas Dear, le cappadocien ; Grzegorz Staskiewicz, un esclave. Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction : Pinchas Steinberg.