Le chant de la terre : pour l’art de Jadwiga Rappé

Quelles sont les raisons de la publication tardive de ce concert donné à Katowice le 10 novembre 1989 ? Le Mur de Berlin était tombé la veille, mais l'atmosphère de ces moments historiques ne transparaît guère ici : le Chant de la terre n'a rien d'une tribune politique. D'ailleurs, vu la richesse de la discographie, on aura vite fait de reléguer au second plan cet enregistrement clair mais un peu étroit. Pourtant, si on aime cette œuvre, on aurait tort de se cantonner à quelques versions de référence.

Cette captation contient certes ça et là des imprécisions et des accidents, notamment plusieurs cafouillages d'un ténor héroïque, mais rugueux. Par ailleurs, à force de rechercher l'ampleur de tempo, le chef finit par annuler la tension du discours. Von der Jugend s'alourdit au fil des strophes, malgré une transition avant la reprise (« Auf des kleinen Teiches… ») très réussie dans son immobilité. Néanmoins, à d'autres moments, la lenteur permet d'impressionnants effets, et l'orchestre offre de réelles beautés. L'introduction et la conclusion de l'Abschied sont ainsi détaillées comme les adagios de certaines symphonies.

En fin de compte, c'est la prestation de l'alto Jadwiga Rappé qui fait le prix de cet album, puisqu'on ne connaissait pas de témoignage d'elle dans cette œuvre. Il ne se passe pas grand chose dans ce chant, dira-t-on. Mais quelle splendeur ! On entend rarement un timbre aussi velouté, une telle qualité d'émission, d'articulation et de phrasé. La sophistication est à chercher ailleurs, mais on trouvera ici une superbe performance, solidement entourée.