Lessons of Worthe selon Tomkins

Lessons of Worthe : ce titre (« leçons de valeur ») renvoie à la préface d'un recueil de manuscrits de Thomas Tomkins (1572-1656) conservé à la Bibliothèque Nationale de France.

Tomkins y liste (et commente) une sélection de pièces pour clavier, les siennes notamment, mais aussi de d'autres compositeurs anglais tels son quasi contemporain John Bull, leur professeur William Byrd, et même du maître de ce dernier, Thomas Tallis.

Bertrand Cuiller, qui s'est déjà illustré dans ce répertoire de virginalistes anglais (Pescodd Time, chez Alpha) a donc retenu dans ce programme quelques pièces de ces compositeurs en les groupant, comme le recommande Tomkins, par tonalités (ici, la, sol et ré) et les interprétant sur trois instruments : un petit clavecin italien réalisé par Philippe Humeau, une copie de Malcolm Rose d'après Lodewijk Theeuwes (1579) et un claviorganum (l'association rare d'un clavecin et d'un orgue positif). Autant la musique de Byrd et Bull est « courante » dans les récitals de clavecin au concert et au disque, autant celle des deux autres est une rareté, Tomkins et Tallis étant essentiellement connus pour leur musique vocale. Cette musique, souvent assez complexe, n'a pas la forcément la séduction immédiate du répertoire pour clavecin du XVIIIe siècle, elle est pourtant fort belle pour peu qu'on s'y attarde, qu'on y revienne.
Bertrand Cuiller a sélectionné des œuvres renvoyant à la danse (Pavan et Galliard de Bull, Byrd), mais aussi des pièces beaucoup plus développées où Tallis (Felix Namque) et Tomkins (Offertory) empruntent, dans le cadre de variations polyphoniques, au plain-chant sous la forme d'un cantus firmus. C'est également le cas de Bull dans son In Nomine. Le claveciniste fait preuve de qualités digitales impressionnantes, mais également d'un sens de la construction, de clarté, fluidité dans le discours qui sert admirablement cette musique. Le choix de jouer différents instruments rends par ailleurs l'expérience originale et passionnante, en particulier dans les trois dernières pièces interprétées sur le claviorganum. La belle prise de son d'Hugues Deschaux (ce n'est guère une surprise…) renforce l'intérêt de cet album, un des enregistrements marquants de clavecin de l'année 2011.