Éditos

Musique classique en France, crise à l’exportation ?

 

Différentes publications récentes nous amènent à nous interroger sur la place internationale de la scène musicale française classique. Dans sa newsletter spéciale «festivals 2011», nos confrères anglais de Gramophone établissent une liste de trente-deux festivals incontournables de l’été, pas un seul festival français n’y figure ! Il en va de même pour l’édition de mai 2011 de Lufthansa magazine et il en allait de même pour l’édition, de l’été 2010, du magazine suédois Opus 29 qui sur vingt-trois festivals majeurs de sa sélection 2010 ne recensait qu’une seule manifestation hexagonale (contre sept festivals allemands, deux suisses et même deux italiens), enfin le magazine allemand Crescendo (édition mai 2011) n’évoque qu’un seul disque d’un label français dans les quatre-vingts une pages de ce numéro. Certes, on pourra toujours épiloguer que les Anglais n’aiment pas les Français, que les Allemands sont excessivement chauvins et que les Suédois préfèrent les vins d’Italie à ceux de France. Il n’empêche en se basant sur quatre publications de trois pays et de types différents, il apparaît comme un malaise.

À propos des festivals, on ne peut être qu’être frappés par l’écart entre leur nombre sans cesse exponentiel et leur absence de présence internationale. Les raisons semblent doubles : d’un côté certaines grandes manifestations vivent leur «concept» comme une rente inaliénable et n’ont, au fil des ans, pas pensé à en modifier le contenu ; de l’autre côté combien de manifestations sont en fait que des clones les unes des autres avec les mêmes artistes à la mode programmés, dans les mêmes pièces, à travers la France. Le succès public est peut être au rendez-vous, mais à force de se répéter et de se regarder le nombril, n’en arrive-t-on pas à une situation sans issue et à terme dommageable pour la richesse de la scène actuelle ? 

Du côté du disque, le mois de mai a été marqué par la publication du chiffre d’affaire du disque classique. Il est en baisse sérieuse sur un an (moins 22% !) selon les derniers chiffres du SNEP alors que la part de marché du disque classique est encore et toujours en chute libre (7, 1% désormais). Face à cette diminution, les attitudes sont multiples : la structure franco-belge Outhere se lance dans le management artistique alors qu’Harmonia Mundi et Naïve mutualisent leurs forces de vente et la gestion de leurs stocks. Pour ces deux labels français, il semble qu’il s’agit de la première étape avant fusion. D’un autre côté, on ne cesse d’être submergés de nouveautés de labels plus ou moins établis ou plus ou moins récents. Les données sont simples : la multiplication des parutions, souvent au détriment, de la logique éditoriale, au sein parfois des mêmes structures (on pense à Outhere et ses nombreux labels) se heurte à une disparition des réseaux de distributions traditionnels. Cela fait longtemps que la FNAC ou le Virgin ont sabordé leurs rayons classiques alors que le réseau des boutiques Harmonia Mundi s’est sévèrement restructuré. Il n’a jamais été aussi difficile de mettre des disques en face de clients potentiels. Des labels tentent bien d’appliquer des remèdes venus de la variété : plans communication, contrats à droits multiples, synchronisations avec l’audio-visuel. Cependant, cela ressemble plus à des roues de secours d’urgence qu’à une vision réfléchie à long terme ! Qui plus est, les succès potentiels risquent de ne concerner qu’une infime partie des artistes classiques (un récent article du Monde [1] parle de la satisfaction d’EMI d’avoir fourgué un extrait du Lac de Cygnes par Riccardo Muti pour une publicité Lotus en 2009…un enregistrement de 1990). Il ne faut pas non plus sous-estimer, l’absence d’intérêt de la majorité des labels français pour l’international, car à force de se concentrer sur le marché national et rien que lui, les maisons de disques n’ont pas su s’implanter dans le reste du monde. N’est-il pas flagrant qu’un label français récompensé lors des International Classical Music Awards 2011 n’a même pas daigné venir chercher son prix ? Enfin, l’ultra-concentration des labels français sur le créneau baroque ou instrumental, peine à les distinguer les uns des autres en dehors des frontières françaises. Qui plus est à l’exception de Zig Zag, d’Alpha, Ambronay, Aparté et en partie d’Harmonia Mundi, quels sont les labels français considérés comme des références techniques irréprochables ? Combien de prise de son bâclées et de livrets de présentation anecdotiques et superficiels ? 

Pourtant, les exemples de la réussite des labels suédois Bis et espagnol Glossa montrent qu’avec une qualité éditoriale superlative et une intelligence rédactionnelle, il est possible d’ouvrir les portes du monde, d’engranger une reconnaissance enviable et de fidéliser les acheteurs.

Découlant de ces deux points, on ne peut que constater l’absence de rayonnement des agents artistiques français et l’absence d’imagination des directeurs d’institutions orchestrales et lyriques qui, en dehors de quelques noms, dans le vent, embauchent les sempiternelles vieilles gloires sur le retour ou jeunes prodiges étrangers. Faute d’un véritable travail de fond, des artistes de grands talents en sont limités à des carrières TAT (du nom de la défunte compagnie aérienne française Touraine Air Transport connue pour ses dessertes régionales improbables) comme disait, fort méchamment Hugues Gall, l’ancien directeur de l’Opéra de Paris. Quant à la médiocrité des politiques de communication de certaines institutions, elle pourrait alimenter des livres entiers !

Il en va hélas de la musique classique, comme d’autres domaines. En dépit d’artistes exceptionnels, de potentiels techniques et humains dignes des meilleures places mondiales, la France musicale n’a pas su, ou pas voulu, se remettre en question dans un monde en constante évolution. Espérons que les décideurs des labels, des festivals et des institutions sauront prendre enfin la bonne direction car la situation est urgente pour un domaine qui reste, sans argent public, un luxe qui risque de devenir impayable, sacrifié sur l’autel de la démagogie et des exigences actuelles de rentabilité. Qui plus est, il ne faut pas se leurrer, le classique peut agoniser la bouche ouverte, sans que personne ne daigne s’en émouvoir ou lever le petit doigt ! La fatalité devant le sempiternel décrochage de France Musique et l’absence de pilote dans l’avion, en est un bon exemple.

Cela fait longtemps que le classique n’est plus le porte-drapeau des élites, s’il n’est même pas utile au rayonnement international à quoi sert-il ? 

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